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the coffee cup.
Elizabeth Ford était votre femme britannique typique. Elle payait ses impôts, faisait son ménage et entretenait ses relations, comme toutes les autres femmes de la ville de Bristol. Comme elles, elle avait ses habitudes, par exemple, celle de prendre deux doses de café le matin au lieu d'une, ou encore, celle d'aller visiter la tombe de ce qui aurait dû être son premier enfant toutes les nuits, depuis des années. Comme toutes les bonnes femmes, elle savait masquer ses arrières pensées et émotions derrière le masque hypocrite du bien-être humain, n'étant cependant pas immunisée aux émotions négatives, tels que la jalousie, la colère ou encore, le regret. Et aujourd'hui, alors qu'elle était sur son lit de mort, Elizabeth se rendait compte que tous ces sentiments trop longtemps répressés revenaient à présent pour la hanter.
Elle se rendait compte à quel point la folie l'avait perdue. Elle se rendait compte à quel point la stupidité l'avait possédée. Et dans un élan inouï de lucidité, elle se rendait compte que c'était ce qui était lentement en train d'arriver à son fils. Jacobs. Le nom lui était familier, pour la simple et bonne raison qu'elle l'avait choisi. Le visage ... Commençait à lui échapper, par contre, ce qui était fort louable, étant donné le fait que son fils l'aimait à un tel point qu'il cherchait par tous les moyens à la voir le moins souvent possible. Néanmoins, elle n'était pas délirante au point d'oublier une période où tout était largement plus facile ... Une période où son fils avait été heureux, vraiment, heureux. Une période où Bentley Alexander Terrence Michael Adamson-Newton faisait encore partie de sa vie.
Et sur le grand plan des choses, elle avait l'intention de réparer les erreurs de son fils et de rétablir le bonheur universel ... Une dernière bonne action, avant son départ. C'était ainsi qu'elle voyait les choses, et c'était ainsi, aussi, qu'elles devaient l'être.
C'est comme ça que je me suis, à nouveau, retrouvé sur le plateau jeu. Moi qui croyait avoir été rayé de la liste et éliminé des participants, moi qui avait tenté d'aller mieux pour celui que j'aimais, et qui, en récompense, s'était fait lacérer le coeur par des mots plus aiguisés que des lames d'acier, moi qui m'étais juré de rester le plus loin possible de Jacobs, et, indirectement, de sa famille, je m'étais retrouvé, à nouveau, dans leur cercle vicieux. Et pourtant ... Autant que j'essayais, mon côté altruiste prenait toujours le dessus, malheureusement. J'avais l'impression d'être aspiré dans le vide intergalactique de leur univers, moi, pauvre cosmonaute perdu ne cherchant qu'à retrouver la planète du bonheur, quittée il y a si longtemps, et, vraisemblablement, encore bien loin d'elle. J'étais tombé dans le trou noir de leur galaxie, un véritable gouffre sans fin ni issue dans lequel j'étais enfermé contre mon grès.
Elle m'avait appelé, et comme la bonne poire que j'étais visiblement, j'avais décroché. Je me rappelle encore du coup de fil comme s'il s'était agi d'hier ... Mais avec eux, tant de choses se passaient en si peu de temps qu'on terminait toujours, un jour où l'autre, par en perdre les notions. J'étais resté sept mois avec Jacobs. De ça, j'étais sûr. Mais je ne savais plus combien de temps j'avais pleuré sa perte. Combien de temps j'avais été marqué par cet abandon des plus brutaux ... Et c'était sans doute parce qu'inconsciemment, quelque part, je n'étais toujours pas parvenu à m'en remettre. Elle m'avait appelé, et m'avait fait part de son envie de me revoir. Je passais par le coin ... Henley, Bristol ... Nous savions tous que dire que c'était loin serait mentir, à ce stade là ... Et c'est ainsi que je me mis à lui rendre visite. Orsay étant repartie avec Noah, j'étais à présent seul, chez mes parents. Et je n'avais rien de mieux à faire que de rendre visite à la mère de celui qui m'avait, autrefois, brisé le coeur.
Elle faisait de la peine à voir. Son souffle ralentissant, sa voix rauque ... Tout poussait à indiquer qu'Elizabeth Ford n'allait plus faire long feu ... Tout poussait à indiquer que ce n'était plus qu'une question d'heures, plutôt que de jours, et que ce lit blanc allait éventuellement finir par se vider, jusqu'à ce qu'une autre bonne femme cancéreuse finisse par avoir besoin d'un endroit où expirer son dernier souffle. Et je n'avais pu faire autre chose que l'écouter. J'étais venu, ces derniers jours, dans le seul et unique but de lui tenir compagnie, endurant seconde après seconde la douce torture que c'était de l'entendre vider son sac en me racontant sa vie ainsi que celle de son fils ... La première partie ne me dérangeant pas tant - Mme. Ford étant, après tout, l'une des femmes les plus fascinantes que j'ai pu rencontrer - je ne pouvais cependant pas m'empêcher de souhaiter qu'elle se taise quant au sujet de son fils ... Rien qu'entendre son nom, c'était trop pour moi. J'endurais en silence sa présence, sa compagnie qui n'en était pas tellement une lorsqu'elle piquait ses crises de colère contre ses infirmières ou qu'elle sombrait dans le délire de la manière la plus profonde qui soit ...
J'étais là pour elle. Moi, et non son fils. Encore une fois, je devais tout faire à sa place ...
Elle m'avait fait jurer de ne pas le prévenir, de ne pas l'appeler. Elle ne voulait pas lui infliger de souffrances supplémentaires, et je m'étais senti obligé de l'écouter. Et puis ... Un jour, en sortant de sa chambre d'hôpital, j'avais entendu les infirmières parler. Elle n'en avait plus pour longtemps.
Et c'est ainsi que la main tremblante, je levais le combiné téléphonique à mes oreilles, n'ayant plus entendu sa voix depuis maintenant 5 ans. C'est ainsi que des papillons au ventre, j'appelais son numéro ... Et c'est ainsi que je lui exposais les faits.
Il était encore au Summer Camp ... Il était encore en train de s'amuser, tandis que je vivais l'enfer qu'était celui de forcer un sourire face à une femme dont le piteux état me réduisait le coeur à l'état de cendres.
La masquerade dura trois jours encore, le temps qu'il vienne. Et puis, alors que je n'attendais plus son arrivée, m'étant dit qu'il n'avait pas encore perdu l'habitude de tenir ses promesses, telle que celle qu'il m'aimerait pour l'éternité, où qu'il ne m'oublierait jamais, je m'étais assoupi, épuisé, sur la chaise à côté du lit de Mme. Ford, avec un seul souhait en tête : celui qu'il la reverrait une dernière fois avant son départ 'pour l'autre monde'.
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