AISLINN MCSORLEY ► Sophie Turner

Varvana est née dans une vieille famille irlandaise très soudée, une sorte de clan qui trouve ses racines si loin dans l'histoire qu'à l'époque, certains de ses membres se sont battus au côté de William Wallace et Robert de Bruce pour l'indépendance de l'Écosse. Cela fait deux générations qu'une partie du clan McSorley s'est installée aux États-Unis.

Elle a eu une enfance heureuse. Diagnostiquée HPI (haut potentiel intellectuel) et HPE (haut potentiel émotionnel) alors qu'elle avait cinq ans, elle eut la chance d'avoir des parents riches qui pouvaient lui offrir ce dont elle avait besoin en raison de ses particularités. Elle commença très tôt l'équitation, la peinture... La musique. Il y avait toujours eu de la musique dans le sang de sa famille. En été, ils se réunissaient autour d'un grand feu de joie et se racontaient les légendes de l'ancien temps au rythmes de chants traditionnels. Tantôt tristes, tantôt joyeuses, elles avaient quelque chose de mangifique, de baroque, qui les rendait plus vivantes que toute autre.

À l'école, elle eut au début du mal à trouver sa place. Le rythme était bien trop lent pour une jeune HPI avide de prouver sa valeur. Les autres élèves étaient agacés par ces facilités qu'elle ne cherchait pas à cacher. Pourquoi l'aurait-elle fait ? On lui avait toujours appris que c'était une bonne chose, positive. Qu'elle ne faisait rien de mal en utilisant ses capacités. Elle ne comprenait pas qu'on lui fasse ensuite passer le message contraire. Elle était douée, elle comprenait tout ce qu'on lui disait et posait des questions que l'on n'imaginait pas dans la tête d'une enfant.

Elle se fit remarquer très jeune pour sa voix. Elle était douée, lumineuse, et lorsqu'elle s'accompagnait de sa harpe, nommée Uaithne, harmonie, tout comme celle du dieu-druide Dagda, il y avait dans sa musique quelque chose d'intemporel qui savait toucher les coeurs. Elle charmait sa famille avec son accent irlandais et ses chansons typiques du vieux pays. Les mélancoliques n'avaient qu'à aller la voir pour se croire de retour dans la mère-patrie.

Il y eut très tôt un premier amour. Elle avait douze ans quand elle le présenta à ses parents. Ce fut un amour aussi vif et aussi clair qu'une flamme, et comme une flamme il finit par se consumer, par mourir. Un an plus tard, elle le vit embrasser une autre fille. Le message était passé, par-delà la douleur qui lui engourdissait le coeur. Les sentiments menaient à la souffrance. Si elle tomba encore amoureuse à l'avenir, elle veilla à ne pas développer une relation qui aurait pu la blesser.

À treize ans, elle découvrit le monde de la scène. Petites, au début, des scènes de fêtes des voisins et de petits festivals, elle était trop jeune pour rencontrer le vrai monde de la célébrité. Mais cet avant-goût lui plaisait, non pas la célébrité en elle-même, plutôt le respect qu'elle lisait dans les yeux de ceux qui l'écoutaient. Certes, ils reconnaissaient sa voix et non son intelligence, mais elle savait avoir droit à plus que ce que son âge aurait dû pouvoir lui donner.

En grandissant, elle connut à l'école l'univers sombre de la dépression. L'isolement et ses prédispositions à cette maladie suffirent pour l'y plonger jusqu'au cou. Elle s'étiolait et s'éteignait petit à petit, souffrant sans parvenir à poser des mots sur ce qui lui faisait si mal. Il lui fallut voir un psychologue pour mettre des mots sur ce qui lui faisait si mal. Encore une fois, sa famille fut compréhensive et l'aida à aller mieux.

Lorsqu'elle obtint son diplôme de fin d'études, à dix-huit ans, elle partit pendant six mois en Irlande, dans le reste de sa famille. Là, elle réapprit à sourire, à se sentir bien. Il y avait, dans les Highlands, une ambiance unique en son genre qui lui fit un bien fou. Elle se sentait parfaitement en sécurité auprès de ses cousins, tous de dignes Higlanders grands et musculeux, tant et si bien qu'avec son mètre cinquante, elle avait l'air faite de porcelaine quand elle se tenait près d'eux.

Elle revint aux États-Unis plus solide et apaisée. Elle avait eu des aventures en Irlande, tant sexuelles qu'innocentes, et avait vécu si pleinement qu'elle s'en retrouvait mûrie. Toutefois, trois mois après être rentrée au pays, elle eut un autre problème, que rien ne l'avait préparée à affronter. Elle tomba enceinte. Inutile de dire que le fait de garder l'enfant était inenvisageable : elle ne savait pas qui était le père - les aléas de la contraception et d'une vie sexuellement libérée - et ne se sentait pas du tout prête à élever un enfant. Ce fut son frère aîné, qui avait déjà affronté ce problème avec son ex, qui lui suggéra une clinique à laquelle elle pourrait avorter. C'était un peu loin de la maison, du fait des lois liberticides des États-Unis mais elle s'y rendit.

Elle dut avoir recours à un avortement par aspiration car il était trop tard pour la voie médicamenteuse. Le soir venu, épuisée et seule - un avortement était loin d'être une promenade de santé - elle alla chercher un peu de réconfort dans un bar. Elle voulait juste boire sa bière en paix, mais ce fut ce soir si particulier que choisit un homme pour l'aborder. Quand elle refusa ses avances, il devint violent, criant et l'empoignant par les épaules pour la forcer à le suivre. Elle résista encore et sentit soudain une douleur horrible lui déchirer l'épaule. Le sang était tiède sur sa peau. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi ses jambes se dérobaient sous elle, pourquoi elle avait si froid, pourquoi le barman parlait d'une façon si paniquée dans son téléphone.

La rééducation, tant physique que psychologique, fut rude et longue. Il lui fallut du temps pour oser sortir à nouveau, pour faire confiance à nouveau. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait été agressée. Elle finit par se remettre, mais jamais totalement. Le fait d'être acceptée à Harvard, section musique, l'aida grandement à reprendre confiance en elle. Elle avait toujours eu d'excellents résultats, mais de voir qu'elle était parmi les meilleurs à l'examen d'entrée lui fit plaisir.

Sa première année se serait parfaitement bien passée... Si elle n'avait pas fait partie des élèves pris en otage par les élèves qui en avaient agressés d'autres sur le campus. Elle en fut malade d'angoisse et manqua plusieurs semaines de cours. Elle n'avait dû qu'à un élève de rester cachée dans la salle, mais l'angoisse restait là, rampante, sournoise. Elle connut une nouvelle dépression alors qu'elle comprenait qu'elle ne guérirait jamais parfaitement.

Elle allait entamer sa deuxième année à présent. Elle priait pour que cette fois, cela se passe mieux. Elle était fatiguée de lutter contre ses peurs.