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Écoute pauvre conne, j'suis pas quelqu'un de bien, j'suis pas une belle personne.
Fallait-il encore que je m’affole de la peine qui ne tarit pas, de ma blase constante, de mon visage austère. Rien ne passe, ni ne me laisse de répit. La mort de ma mère encastrée comme une plaie nécrosée jusque dans mes viscères. Ma mère … Elle me manque tellement. Tous les jours, toutes les nuits, toutes les heures, toutes les secondes. Je n’ai pas été là, elle est partie, et je n’étais pas là. Je crois que jamais je pourrais me pardonner mon absence. Chaque fois que je croise un coquelicot j’ai envie de le ramasser, comme quand j’étais petit, en faire un petit bouquet et le déposer sur sa table de chevet. Je suis triste, j’en ai assez de me le répéter. Et comme si le sort ne s’était pas suffisamment acharné, voilà qu’Ana et Ivy se font hospitalisées. La même semaine, en même temps. Ivy est dans le coma, Ana … je ne sais pas. J’ai honte de le dire, mais je ne sais pas ce qu’elle a. Je suis revenu à Cape-Breton pour elle, j’ai passé mes jours et la plupart de mes nuits dans la salle d’attente. J’aurais pu monter à sa chambre, j’aurais pu insulter les infirmières, trouver mille et un stratagèmes pour aller la retrouver. Mais je crois qu’inconsciemment, j’appréhende. J’appréhende de la perdre, j’appréhende de la voir souffrir, j’appréhende … tout. Je suis tétanisé. J’en ai assez, mon cœur est si ramollis qu’il se met à ressentir les émotions avec plus de verve. C’est insupportable. Mais j’aime Ana, énormément, je l’aime comme j’aime Lieven ma petite sœur, et … je ne sais pas. Je crois que j’ai tellement voulu jouer les forts qu’aujourd’hui, à l’orée de mes vingt-deux années, toutes mes faiblesses me frappent de plein fouet. J’ai mal, je le répète encore. Et je me traine. Ce soir je n’ai plus envie de penser à Sage, plus envie de ne penser à rien. Un bar, le premier que je croise. Une bouteille de whisky. Je suis assis au comptoir comme un branleur pathétique qui semble se plaindre pour un rien. Je balaye les gens du regard sans jamais vraiment les observer. Je me fiche des gens, je me fiche de tous ces cons qui sourient gaiement en se noyant dans leur bonheur factice. Je pisse à la raie de ce monde de merde et ma misanthropie exacerbée me fous presque les jetons. J’ai envie de tirer un coup. Me taper une pute pour de faux, comme on tape dans la viande, comme on décanille. Un va et vient de taulard sans aucune émotion. Se vider pour se remplir de rien. Baiser une putain de pute au rabais, glisser mes billets verres dans sa culotte cramoisie et lui craché à la gueule toute la haine qu’elle m’inspire. Mon verre de whisky engloutit comme de l’eau. Un nouveau que je serre. Et je vois au comptoir cette fille brune, plutôt mignonne. C’est une pute, j’en suis sûre. De toute façon, je suis déjà bien trop ivre pour me poser trop de questions. J’avance vers elle d’un pas nonchalant, le visage froid, fermé, les cheveux ébouriffé, la chemise ouverte sur le col. Et je m’accoude à côté d’elle, de biais, elle est presque de dos. Penche ma tête à son oreille avec cette dégaine de voyou mal luné. Putain de bâtard atrophié, ton cœur est sec comme un désert, tu cherches à oublier la fille de tes rêves comme elle t’a oublié trop de fois déjà. Tu es pathétique, mais c’est comme ça que tu te soigne. Et ma voix éreinté, taciturne et blasée murmure au lobe de la prétendue prostituée : « Tu prends combien pour la nuit ? », sans même un regard, comme si elle n’était qu’un vulgaire produit de consommation.
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