Quand ce qui fut noyé refait surface ‡ Tomàs

     
     

Ça faisait bien trois ans qu'ils attendaient ça. L'été de leurs dix-neuf ans, ils avaient malencontreusement raté la sortie plongée au centre sportif, et s'étaient promis de s'y inscrire l'été suivant, mais l'accident de Tomàs avait coupé net le projet. En sa compagnie, Denise faisait toujours passer le temps avant elle-même : pour lui en reparler après l'accident, elle avait d'abord regardé défiler de longs mois, sans rien dire, attendant le bon moment comme un pêcheur attend le poisson. Parfois, elle avait l'impression de devenir calculatrice en sa présence, et cela la gênait, car elle n'avait pas envie. Elle voulait vraiment parvenir à se comporter avec lui comme avec n'importe lequel de ses amis, et il le méritait. Mais par peur de le perdre, elle adoptait à son égard une prudence supérieure à la normale, et même si elle essayait de camoufler ce comportement de sa part, son effort ne suffisait pas face à l’œil de Tomàs, qui la connaissait trop bien pour ne pas s'en rendre compte.

      Finalement, Denise avait trouvé un centre plongée sur leur lieu de vacances, lui avait montré la brochure en espérant lui faire plaisir, et ce fut le cas. Du moins, il lui avait semblé content. Ils s'étaient levés assez tôt pour être à l'eau avant le soleil écrasant de midi, avaient pris sa Ford et conduit jusqu'au lac du Bras d'Or. Les conversations s'étaient faites plus rares que les silences, et arrivés sur place, ils payèrent leurs accessoires à l'accueil et se séparèrent pour rejoindre leurs vestiaires respectifs. À cette heure, celui des femmes était désert. Seul un manteau pendait au-dessus d'affaires roulées en boule, sur le banc en face de celui qu'occupait Denise. Après en avoir trouvé le sens, elle enfila sa combinaison, qui lui parue très serrée : ce n'était pas l'été que son alimentation était la plus équilibrée. Les palmes lui allaient bien, au moins. Elle fit quelques aller-retour dans le vestiaire pour s'assurer de leur adhérence, puis agrippa son masque et sortit. Tomàs était déjà aux casiers, elle le retrouva vêtements et chaussures à la main, et rangea le tout dans l'emplacement voisin au sien.

Après s'être assurée qu'il n'y avait pas de problème avec la combinaison de son ami, elle l'entraîna vers la rive, sur un ponton appartenant au centre de plongée. On leur avait expliqué le fonctionnement de la bonbonne à l'accueil, et un maître nageur surveillait la zone : ça se passerait bien. L'étudiante s'assit au bord du ponton, et jeta un regard à son ami. Il restait debout, semblait dans ses pensées. Un animateur arriva et leur fixa le matériel, puis s'en alla en leur souhaitant une bonne expérience. Le silence qui était apparu dans la voiture ne les avait presque pas quittés depuis. Denise se tourna vers Tomàs, mais il ne la regardait toujours pas. Un léger trouble commençait à la gagner, une impression que quelque chose n'allait pas. Elle ignora ce présage et lui adressa un sourire, agissant comme si de rien n'était. « On y va en même temps ? ».