ASHER CAVENDER ► scott eastwood

➽ Some are born to sweet delight, some are born to endless night
« Damian, rattrape le ! il va se noyer, Damian, bon sang, fais quelque chose ! » la voix de ma mère était à peine audible dans les remous de l'eau. Je buvais la tasse, tentais de garder les yeux ouverts pour rester attentive. Combattre et lutter ; à onze ans, on ne sait pas vraiment comment y arriver ni comment faire. J'étais perdue, naviguant en solitaire dans le néant ... non ... dans cette eau chlore, cette piscine qu'avait construite mes parents il y a deux ans. Je ne cessais de plonger et de remonter, tentant d'aérer mes poumons, respirant avec difficulté. « Damian ! Aide le ! » Mon père avait parfois des absences pourtant en cet instant, il n'avait pas réfléchi et s'était jeté la tête la première dans l'eau. Je me rappelle avoir été tiré hors du bassin ; mon père avait effectué les gestes de secours à la perfection, m'attribuant de l'oxygène dans mes poumons qui regorgeaient d'eau. L'hospitalisation avait été évité, de justesse cela dit. Allongé au bord de la piscine, mes pupilles embrumées fixèrent avec attention les visages graves de mes parents mais également de mon frère qui, pour le coup, m'avait tenu la main. J'avais failli me noyer à l'âge de onze ans et je me souviendrai probablement toute ma vie de ce souvenir, qui a marqué une bonne partie de mon enfance. J'avais voulu faire mon grand garçon, un peu trop orgueilleux pour le coup. Délaissant mes bouées gonflables, je m'étais aventuré seul dans l'eau, prenant soin de vérifier que mes parents avaient le dos tourner avant de m'élancer dans cette grande étendue d'eau. Ma sœur n'avait pas été présente autour de la piscine et n'avait donc pas pu m'y dissuader. A sept ans, elle commençait déjà à se montrer aussi pénible que son frère si ce n'est encore pire : à toujours vouloir faire le clown et se comporter comme les parents. D'ailleurs, je n'aimais pas lorsqu'elle prenait la place de mes parents car ce n'était pas son rôle. Elle était uniquement ma petite sœur et personne d'autres. Pourtant, lorsque le drame s'était produit, elle n'avait pas été là pour me sermonner ni même pour me gronder. Elle avait été présente lorsque mon père avait réussi à m'extraire des poumons les filets d'eau qui s'y étaient infiltrés. Elle m'avait tenu la main et avait su me rassurer, me réconforter sous le regard terrifié de mes paternels qui ne s'étaient pas attendus à ce que je commette un geste aussi dangereux. J'avais mis ma vie en danger, inconsciemment. A l'âge de onze ans, ce n'est pas totalement l'âge de raison, du moins ça ne l'était pas pour moi. Inconscient, je l'ai été jusqu'à mon adolescence, jusqu'à ce que je vienne à remarquer mes propres erreurs, mes propres faiblesses. En classe de quatrième, j'avais vu l'un de mes amis se faire agresser par un garçon - un délinquant, surement -. Je n'avais rien fait. En classe de troisième, le même garçon avait frappé l'une de mes amies. Je m'étais interposé, recevant moi-même le coup. « Inconscient » m'avait-il soufflé avant de décamper, trop lâche pour terminer ce qu'il avait déjà entrepris. A l'époque, j'avais quinze ans et là encore, je ne me rendais pas totalement compte de mes actes. A croire que je faisais tout pour m'attirer des ennuis à moins que ça ne soit l'inverse.



∎ It's very hard to grow up in a perfect family when you're not perfect.
« Madame Cavender a eu accident. Nous... Nous l'avons hospitalisé d'urgence. » le médecin nous observait, serrant fermement le bloc-notes qu'il tenait entre les mains. Pour le coup, le mot « urgence » sonnait vrai. Nous n'étions pas dans les films où certaines répliques semblaient exagérées. Non. Pour le coup, mon père, ma soeur et moi-même étions face à la réalité, une cruelle réalité. Je savais que ma mère avait été victime d'un accident de voiture et savais également que son état s'avérait critique au vue de la carcasse de sa voiture. « Est-ce que nous pouvons la voir ? » répliqua mon père d'une voix cassée. L'émotion le submergeait, comme pour nous tous. « Pas dans l'immédiat monsieur Cavender. Restez ici, je reviendrai vers vous lorsque nous aurons terminé les analyses. » Terminé ? Que devaient-ils terminer ? Je n'étais pas convaincu par la franchise de ce toubib encore moins par son regard, angoissant. Ma main s'appliqua tendrement sur celle de mon père qui fut parcouru d'un sursaut. Je n'avais jamais été aussi proche de lui qu'à cet instant. Les rares moments intimes entre père et fils n'existaient que très peu et c'est là, assis dans cette foutue salle d'attente de ce maudit hôpital, que je me rendais compte de tout ce que j'avais bien pu rater en sa compagnie. « Ils ont intérêt de ramener maman intacte du bloc. » répliquais-je avant de me redresser. J'avais vingt-quatre ans à l'époque, 1m85 pour 80kg de muscles. Dans le fond, je savais que j'étais capable du pire lorsqu'il s'agissait de toucher à ma famille. J'avais démontré cela à maintes reprises envers ma sœur par exemple, lorsque des gamins de sa classe de seconde s'étaient amusés de son statut de diabète et en venait même à lui prendre son tube de Glucophen juste pour voir si elle comptait s'évanouir. La bagarre fut mémorable et j'en étais ressorti en vainqueur.
Un sourire s'était incrusté sur mes lèvres alors que je songeais à ce souvenir maladroit. Songer à un instant joyeux alors que l'un de nos parents était entre la vie et la mort, il fallait avoir du culot. J'en avais. J'étais confiant quant à la survie de ma mère. C'était une battante. Pourtant, lorsque le médecin revint vers nous, une heure plus tard, et demanda à voir mon père en privé, je compris qu'il y avait eu des complications. Tendu, j'observais mon paternel se diriger vers la salle avoisinante, accompagné par ce médecin qui ne me faisait guère bonne impression. Malgré la porte close, je pus réussir à lire sur les lèvres du toubib un « Je suis désolé. ». Je déglutis, croyant vaciller et m'ordonnant à croire que je venais d'halluciner. Je perdis rapidement pied lorsque mon père, muet, me confirma mes macabres pensées en ne me lançant qu'un seul regard. Ma sœur comprit également et la descente aux enfers débuta. Le soir même, mon père rencontra une fois de plus le chemin de ses vieux démons et se vida le stock de rhum et de whisky écossais que l'on gardait généralement pour les invités. Le soir même, je fus envoyé au commissariat suite à des coups et blessures répétitifs à l'égard du personnels hospitaliers. Le soir même, ma sœur fus prise d'un violent malaise, caractéristique parfaite d'une acidocétose diabétique, due à une concentration sanguine d'insuline trop faible.
Plus les jours et les mois défilaient et plus le néant s'ouvrait à moi. L'enterrement de ma défunte mère avait été célébré dans le cimetière de sa ville natale. Quelques proches étaient présents mais la cérémonie resta intime. Mon père était mal en point, luttant férocement contre sa dépendance envers l'alcool. Il avait une mine déconfite et la gueule de bois, c'était certain. Sa détresse était sans appel. Je noyais la mienne dans les sorties, les compétitions de boxe et mes années d'études. Je tentais de prendre soin de ma famille du mieux que je pouvais mais la lassitude et l'exaspération de rien faire de ma vie s'accentuaient au fils des jours. Ce ne fut qu'au bout de six mois que je reprenais ma vie en main, et m'étais décidé à quitter ma famille et ma ville natale pour conquérir le monde, du moins en partie.



♞ i know i can have it all. i just don’t know if i actually want it all J'ai relevé à maintes reprises que la qualité indispensable et première d'un bon journaliste était la curiosité. Certes, mais ce n'est pas tout. En fait, pour être un bon journaliste il faut surtout être réactif, être capable de s'adapter aux situations, à des interlocuteurs aux personnalités très diverses, être habile, un peu provocateur mais toujours courtois. Je crois qu'il faut savoir se rendre aimable, sans en faire trop -au risque de passer pour une hypocrite-. Être extrêmement patient, c'est le plus important. Sans non plus se faire marcher dessus. Être capable de savoir dire non, avec humour cela passe mieux, fasse à toutes les demandes de nos interlocuteurs, savoir conserver son indépendance en quelque sorte. Comprendre, sans interpréter, les propos de nos interlocuteurs. Et être capable de retranscrire ce que l'on a entendu et observé. Savoir écrire, enfin, de manière claire, précise, vivante, en évitant les observations personnelles. Ce n'est pas si facile d'être un bon journaliste. Je n'aime pas les dérives que j'observe : ceux qui écrivent pour se faire plaisir et non pour informer, ceux qui copinent beaucoup trop avec les informateurs potentiels, les décideurs, les politiques, oui, ça, ça me dérange. C'était mon ressenti dès mes premiers mois passés à Boston. Grâce à une bourse d'étude, j'avais entamé et terminé mes années manquantes en journalisme dans la prestigieuse université de Yale dans le Connecticut. J'avais quitté ma famille et ne l'avait plus revu depuis presque six ans. Une page s'était tournée pour en débuter une nouvelle, plus prestigieuse et plus glorieuse qu'autrefois.