HAPPY S. GAINSBOROUGH ► Francisco Lachowski

« Je suis sincèrement désolé pour votre mère… » commença le médecin chargé de son suivi. « Vous savez où vous pouvez vous foutre votre compassion à la con ? Soyez pas condescendant et dites-moi ce que je dois savoir ou barrez vous. » La messe était dite. Happy n’était pas réputé pour être très aimable face à ceux lui courant sur le haricot, mais là, à cet instant précis, il souhaitait simplement un moment avec sa mère. Sa mère adoptive. Le doc lui expliqua que son AVC avait été sévère, et qu’il ne connaissait pas, à l’heure actuelle, l’étendue des dégâts cérébraux que ce dernier avait pu faire. Pire encore, ils avaient dû la placer en coma artificiel, pour une raison qu’il n’écouta qu’à moitié. Une fois son petit laïus exposé, il fut bien évident que le jeune homme se hâta de le faire sortir, n’ayant pas envie d’entendre parler de don d’organes, de possible débranchement et j’en passe. Tout ce qu’il souhaitait… c’était hélas une explication. Il tenait en main un dossier d’adoption… le sien. N’en n’ayant jamais eu connaissance avant aujourd’hui, la colère prônait dans son esprit tel un souffle maudit et il aurait rêvé pouvoir la chasser. Mais comme tout autre souvenir, il ne pouvait pas l’effacer. Sa mémoire l’en empêcherait. Aussi, il se contenta de s’asseoir, les yeux simplement humides - hors de question de pleurer dans un hôpital - cherchant à ne pas exprimer de propos haineux envers cette mère lui ayant pourtant tout appris, et notamment à se sortir la tête hors de l’eau. « Il paraît que les comateux entendent tout, t’as du bol Ma’… je rêverais de te dire que tu n’es qu’une salope sans cœur de m’avoir caché un truc pareil ! T’as cru que je le découvrirais jamais ou quoi ?! Que j’étais trop con pour comprendre que malgré son métier, t’avais envie et besoin d’une deuxième chance ? » Happy s’était relevé, au comble de la colère. Il shoota dans la deuxième chaise présente dans la pièce, espérant de tout cœur qu’une infirmière n’ait pas l’audace de venir lui demander si cela allait… car non, cela n’allait pas. Cela n’irait sûrement plus jamais tant qu’il n’aurait pas la version de sa mère.

L’américain passa quelques minutes à faire les cent pas, ses mains contre ses yeux, essayant de se concentrer sur sa respiration pour ne pas shooter dans autre chose et risquer de se péter un truc sous la force du coup. Ce n’est qu’une fois un brin apaisé qu’il se laissa glisser contre le mur, en face du lit de sa mère, soupirant. « On avait tout toi et moi. C’était nous contre le reste du monde, et il a fallut que tu le gâches avec tes mensonges pourris… j’aurais préféré que tu me le dises en face plutôt que de l’apprendre par hasard comme un con parce que je cherchais un putain de papelard dans ton bureau ! Je sais même pas ce que je suis censé faire… espérer que tu reviennes et de préférence pas en tant que légume ou te laisser partir. Je peux pas te laisser partir, Ma’… j’ai que toi bordel ! » Sa résolution de ne pas pleurer dans un hosto fut bientôt réduite en lambeaux par une première larme qui s’écoula le long de sa joue. Il pouvait bien se le permettre : il restait seul dans la chambre, personne pour le voir ou le juger… mais cet état de fait ne le fit pas ouvrir complètement les vannes pour autant. Aussi vrai qu’il s’était toujours battu comme un chien dans la vie… il continuerait. « Tu te souviens combien tu as insisté pour que je passe les examens d’entrée à Harvard ? Bordel on a toujours été à côté, toute ma vie et j’y avais jamais pensé. Tu voulais pas que je sois qu’un gigolo toute mon existence… et tu sais quoi, t’avais raison là-dessus. Ce qui me fout encore plus en rogne contre toi ! Je réussis mes études et toi tu es en train de me lâcher… » Happy se souviendrait toujours du champagne délectable que sa mère adoptive avait ouvert pour fêter son entrée à Harvard. Une pure merveille. Un autre souvenir qui ne risquait pas de s’effacer de sa mémoire, au même titre que son premier jour à l’université… « Faut que tu reviennes Ma’… me laisse pas solo dans ce monde de merde… »