oups (noa(h)mour)

Je n’avais strictement aucune idée de quel jour on été. Ni de l’heure, ni du lieu où je me trouvais. Je devinais au brouhaha ambiant, qu’il s’agissait probablement d’un bar. De toute façon, quel autre endroit aurait accepté le squelette morne et terne que je suis, le visage cadavérique et absent que je me traine depuis quelques jours ? Ma mère était morte, je ne réalisais toujours pas. Implorant mes sens d’aller contre leur nature, pour une fois ressentir, n’importe quoi, pourvu que le silence résigné dans mon cœur s’arrête. Mes yeux vitreux me donnent des allures de fantômes. Je n’ai pas la moindre idée des vêtements que je porte ni des mots que je prononce. Comme si tout dans mon être était désarticulé, comme s’il n’y avait plus aucune coordination entre ma tête, ma bouche et mes yeux. Un noir flouté, des trainées de couleurs ça et là, comme un mauvais trip de soirée. Les cris aigues de quelques filles déchainées probablement, le bruit strident de mon verre qui ne cesse de cogner le comptoir. Je ne sais pas à qui je m’adresse, à qui je parle. Même si je parle, ou ce que je dis. Tout est devenu … fade, sans aucune consistance, une espèce d’hologramme glitché, immatériel, dans lequel je me balade comme un personnage de jeux vidéo. Juste assez d’élan pour faire croire que je suis éveillé. Mes pas titubants comme ceux d’un vieil ivrogne condamné. Je ne sais pas si je suis malheureux. Je n’arrive pas à être malheureux. Je crois que je me suis abrité sous un parapluie d’indifférence et que je cherche à provoquer, à la fois que je rejette, la moindre émotion que je pourrais éprouver. Je suis éteint. Méconnaissable. Probablement pathétique et lamentable. Et j’agis comme agis un somnambule irrité. Par des gestes brusques, sans délicatesse, l’ivresse au nez pour me pousser à toujours plus d’élucubrations. Enchainement éreintant de bouteille de whisky et de filles de pacotilles. Dépossédé de mon corps. Et je m’affale sur un lit. Mon lit ? Peut-être. Je tombe comme une masse, littéralement épuisé. Comment je suis arrivé jusqu’ici ? Comment se fait-il qu’en quelques secondes à peine les basses de la musique et la lumière rougeâtre ont laissé place à ce silence bleuté ? Je ne comprends rien, ne cherche même plus à comprendre. La tête enfoncée dans l’oreiller. Quand une voix féminine vient me rappeler que je ne suis pas seul. Peut-être l’étais-je ? Quel jour on est ? Que s’est-il passé ? J’ouvre péniblement les yeux avant de tourner mon visage vers elle. Du flou, que du flou, vague silhouette. On dirait un fantôme. Peut-être que je suis entrain de rêver. Alors je ne fais rien, allongé là sur le dos, d’une main je me frotte le menton et je redresse à peine la tête. Non je ne rêve pas. Il y a une fille là. Qui est-ce ? Peu importe. Je dors toujours mieux quand je suis vidé. J’esquisse un sourire malgré moi, me redresse encore plus, appuyé sur mes avants bras avant d’appuyer sur l’interrupteur à la tête du lit. La lumière m’éblouit, mais je distingue un corps en sous-vêtements. Et là, comme un lointain écho, j’entends mon prénom résonner dans ma tête. Etrange, la voix parait insaisissable. Pourtant elle devient de plus en plus réelle.  Il me faut bien des secondes pour me concentrer. Me reconnecter. Et après ce temps de latence, je me redresse brutalement sur le lit, assis, raide, et me met à hurler de toutes mes forces quand je finis enfin par comprendre qu’Ana se tient face à moi. Tandis qu’elle se couvre de la couverture, moi je fais un bon en arrière me cognant le dos contre la tête de lit, et paniqué, j’aboie : « Qu’est ce que tu fous ici ?!! ».

Il faut être vraiment mort pour en arriver à ce niveau là de déchéance. J’veux dire, vraiment mort de l’intérieur. Se trainer comme un fantôme fatigué, comme un pauvre cadavre enchainé à lui-même. Mes jours ressemblent à mes nuits, mes nuits sont vides. Mon gosier ingurgite plus d’alcool que les distilleries d’Ecosse, je suis vaporeux, je sens le tabac froid, et j’suis même pas sure qu’on comprenne quoique ce soit à ce que je raconte. J’dois faire pitié, tellement pitié, j’ai même pas le temps de le réaliser. Dans ce lit, après ce bar, peut-être une boite, peut-être même que j’suis même pas sorti, je n’en sais rien. Je m’endors. A moitié. Ça ressemble plus au coma qu’a un dodo de nouveau né. Et c’est l’hécatombe dans mes tempes quand je réalise que la fille qui se trouve en face de moi, que la brune que j’ai ramené (parce que j’pensais avoir parlé à une brune) est Ana. J’hurle à plein poumon bondissant en arrière d’un coup, j’crois que je me suis même fait mal au dos. Il faut vraiment être mort et enterré de l’intérieur pour ne pas se rendre compte que la personne à qui vous avez parlé toute la soirée est votre meilleure amie. J’me dégoute présentement. J’suis paniqué et j’me dégoute parce que putain … j’ai faillis faire ça ? Vraiment ? J’ai envie de vomir : « Qu’est ce que je fous où, de quoi ? On est où là ? ». Oui, j’suis convaincue d’être chez moi mai en fait, j’sais pas, tout est tellement flou autour. Je grimace en voyant un bout de sa poitrine dépasser de sa couette, j’enlève ma veste de costume et la lui envoie sur la tête : « Cache-moi ça ! ». Le faux calme prend le pas sur l’effet de surprise même si … putain, j’suis en panique totale. Et comme à mon habitude, pour défendre mes positions, j’attaque celle des autres. Un brin colérique, je reprends : « Tu suis n’importe quel garçon sans savoir qui il est toi maintenant ?! »