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La soirée pour les anniversaires fut de courte durée. J'ai à peine débuté le travail, servant quelques verres aux invités qui n'avaient vraiment pas l'air de s'entendre, que les flics ont débarqués. Je ne sais pas pourquoi, ni qui les a appelés, mais cela ressemble encore à ses embrouilles entre confrérie. Je n'ai même pas pu parler avec l'organisateur, qui m'a envoyée sur les roses. J'ai fini par rester un moment avec Ael pour essayer de comprendre ce qui était en train de se passer, mais tout me semble fou. Des guerres de clans, comme je déteste. La police vient rapidement à moi. Je retire mon masque, ayant déjà renfiler ma robe rouge en vitesse. J'ai la chance qu'il me reconnaisse grâce à mon nom de famille. Sa femme est fan de mon père. Je lui explique que mon producteur avait entendu parler de ce contrat, mais que je n'ai même pas eu le temps de danser. Il me laisse vite tranquille, et je file voire l'une des filles en pleures. Elle s'effondre encore plus dans mes bras, elle baragouine d'un anglais approximatif et je crois comprendre qu'elle n'a pas de papiers. J'en suis vraiment désolée pour elle, pauvre fille en manque d'argent engagée par un fils à papa. Je comprends qu'elle est besoin de cet argent, et d'ailleurs, sûrement plus pour sa famille que pour elle. Je finis par accompagner la jeune femme dehors, et reste un moment avec elle jusqu'à ce que les flics l'embarquent. Maintenant que je suis prête à partir, je me rends compte que j'ai oublié mon sac dans la suite. Demi-tour. Je remonte les escaliers à la hâte et entre pour récupérer mon bien. En partant, je me fais interpeller par quelqu'un, de façon rude. Je m'arrête nette et tourne mon visage vers lui. Et là, le bug total. Mon sac glisse sur mes doigts et tombe sur le sol. Ce visage, je le reconnaîtrais entre mille depuis qu'il m'a brisé le cœur à Paris. Depuis cette nuit là, je n'ai cessé de me dire que ce jeune homme ne pouvait pas être le Noah que j'ai rencontré sur internet. Et là, les paroles d'Ael me reviennent aux oreilles. Ce prénom qu'il a lancé comme une pierre à mon visage et que je viens tout juste de comprendre. Et je regarde sa main tatoué comme on découvre l'arme du crime. Et j'ai envie de pleurer. Noah. Internet. Paris. J'ai besoin de m'asseoir. Je me rattrape de justesse au mur derrière moi. Mais après le choc, vient la colère. La colère qu'il m'ait quittée comme une moins que rien sur ma barre de pole-dance, qu'il m'ait parlée comme un chien et qu'il continue encore maintenant.
- Moi qui avait peur de te décevoir par une rencontre, je vois que je t'ai réellement idéalisé...
Mes paroles sont sèches. Il comprendra ce qu'il voudra. Je suis peut-être naïve, mais surtout très rancunière. Je ne répondrai pas à sa question. Il ne se rappelle même pas que je me suis présentée à lui, qu'il aurait du comprendre à ce moment mais qu'il était trop occupé pour daigner répondre à une danseuse. Je suis en colère, et triste. Et tout se mélange dans ma tête. Nos conversations géniales, voire torrides, tous ce que j'ai pu ressentir, tous ses mots que j'ai adoré lire et relire. Et ma danse dans ce cabaret de Paris, et son corps contre le mien, ses mains posés sur moi, son odeur. Il fut un rêve. Il est devenu un cauchemar. Je le découvre comme jamais je ne l'aurais imaginé.
- Je suis déçue. Affreusement déçue. Et le mot est sûrement trop faible.
- Spoiler:
Je suis perdue, entre tant de sentiments variés et parfois totalement opposés. Comment peut-il être le Noah que j'ai connu sur le forum ? Connaître ? Non, je ne le connais pas, pas l'homme qui se tient devant moi. S'est-il fait passé pour quelqu'un d'autre grâce à internet ? Ou m'a t-il montré son vrai visage et porte un masque lorsqu'il est en société ? Je ne sais pas. Je ne sais vraiment plus. J'ai besoin de m'asseoir mais je n'arrive même plus à faire un pas en avant. Mes jambes restent paralysées, comme enfoncées dans le sol, comme des sables mouvants d'où je ne pourrais jamais me sortir et qui vont finir par m'engloutir de la tête aux pieds. Il est même sûrement dans mon université. Ael le connaît. Mais quelle idiote. Tout me revient en tête, cette histoire de confrérie, les soirées des Eliots et lui dans sa chambre, seul. Je m'interdisais peut-être de me dire qu'il pouvait être si proche de moi. J'avais tellement peur de le rencontrer et qu'il ne m'aime pas, qu'il n'apprécie pas ma compagnie malgré sa promesse de voyage dans son pays et d'air de guitare sur l'herbe. Et j'ai imaginé tellement de choses avec lui, avec une rencontre merveilleuse, sans fausse note. Me voilà servie, de ma stupidité et de ma naïveté. C'est un petit con d'Eliot, imbu de sa personne, qui n'écoute même pas les autres. Je suis tellement déçue. Déçue de son comportement et de ma bêtise.
Il baragouine deux mots, avec une voix tremblante. Est-il aussi perdu que moi ? Évidemment, il ne comprend rien à ce que je dis. J'ai juste envie de récupérer mon sac que j'ai lâché et de rentrer dans ma chambre d'hôtel. Même pire, d'appeler mon père pour qu'il m'envoie son jet pour rentrer à Londres. Comme une adolescente. Et je pleurerai dans les bras de ma mère, allongée sur le canapé, à regarder Dirty Dancing. Je pense qu'elle serait la seule à être capable de me réconforter. Dylan me dira juste que je suis idiote et aura envie de détruire le visage de petit pourri gâté qui m'a faite pleurer. Maman, elle, ne parlera pas. Elle laisserait le silence m’apaiser, elle passera simplement sa main sur ma joue. Et je m'endormirai à ses côtés, en pleurant. Malheureusement, je ne suis pas dans les bras de ma mère. Et la réalité me donne encore une gifle. Il fait un pas vers moi, et je crois qu'il a enfin compris. Mon surnom sort de sa bouche, et je sens ce frisson monter en moi, comme une tornade dans mon ventre, comme le sifflement d'un serpent prêt à m'attaquer. Je pince les lèvres.
- Si tu m'avais écoutée plus tôt dans la soirée, tu aurais déjà compris. Lana, ça ressemble assez à un diminutif d'Ellana... non ?
Un peu donneuse de leçon, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je suis dégoûtée, et j'ai bien l'intention qu'il le voit. J'hésite. Je fais un pas en avant pour me rapprocher de lui. Et un autre. Jusqu'à attraper sa main tatouée dans la mienne. Le frisson s'intensifie. Mon corps n'a pas l'air en accord avec mon cerveau qui me crie de partir d'ici, de fuir ce jeune homme tant que je le peux encore.
- J'ai eu un doute à Paris. Tu sais, dans ce cabaret où tu m'as laissée comme une merde ? Je ne te pensais pas comme ça.
Je ne vais pas me démonter face à lui. Hors de question. Mais malgré moi, une question sort d'entre mes lèvres. Elle est ma bouée de sauvetage, celle qui va lui permettre de me revenir comme je le connais.
- Où est le Noah romantique avec qui j'ai parlé pendant des heures ?
- Spoiler:
Je crois que jamais je n'ai ressenti autant de déception. Pire que quand on ouvre les cadeaux de Noël, vous savez, celui où vous avez imaginé que vous alliez avoir la super poupée que vous aviez demandée, et en fait, sous le papier rose brillant, vous découvrez le pull tricoté par mamie ? Et bien là, c'est pire, bien pire qu'une déception d'enfant. C'est celle d'une adulte un peu trop attachée à une photo d'un bras tatoué, qui a trop souvent relu les mots qui lui ont donné chaud, qui était trop enchantée par l'espoir d'une rencontre merveilleuse. Et voilà ce que nous donne l'espoir. Un mec qui se comporte comme un goujat avec les femmes, et je crois que c'est encore pire qu'à Paris. A moins que je n'accumule mes tristesses avec lui et que le vase soit plein. Sa main dans la mienne est raide comme un bâton. Il semble choqué lui aussi. Et les premiers mots qui arrivent à sortir de sa bouche se stoppe aussi sec. Si tu avais su que c'était moi, cela aurait été différent ? Pas du tout. Je n'y crois pas d'entendre une excuse aussi puérile de sa part. Il a bien fait de s'arrêter et de ne pas continuer sa phrase fièrement car je lui aurais coupé la parole directement. Noah l'Eliot peut prendre les autres pour de la merde mais pas Lana ? Arrête, tu es sérieux ? Il ne fait que s'enfoncer petit à petit. J'ai l'impression d'avoir face à moi un petit garçon qui a fait une bêtise, et qui a peur de se faire réprimander. Il se montre comme ça, comme une victime. Où est le Noah sûr de lui ?
Il finit par enfin relever son visage vers moi, non sans retirer sa main de la mienne. Ce lien brisé fait que mon cœur rate un battement. Je sens comme l'abandon une nouvelle fois. Mais j'arrête de me concentrer sur mon ressenti pour observer son visage. Une sorte de culpabilité se lit dans ses yeux. Et maintenant, je ne sais plus ce que je dois ressentir. Il me fait penser à ses jeunes enfants au Nigeria, pendant la guerre, apeurés. Ceux que je prenais dans mes bras pour qu'ils arrivent à s'endormir, que je berçais sans avoir la prétention de me prendre pour leur mère. Et bien là, étrangement, c'est un peu pareil. Il finit pas tenter de s'expliquer. Maladroitement. Mal en fait. Je ne le prendrai pas comme avocat, parce que sa plaidoirie et sérieusement mauvaise. Il n'a aucune excuse. D'ailleurs, il ne fait que s'excuser, sans rien justifier. Sincèrement ? Je ne sais pas si je suis capable de le croire. Éblouissante ? Pas assez puisqu'il m'a laissé seule dans la salle des danses privées. Et si son regard m'avait attendrie quelques minutes plus tôt, à présent, je ressens la tristesse reprendre le dessus. Je ne répondrai pas à ses justifications d'enfant. Je fais un pas en arrière pour attraper mon sac et en sors mon téléphone portable. J'y branche mes écouteurs.
- J'avais préparé une playlist pour une éventuelle rencontre.
Je ne regarde que mon écran de téléphone, joue avec le tactile du bout de mes doigts. Je déplace toute la liste que j'avais réalisée dans mon fourre-tout musical et ne mets qu'une unique chanson dans le dossier « Noah ». Je déglutis. La liste me paraît bien triste maintenant. Je jette un coup d’œil au jeune homme à côté de moi et finis par me diriger vers lui pour lui installer les écouteurs dans les oreilles.
- Je sais que tu les aimes bien. A moins que cela aussi ça soit faux.
Je laisse un silence et lui tends mon portable pour qu'il le prenne. Après cela, j'installe mon sac à main correctement sur mon épaule.
- On a commencé avec une chanson, on va terminer de la même façon. Écoute là, mille et une fois de plus que tu ne l'as déjà écoutée. Et après, si tu as assez réfléchi, si tu as quelque chose à me dire, essaye de me retrouver si tu le souhaites encore.
J'ai la voix lente et cassée, comme si chaque mot m'écorche la langue et les cordes vocales. Les flics l'attendent en bas, je le sais. Et je sais aussi que je ne pourrais pas faire grand chose pour lui, malheureusement. Alors je tourne les talons pour sortir de sa suite. Et je ne peux empêcher cette putain de larme de couler sur ma joue.
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