Who do you think you are? ♠ Jarod

Le Summer Camp avait officiellement démarré. Lyra était un peu morose de ne pas se retrouver dans l'équipe de ses meilleurs amis, mais ce n'était peut-être finalement pas plus mal pour faire de nouvelles connaissances. Elle était déçue mais ne s'était sûrement pas laissée abattre. Voici donc qu'elle appartenait à l'équipe des Jaunes. Elle avait du mal à se faire sa place pour l'instant. Pour la bonne raison que la plupart se connaissaient déjà et qu'elle débarquait en terre inconnue. Mais elle était ravie, une nouvelle page s'ouvrait à elle et  elle n'avait plus qu'à y déposer son empreinte. Alors l'alcool était venue noyer un peu de la gêne dans ses veines. Une douce chaleur s'insuffle en elle alors qu'elle amorce quelques balancements de danse sur un rythme sourd de soirée. Parmi les visages, un se rappelle à elle, et son cœur se fige subtilement. Finalement, tous les visages ne lui sont pas inconnus, ou bien est-ce son excès d'alcool qui lui joue des tours ? Voilà qu'elle hallucine des rencontres du passé. Il ne semble pas lui avoir prêté attention, alors elle doit se tromper. Les années ont passé mais il n'a pas tellement changé pourtant. Et elle non plus. Du moins dans leurs apparences. Alors, inconsciente, elle se laisse aller quelques instants de plus à sa transe lascive et solitaire. Elle a l'intention de s'éclater ce soir et qu'importe les fantômes qui viendraient la hanter. La soirée se passe et le calme apaise progressivement les Excités. Quelques-uns s'isolent pour mieux se sauter dessus, d'autres pour vomir dans un coin sombre, quand les derniers sommeillent dans les banquettes moelleuses de l'endroit. Elle opte pour la dernière option, et prise d'un feu impulsif s’assoit à côté de celui qu'elle prend pour son fantôme. « Tu passes une bonne soirée ? Tu l'as bien fait descendre cette bouteille ! Je jurerai que tu ressembles à un mec que j'ai connu mais voilà il est trop parfait pour se bourrer la gueule en soirée maintenant. » Elle rigole doucement et s'allume une clope, contente de sa connerie. Alors, il a quoi à dire le fantôme maintenant ?

Au départ, elle est presque rassurée. Rassurée de s'être trompée, mais déçue aussi. C'est étrange cette ambivalence qu'elle ressent en elle. Pourtant il lui ressemble tellement et elle jurerait que son odeur est familière. Mais voilà, elle est sans doute un peu éméchée aussi et les effluves de l'alcool la trompe. « Personne n'est parfait de toute façon. » Et voilà, Dame Lyra grande philosophe des Yolow fait son entrée. Ses prunelles pâles se posent sur le nouvel interlocuteur et il lui demande alors comment elle va. Elle comprend. C'est bien lui. Finalement, elle est pas si bourrée, ou bien suffisamment pour être allée lui parler alors qu'ils se sont quittés dans un certain déchirement. « Je suis toujours la même. Je vais tu sais bien. » Bien c'est une autre histoire et à vraie dire elle ne sait même pas si elle sait ce que c'est. Le bonheur, la sérénité, tout ça. C'est des conneries pour les enfants bordés. Pas pour elle. Elle se pose pas la question en fait, elle trace, peu importe si c'est un mur devant ou le plus beau des paysages. Toujours droit devant. « Et toi tu deviens quoi ? Je suis étonnée de pas te voir marié avec des gosses et un chien et médecin ou un truc du genre. » A voir sa gueule, il a pas l'air d'être devenu ça. Et c'est bas de l'asticoter de la sorte, mais elle est pas du genre compatissante, pas alors qu'il l'a lâché à ce moment où elle comptait tellement sur lui. Il le sait pas bien sûr puisque Mademoiselle préférait se parer de ses lambeaux d'orgueil mais le stigmate est bien là et la vengeance puérile également. Elle est toujours la même, elle n'a pas grandit de ses heurts d'enfant.

Assurément, ça lui faisait quelque chose de le revoir. Cela assombrissait un peu plus ses horizons également de voir que le plus Lumineux d'entre eux était devenu également bien sombre. Et paradoxalement, elle était rassurée. Parce qu'il ne s'était peut-être pas tellement éloigné de ce qu'il était. Il n'était pas devenu le bon gentil soldat, aussi creux et superficiel que les autres, non peut-être que lui aussi n'avait pas tout pardonné et qu'il gardait un peu de cette rage qu'ils avaient partagés alors qu'ils n'étaient encore que des enfants. Elle était bouleversée sous ses apparences ivres de le revoir l'air de rien, mais peut-être encore plus devant son manque de réaction. Finalement, avec les années, elle n'était devenue qu'un nom parmi les autres, et son ego s'en trouvait un peu plus écorné. Sans doute pour ça qu'elle lui répond un peu sèchement. « Y'a rien d'idéal Sullivan. » L'idéal, la perfection, le bonheur, c'est pour les gosses à qui on raconte des histoires, la seule chose qu'on lui avait raconté à elle, c'est la triste réalité qu'elle s'était pris en pleine face. Pas de bras aînés pour la protéger des affronts de la vie, non , tout juste bon à la faire morfler un peu plus. Un sourire amer se dessine sur son visage angélique alors qu'il semble tourmenté par un possible qui n'est plus, la vie de famille bien rangée, loin des tourments actuels, mais apparemment quelque chose s'était passé. Mais elle avait pas envie d'en parler et sans doute que lui non plus. « Alors t'étudies à Havard ? Tu veux devenir quoi ? Laisse-moi deviner, Médecin ? » Parce que ça irait bien avec ses ambitions humanistes, et parce qu'elle avait envie d'aller un peu plus loin dans la provocation.

Le voir si calme, si indifférent, ça la brisait encore plus. Et l'amertume venait noyer le carmin de ses lèvres. « Tu m'en passes une ? » demande-t-elle alors qu'elle le voit s'allumer une nouvelle cigarette. « Tu fumes comme un pompier. » commente-e-elle en haussant les épaules. Cela n'avait pas vraiment d'importance puisque elle aussi en fait, mais autant l'enquiquiner un peu plus. Et tenter de noyer le mal par le mal à coup de goudron pour la faire taire. « Droit, voilà quelque chose de sérieux. » Une envie de justice ? Il avait toujours eu cette naïveté de la justice des choses, et quelque part, elle ne pouvait pas le blâmer d'y croire même si pour elle tout ça était depuis bien longtemps perdu. « Journalisme. » Et ouais, tu choisis un camp et moi un autre, l'histoire se répète. Un petit sourire vient orner ses lèvres alors que ses yeux recherchent les siens, comme pour y espérer une lueur d'autrefois. Peine perdue sans doute. « Je serai la teigne que tu voudras faire taire au tribunal. » Elle aspire une grande bouffée de nicotine avant de la recracher désinvolte. « L'histoire se répète faut croire.» Et le rejet ne se fait que plus massif une fois de plus.

Elle lui en avait voulu. A mort même. De l'avoir laissé sur le côté, d'avoir préféré la lueur à sa noirceur, mais le temps avait filé, glissé entre ses phalanges d'encre et voilà qu'elle se surprenait à redevenir elle-même. Toute bâtie de sarcasme et de provocation, mais il ne fallait pas y voir là une menace, mais au contraire un gage d'affection. Jarod qui la connaissait bien plus qu'elle ne concédait à l'admettre l'avait compris depuis bien longtemps. L'ironie avait d'ailleurs rejoint le sarcasme quand sa provocation, purement sortie d'une expression toute faite s'était révélée vraie. Elle ne peut s'empêcher de rire de concert avec l'ancien Allié. « J'aurais du m'en douter. » Les iris bleutés s'accrochent aux Similaires. Ses incisives viennent meurtrir furtivement le charnu de sa lèvre inférieure, trahissant sa culpabilité et sa gêne de répondre à une sorte de cliché, rien n'était plus sexy qu'un pompier... Jarod avait abordé un manque d'argent pour achever ses études mais il avait également bien vite rebondit sur le fait qu'il ne soit pas surpris par le choix de ses études. « On ne se surprend même plus c'est triste. » rétorque-t-elle avec un sourire bien plus doux. « Tu n'as qu'à t'associer à moi pour un article sulfureux, histoire de balancer quelques noms corrompus. Je ne dois ma venue à Harvard qu'à un article, autrement, j'aurais jamais eu assez de blé non plus pour payer mes études. » La dure réalité de provenir des bas-fonds, et elle se sentait à nouveau proche de lui. Dommage, alors qu'il ne semblait pas poursuivre sa route dans le prestige. Il lui assurait d'ailleurs que beaucoup de choses avaient changé. C'était vrai, c'était inéluctable, mais il y avait une amertume à l'observer de la sorte, elle devait s'en réjouir, les bons sentiments, l'altruisme et la perfection semblait bien lointains sur sa quête d'élévation, le blanc était légèrement passé et les gris bien plus réalistes, et quelque part là entre les deux nuances, elle se tenait, et il semblait bien que lui aussi désormais. Ses prunelles se posent sur les siennes de nouveau et c'est une voix bien sincère qui lui murmure. « Je suis désolée. » Que les choses aient changé, que tu m'aies abandonné mais que moi aussi quelque part, et que sur cette route tortueuse, nous nous soyons perdus que pour nous meurtrir davantage.