LYRA STRUDWICK ► Jemima Kirke

Quand on prie la bonne étoile, la fée bleue lève son voile et vient exaucer notre vœu. Parait-il... En ce qui me concerne la fée bleue a pris la tangente et la bonne étoile a brillé par son absence. Je ne me souviens pas de mes parents. Pour la simple et bonne raison qu'ils ont considéré mon corps alors frêle comme un fardeau. Je n'ai jamais su qui ils étaient et je n'ai jamais cherché à le savoir, je leur en veux trop pour tenter de comprendre ou même de pardonner. Les capotes ça existe bordel. Mais voilà, le fait est que je suis là et que donc en bon déchet sociétal, on m'a tout de même confié à une famille d'accueil particulièrement fiable selon les autorités. Les Strudwick. Les fameuses autorités n'avaient pas été alarmées par le fait que ce couple accueillait un nombre conséquent d'orphelins ? Non, ils devaient être soulagés que des citoyens s’accommodent de la basse besogne, élever les sans-racines, ceux dont on ne ne savait pas quoi faire. Alors ils ont fermé les yeux. Jusqu'à l'âge de six ans, je suis restée dans cet enfer. J'étais trop en colère pour fermer ma bouche, alors les coups se portaient souvent à moi. Alexander tentait parfois de dévier le courroux démoniaque mais ma rage était trop puissante pour me rendre invisible à leurs yeux. La seule chose positive dans cette histoire, c'est mes « frères et sœurs » de cœur. Quand les autorités ont découvert que la famille parfaite ne l'était pas tant que ça , je suis retournée aux foyers d'accueil divers et variés. Mes longues mèches dorées et mes yeux océans donnaient l'illusion d'un Angelot, alors parfois quelques parents ont essayé de m'adopter, mais j'étais un véritable démon, une écorchée hurlante, alors penaud, ils me rendait. Personne ne pouvait apprivoiser le feu à l'intérieur de moi.

La seule chose qui me tenait c'était ma curiosité du monde, mon envie de combattre pour les faibles, et l'écriture qui s'est révélée un véritable exutoire. Étrangement, mon niveau scolaire a toujours été bon, malgré le chaos que représentait mon environnement, je m'accrochais becs et ongles à mes études. Je rêvais de devenir Grand Reporter et je m'intéressais également à la photographie. Cela me permettait de capturer des instants qui me paraissaient capitaux. Oui mais voilà, pour entrer à l'université, il faut de l'argent et quand on a pas de parents c'est un peu compliqué. A la fin du lycée, j'ai cumulé les petits boulots afin de récolter des fonds, j'ai abusé de certaines substances aussi, trouvant là un réconfort illusoire, cela m'arrive encore à l'occasion, mais j'ai pris le large par rapport à ces duperies. J'ai toujours eu le don de me fourrer dans les situations les plus ardentes, le feu m'embrase et mon objectif déclenche, ainsi grâce à quelques clichés bien capturés, je me suis fait un petit nom dans le milieu. Enfin, un article que j'ai écrit sur le milieu des Escorts en me faisant passer pour l'une d'elles pendant quelques mois et en balançant quelques noms de clients célèbres et de belles images scandaleuses m'ont permis de toucher le pactole. De quoi me mettre à l'abri pour quelques temps, j'ai ainsi enfin pu postuler à Harvard, là où mes frères et sœurs étudient depuis un certain temps, et bonne nouvelle, j'ai obtenu le précieux sésame. Je vais ainsi entrer directement en troisième année par dérogation de ma précédente université en journalisme et photographie.

Je compte bien défendre mon existence par tous les moyens, je compte hurler mon nom, faire comprendre au monde que j'existe et que mes parents auraient peut-être du y réfléchir à deux fois. La vérité c'est que je n'ai plus rien à perdre, puisque je n'ai rien, mais au contraire tout à gagner. C'est sans doute pour cela qu'on me qualifie souvent par mon franc-parler et mon tempérament impétueux. Je ne m’embarrasse pas des habiletés sociales, mais je me laisse vivre comme je le sens, je suis une flamme libérée de ses carcans, j'évolue, je descends aux enfers et remonte au paradis, et je me contrefiche du bien ou du mal, je suis à mon image, tout simplement.