OCTAVIA L. RAMIREZ ► aubrey plaza

Sur mon extrait de naissance, il est annoté que je suis née à Buenos Aires (Argentine). Pourtant, dès mes premières années de chienne de vie, j'ai vécu aux États-Unis, avec une femme proclamant être ma mère. Quand j'ai eu l'âge de comprendre la fabrication des enfants, j'ai pigé qu'un truc n'allait pas dans "ma famille". Je n'avais pas de père. J'ai grandi du côté de Los Angeles, dans un quartier latino où des millions de familles hispaniques se connaissaient pratiquement toutes. Ma mère était femme de ménage pour un foyer de blaireaux plein aux as. Elle m'emmenait parfois là-bas quand il n'y avait pas école ou quand j'étais fiévreuse. La plupart du temps je simulais, je voulais voir de belles choses et oublier notre quotidien dans l'espèce de ghetto portoricain. Je n'ai jamais osé demander à ma mère qui était mon père, du moins pas avant mes dix ans. À cet âge, j'ai dû disparaître. Ma mère est venue me chercher à l'école plus tôt ce jour là, elle avait l'air totalement affolée. J'ai suspecté la drogue, ah oui, j'allais oublié. La cocaïne était approuvée à la maison. Ma mère ne s'est jamais cachée pour fumer ou se piquer. J'ai toujours eu l'impression qu'elle se shootait pour oublier quelque chose. Ce jour-là, elle m'a attrapé si fort par le poignet que j'en ai gardé la marque pendant une semaine. Le tas de ferraille qui nous servait de voiture était plein à craquer de nos affaires. Elle m'a juste dit que nous devions rentrer en Argentine le plus vite possible car les États-Unis n'allaient plus vouloir de nous. J'ai rouspété dans mon coin, sachant que je n'aurais pas mon mot à dire et puis nous avons roulé une éternité. Je me suis réveillée lorsque nous avons passé la frontière mexicaine. Mon nez était écrasé contre la fenêtre, le décor avait drôlement changé, la température aussi. J'étais admirative, et à la fois apeurée. Où est-ce que cette tarée m'amenait ? Eh bien à l'aéroport le plus proche. Nous avons abandonné notre voiture dans une ruelle et nous avons traînés nos bagages en sueur. Après plus de seize heures de vol, j'ai enfin pu découvrir mon pays natal. Quand j'ai vu ça, je me suis demandée pourquoi il avait fallu se morfondre aux États-Unis. Arrivées sur place, la famille de mon cousin Tomàs nous a accueilli. Je le voyais pour la première fois, en chair et en os. Il était un peu plus jeune que moi, mais déjà trop mignon. Et pourtant, je n'ai jamais blairé les gamins, même quand je l'étais.  

Ma vie a basculé à ma première bulle sur Terre. C'est la nuit même chez mes cousins que j'ai pu apprendre pourquoi. Ma mère a raconté à sa soeur qu'elle avait eu une liaison avec l'homme marié pour qui elle travaillait et elle en était enceinte. Il se pourrait même qu'elle lui ait volé un bon paquet de pognon avant de s'éclipser. Je ne verrais jamais la couleur de ce fric, elle a dû s'en servir pour nous loger. Ce que j'ai vu toutefois, c'est le ventre de ma génitrice s'arrondir de mois en mois. J'ai détesté de tout mon coeur ce monstre grandissant dans les entrailles de ma mère. Il a ruiné mon rêve américain. Mais, avec Tomàs, le seul qui a pu entrer dans mon monde, nous avons très vite planifié notre exil futur. Lorsque nous en aurons tous les deux l'âge, nous irons étudier là-bas, sous la bannière étoilée. C'était notre promesse, celle qui nous permettrait de nous détacher de nos racines. J'ai avancé chaque jour avec notre pacte, il a fallu que je parle l'espagnol couramment au lieu de l'anglais. Ce ne fût pas bien difficile, à la maison nous avions l'habitude de communiquer dans cette langue. À mon entrée au collège, je me suis libérée. Je suis devenue ce que j'étais depuis toujours, une tracassée. Une folle dingue garçon manqué, jouant au sport de mecs et les emmerdant avec malice. Je me suis passionnée pour les groupes de rock américain, les films d'horreur et d'épouvante. J'ai adopté les injures à quasiment chaque phrase. Disons qu'en plus de ça, je vois la vie d'une drôle de façon. Je suis de mauvaise compagnie et j'aime par dessus tout me moquer des autres. Je m'en contre fiche de ne pas avoir d'amis, j'adore démonter les autres. Ce taux de négativité chez moi est probablement causé par le tissus de mensonge de ma mère. Les disputes entre nous se sont multipliées avec le temps, surtout quand j'osais demander d'où je venais, c'est vrai quoi, j'ai bien le droit de savoir quel biscuit a trempé dans son bol. Entre temps j'ai eu un beau père, trafiquant des trucs à droite et à gauche. Il a donné une fille à ma mère, c'est une crevarde mais on s'en fiche. Mon demi-frère que je croyais depuis toujours conçu à la suite d'un viol m'exaspère. S'il savait qu'en réalité il aurait pu être un de ces gosses de riches. Je me fends la poire lorsqu'il essaie de me blesser, il est si naïf.

J'ai évolué seule, je n'avais pas d'amis, j'ai tracé ma route comme je l'attendais. Je montais dans les plus hauts immeubles la nuit pour contempler la vue, j'étais toujours à l'écart, en train d'observer les autres se déchirer et s'aimer. Dès ma naissance j'avais un air blasé de toute façon. L'amour je n'y ai jamais cru et je ne l'ai jamais senti me traverser de part en part. Pourtant il me fallait ma dose de sexe, du coup, je fréquentais des garçons, leur faisant miroiter que je ressentais quelque chose pour eux. En réalité, je ne désirais que leur queue de temps en temps. Mes plus grands amis étaient les animaux, au moins eux ne trahissent jamais. J'ai toujours eu d'excellents résultats scolaires, ne le disant jamais à ma famille, me faisant passer pour la fille moyenne qui prendrait la relève de sa mère avec le plumeau. Jusqu'au jour ou il fut temps pour moi de choisir mon université. J'ai volontairement redoublé pour attendre mon cousin afin de postuler pour Harvard. J'ai expliqué ce point noir sur mon dossier comme le moyen de travailler auprès des bêtes. Apparemment c'est passé crème. L'université m'a accepté en même temps que Tomàs. C'était la consécration, j'allais enfin pouvoir effacer qui j'étais et devenir n'importe qui. Je suis maintenant à Harvard depuis cinq ans. J'y ai mes habitudes, des têtes familières que je peux encadrer. J'ai aussi appris qui était l'identité de mon père, et que ce dernier n'avait pas uniquement engrossé ma mère. J'ignore l'étendue totale de ma famille et surtout si j'ai envie de la fréquenter. Je veux pas qu'on me fasse chier, c'est tout ce que je demande.