DENYS ZACHARIAS ► Will Higginson

C’est l’histoire classique d’une destruction… Ca commence avec un petit garçon, le quatrième d’une famille de cinq gosses des bas quartiers d’Athènes. Le petit rigolo, toujours le sourire aux lèvres, plein de malice et premier partant pour faire des bêtises avec ses frères et sœurs. On ne roule peut être pas sur l’or ici mais on est riche de nos liens, de notre complicité, et pour rien au monde le petit garçon n’échangerait sa place. Parce que oui, l’histoire commence bien. Des rires, des jeux, des souvenirs impérissables… Et puis c’est comme tout, l’enfance se fâne trop vite et l’étape de destruction commence là, lorsque la maladie frappe la plus jeune, la petite sœur, Thalia… Le décès de la benjamine laisse un goût amer à tous et tout change soudain. Le comportement du père se durcit, se faisant harcelant sur l’aîné qui finit par s’en aller. Première fêlure sur le mur. Le deuxième frère s’en va aussi, s’engageant dans l’armée pour fuir l’ambiance familiale oppressante. Deuxième fêlure. Le troisième ne tourne guère mieux, se réfugiant dans la drogue. Le mur se fissure de plus en plus. L’espoir ne renait qu’un peu lorsque, sur le sol américain, trois des frères se retrouvent sur le célèbre campus d’Harvard. Et le petit garçon, las de voir ses deux frères se déchirer, il agit, il magouille, pour les faire s’expliquer, se retrouver. Renforcer ce mur tremblotant, retrouver un peu cette harmonie qui lui manque tant. Mais faut croire que la destruction était programmée. Un clash l’éloigne d’un de ses frères, alors quand un deuxième décès est annoncé au sein de cette famille, le petit garçon, qui a beau être devenu grand, ne supporte plus de voir sa famille ainsi explosée. Il s’en va, il s’enfuit. Assoiffé d’un ailleurs qui ne saurait être que mieux… Le mur tombe, détruit ?


« Denys tu ne peux pas continuer comme ça… » Mon regard croisa celui de Priape alors que ce dernier lâchait ces mots. Ca faisait seulement quelques semaines que l’on s’était retrouvés en Australie et jamais je ne m’étais attendu à un sermon de sa part. Mais fallait dire que Pri était devenu un vrai père de famille désormais. Un super poste à l’hôpital de Sydney, sa blonde, ma nièce Mila qui allait sur ses un an et Charlie, la fille aînée de sa copine qu’il comptait adopter, mon frangin était méconnaissable. Plus sérieux. Plus posé. Plus stable. Je redressai la tête vers lui, échangeant ensuite un regard avec Emrys qui était également présent pour l’occasion. Mon modèle, mon tout. Celui avec qui j’avais toujours eu une complicité hors pair, celui à qui je m’étais toujours le plus identifié. Venu de NY exprès pour cette discussion, pour Priape, pour moi. L’aîné de la famille hocha la tête, approuvant ce discours. « On ne fait pas carrière dans le fruit picking. On ne peut pas dormir dans un van toute sa vie… » précisa alors ce dernier. Je déglutis difficilement. Ma vie de bohème était finie : mon compte était à découvert à ce jour et je venais de demander de l’argent à mes frères. J’avais en effet dilapidé peu à peu mes économies en baroudant à travers le monde, entre voyages exotiques, missions humanitaires, excursions dépaysantes, soirées arrosées, tout cela entrecoupés de petits boulots pour se refaire une santé financière, dormant dans des auberges de jeunesses défraichies, j’en étais finalement arrivé à acheter un Van qui me servait de taxi et de toit… Mes frères n’approuvaient pas ce mode de vie nomade pour moi et refusaient donc de me prêter l’argent comme ça, les yeux fermés, pour que je continue dans ce sens. « C’est pas qu’on ne veut pas t’aider Den’… On va le faire d’ailleurs, cet argent on va te le filer mais… » Les deux grands frères échangèrent un regard entendu avant de poser leur condition : « Faut que tu retournes à Harvard. Faut que tu termines ton cursus, tes études… Tu décroches ton diplôme, tu t’assures un avenir professionnel stable. T’as bien profité là Denys, mais il faut commencer à penser à la suite. » Je restais muet quelques instants, leur paroles se répercutant en moi. Dans le fond, je le savais qu’il avait raison, que les récoltes saisonnières pour un salaire de misère que j’avais vite fait de dépenser en sorties bateau, plongée, cours de surf ou soirées cocktails, ça n’allait me mener nul part, que mes deux premières années à Harvard validées, mes connaissances en psychologie acquises alors, étaient gâchées et n’étaient pas rentabilisées… Cette discussion avec Emrys et Priape était le coup de pied aux fesses qu’il me fallait pour me décider. Je finis donc par hocher la tête lentement. « Vous avez raison… Je… J’ai eu besoin de déconnecter, de bouger, de prendre l’air… » Un petit sourire étira leurs lèvres. Parce que bien sûr ils comprenaient. On avait tous géré à notre façon le décès d’Arté, donc pas de jugement entre nous. « Faut que j’y retourne, si mon dossier est accepté… » commençai-je alors à dire, coupé par la voix assurée des deux garçons : « Il le sera Denys. » Cette confiance qu’ils avaient en moi, leur fierté, je sentis aussitôt une certaine pression sur mes épaules. Fini le baroudage, fini la déconne. Je devais être à la hauteur de ce que mes frères attendaient de moi. Harvard : à nous deux !