RAFFAELE LINETTI ► nicolas simoes

Un mec bien. C’était généralement l’impression que les gens avaient de lui. Tu verras c’est un mec bien. Ou Sa famille est pas toujours clean, mais lui c’est un mec bien. Il avait les pieds sur terre. Il savait se tenir. Raisonnable, comme on disait. Responsable. Il était l’aîné de la famille, le premier. Il faisait les choses qu’on lui demandait, savait quand poser des questions et quand il ne valait mieux pas. Il savait gérer les situations de crise, savourer les moments calmes, anticiper les coups durs. Toutes ces choses qu’on apprenait généralement sur le tard lui avaient été inculquées depuis son plus jeune âge. Il était promis à de grandes choses ; c’était normal. La vie de famille, la belle gueule, les études de médecine. Il aurait presque l’air du gendre idéal, si sa famille était un peu plus clean. Mais on lui pardonnait, parce qu’il avait le charisme, parce qu’il avait l’intelligence. Mais il n’avait jamais été parfait. Personne ne l’était. Il avait son côté impulsif, ses moments de doute, ses moments de colère. Il avait un penchant pour la boisson, mais qui ne l’avait pas ? Parfois, son sang italien prenait le dessus, particulièrement quand il avait bu ; il avait le poing facile et n’était jamais à cours d’insultes, comme une troisième langue qu’il saurait parler à la perfection. Parfois il disait des choses sous le coup d’une impulsion, des choses brutales, involontaires. Parfois il les regrettait, mais parfois non. Il n’avait jamais été parfait bon sang. Il n’avait même jamais prétendu l’être. Raffaele plongea la tête dans ses mains, assis sur le canapé. Derrière lui, un calendrier blanchit par la réflexion du soleil indiquait un AOÛT 2015 d'un rouge autrefois criard. Août. Son père allait-il exiger de lui qu'il retourne à Harvard comme si rien ne s'était passé ? Saurait-il jouer la comédie, faire bonne figure ? Justement, son père faisait les cents pas, accompagnés de longs soupirs. C’était la première fois que sa déception était dirigée contre lui. Il avait toujours éprouvé une sorte de fierté à être son préféré, son fils parfait. Le fait qu’ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau renforçait encore ce lien privilégié qu’ils avaient toujours eu. Jusqu’à maintenant. « Bordel mais tu pensais à quoi, Raffa ? », finit-il par exploser. Raffaele déglutit. Il s’était posé la question dix milles fois par heure depuis qu’il avait repris connaissance. Sauf que la réponse était toujours la même : à rien. Il ne pensait à rien. Il pensait juste à la vitesse, à s’amuser. Il s’entendait rire, il entendait son rire à elle. Il y eut un nouveau silence et un nouveau soupir de la part de son père. « T’as bien fait de te tirer », finit-il par lâcher. Raffaele songea avec amertume que son père était probablement le seul sur cette planète à féliciter son fils pour avoir commis un délit de fuite. Oh ce n’était pas une question de simplement enfreindre la loi pour le plaisir. Ils savaient tous les deux que l’Italie serait capable de demander l’extradition. Et qu’Alonzo préférait tuer son fils de ses propres mains plutôt que de l’envoyer se faire massacrer dans une prison italienne. « T’es dans la merde, fils. Foutrement dans la merde », marmonna-t-il encore en secouant la tête. Raffaele sentit une boule se former dans sa gorge. Il le savait. Il le savait. « Ca risque d’être tendu un moment. Ce serait bien que t’ailles voir ailleurs pendant ce temps-là », reprit Alonso après un soupir. « Ca ne changera rien », dit Raffaele d’une voix faible. « Si, ça changera tout. Parce que pendant ce temps je pourrais tranquillement m’arranger pour sortir tes fesses du merdier dans lequel tu les as mises, sans devoir m’inquiéter en plus de savoir où tu es », rétorqua sèchement Alonzo. Son fils baissa la tête. Ce n’était pas ça qu’il voulait dire. Il savait ce que ça changerait de prendre le large quelques temps pendant que papa faisait place nette. Ce qui ne changerait pas, c’était la cause, pas la conséquence. Il venait de tuer la fille d’un sénateur, au volant, ivre, en excès de vitesse. Une fille qu’il connaissait peu mais avec qui il avait passé l’été à s’éclater, à passer les nuits à boire et les journées au lit. Une fille qu’il connaissait peu, et qui n’avait pas jugé bon de lui dire qu’elle était enceinte, et qui avait continué à boire comme un trou, à fumer et prendre des substances illégales au Mexique, sans ralentir la cadence une seconde. « Au fond c’est pas plus mal qu’elle soit morte, lâcha son père. Ca fait ça de moins à s’inquiéter. T’imagines si elle avait été paralysée ? Les gamines de sénateurs, elles la bouclent jamais ».