KAYLIAH S. TANLEYS ► Kelsey Nicole

Il était une fois, moi. Je te préviens, ma vie n'a rien de bien passionnant. J'suis une fille plutôt banale. Enfin à mon sens. Quoique quand je regarde autour de moi, j'me pose la question parfois...

Je suis née le 31 octobre 1996, à Sidney. Oui, parfaitement, je suis née le jour d'Halloween. J'ai d'ailleurs toujours adoré cette fête ! Bon par contre, mes prénoms... Kayliah et Sacha. Sacha. Un prénom qui correspond beaucoup plus un garçon, de mon point de vue en tout cas... Mais mine de rien, je préfère celui-ci, plutôt que Kayliah. Kayliah, c'est un prénom qui sonne de façon harmonieuse, qui sonne bien pour une qui se pomponne, qui est toute mignonne... Du coup, je préfère qu'on m'appelle Kay.

Euh attends. Ca veut pas dire que je suis pas mignonne, ok ? Mais j'veux dire, je suis plutôt le genre de fille à grapiller le plus de secondes de sommeil possibles le matin plutôt que de me lever une heure avant de partir pour avoir le temps de me maquiller. Tu situes, c'est bon ? Enfin si tu le veux bien, on va passer un peu à ma vie. Si t'es là, c'est que tu veux la connaitre de toute façon...

J'ai eu déjà une enfance plutôt simple. J'étais la petite blonde qui allait toujours vers les autres, mais qui avait -et qui a toujours, d'ailleurs- le plus gros esprit de contradiction qu'on pouvait trouver. Déjà petite, j'avais tendance à faire exactement le contraire de ce qu'on me disait. Pour la simple et bonne raison que recevoir des ordres, c'est pas trop mon truc... Surtout quand je compte faire quelque chose de moi-même, et qu'on me demande de le faire, du coup j'en n'ai plus envie. Enfin bref. Une enfance banale, aventurière un peu aussi. Comme je l'ai dit, je suis née à Sidney. En Australie, donc. Sur le continent où tous les animaux bizarres et dangereux ont été regroupés.

Depuis petite, ça ne me dérange pas de prendre des animaux ou des insectes en main. Je crois que le pire, c'était en classe. Quand les filles se mettaient à crier parce qu'il y avait une araignée, instinctivement je me levais pour aller prendre la bestiole qui effrayait tant de monde, et j'allais la mettre dehors. J'ai jamais compris pourquoi on me regardait avec dégoût après, mais bon, ça ne m'a jamais dérangée.

Je n'ai jamais eu peur de rien. Rien ne m'a jamais effrayée... A part les clowns. Je suis coulrophobe. Je te promets, rien que d'en parler j'en ai des frissons. Je suis capable de me mettre à pleurer à cause de ça. Je tremble, j'ai des sueurs froides.. Et le seul souci, c'est qu'à Halloween, y'en a toujours au moins un pour se déguiser en clown flippant, laisse-moi te dire que c'est pire que tout. Ma peur des clowns  vient en fait de choses tellement bêtes... Déjà, petite quand on allait au cirque, je n'étais jamais tranquille quand on croisait les clowns, ils me mettaient mal-à-l'aise. Ils faisaient des blagues bizarres, étaient habillés bizarrement, et leur maquillage n'en parlons même pas... Et il a fallu qu'une fois, à Halloween, on se fasse "attaquer" par trois guignols déguisés en affreux clowns. J'en ai des frissons rien qu'en m'en rappelant... Je devais avoir quoi, six ans ? On faisait la tournée des bonbons, comme tout enfant de mon âge, et tout à coup, trois jeunes déguisés comme ça déboulèrent, faisant exprès d'effrayer le plus de monde possible. Mais moi j'ai fondu en larmes, et j'étais même pas capable de courir pour m'enfuir. J'avais trop peur, et encore maintenant, je sais que j'ai peur un peu pour rien, mais j'arrive pas à m'en défaire. C'est comme ça...

Jusque là, je n'ai jamais eu un caractère dérangeant, à part mon côté contradictoire, mais on s'y faisait, et on finissait par deviner qu'avec moi, la psychologie inversée fonctionnait à merveille. J'avoue que maintenant que j'étudie la psychologie, c'est plus compliqué. Mais je sais que ça fonctionne, parce que je suis comme ça.

Puis ma mère est tombée malade. Je vivais seule avec elle, mon père étant mort avant ma naissance, je ne l'avais jamais connu. J'avais dix ans. Et tu sais quelle maladie ? La maladie de l' Aïm. A cause d'une putain de tique. Et le problème, c'est qu'on ne l'a pas su assez tôt, donc la maladie est incurable. On ne peut que la repousser, mais on sait tous que ce n'est pas éternel, et qu'elle va y passer. J'avais douze ans quand on l'a su, et j'ai commencé à être beaucoup plus turbulente à l'école. Pas méchante, mais facile à mettre en colère. Et je ne frappais pas, ou du moins pas en première, mais à partir du moment où on me cherchait, on me trouvait. Du coup je provoquais beaucoup. Je crois que c'est à peu près à cet âge-là que je me suis découvert une passion pour l'Art. D'abord, je passais mon temps à faire des cabanes. Puis ensuite j'me suis mise au dessin. Puis à la musique. Et petit à petit, j'ai commencé à toucher à tout.

C'est aussi vers cet âge qu'on a découvert que j'avais une mémoire presque eidétique. Je retiens tout. Je retiens en voyant, en entendant, en faisant... Et on l'a découvert, parce que malgré le fait qu'en cours j'étais dissipée, lorsqu'on me posait une question, je répétait exactement mot pour mot ce que le professeur avait expliqué. En général, je dessinais en cours, d'ailleurs...

Puis les années passaient, l'état de ma mère ne s'arrangeait pas. En tout cas, il ne s'améliorait pas. Un jour elle avait une estimation de dix années restantes à vivre, le lendemain on se ravisait et on disait trois, puis ça remontait à neuf... Et ma mère me répétait sans cesse de vivre ma vie, de profiter à fond, parce qu'on ne savait jamais ce qu'il pouvait arriver. Et c'est ce que je faisais. C'est peut-être un élément qui a fait que je ne me cachais pas. J'ai toujours assumé qui j'étais, et mes choix. Et puis si quelque chose ne me plait pas, je le dirai clairement à la personne concernée. Je crois qu'avec moi, il y a une chose qui est bien : je ne peux pas être hypocrite, c'est pas possible, on voit sur mon visage si j'aime ou pas la personne avec qui je parle. Ca se sent, ça se voit, c'est écrit sur mon visage.

A quatorze ans, je me suis attachée à un garçon. Un garçon que je connaissais depuis quelques temps déjà. Qui me supportait, moi et mes gamineries. En fait, mes gamineries étaient surtout des blagues, ou des choses comme ça. J'avais tendance à rire de tout. J'ai toujours eu un comportement pour le moins... Particulier. Il était calme, il était sympa, et c'était mon deuxième ami le plus cher pour moi. Je m'étais même calmée, mon esprit de contradiction acceptait d'aller dans le même sens que lui, enfin pas toujours mais en général, ou en tout cas j'arrivais à discuter avec lui quand il me disait que j'avais tort. Ce qui a toujours été, soi-dit en passant, très compliqué pour moi. Je n'admets jamais quand j'ai tort, ou très rarement. Et je tourne tous les arguments pour qu'ils soient à mon avantage, et ce même si je dois faire intervenir dans mon explication des araignées géantes violettes à poids rouges. Quoi ? J'viens d'Australie, ça n'étonnerait personne si on en trouvait là-haut, après tout...

Oui bref il devait me supporter. De temps en temps, on se disputait, mais jamais rien de grave, on se réconciliait. Je crois que c'était les moment où je prenais le plus sur moi, puisque ma meilleure amie était toujours là pour me mettre une claque et me remettre les idées en place quand c'était ma faute, et qu'il fallait que j'aille m'excuser. Je savais que je n'étais pas toujours toujours facile à vivre, mais je n'étais pas méchante, et puis il était hors de question pour moi de le perdre.

Jusqu'à... Ce 31 octobre... 2012. On s'était disputé. Pour la dernière fois. Oui, c'était mon anniversaire, et ma fête préférée. C'était à la soirée d'Halloween. J'avais l'impression qu'il m'évitait à moitié, et une dispute a éclatée parce qu'apparemment je ne lui laissait pas assez d'air... Ce que je compris pas, étant donné que j'étais la première à dire qu'il il fallait de l'espace parfois pour mieux se retrouver, pour ne pas étouffer ! Donc je suis rentrée. A pieds. Et il m'a suivi quand il a remarqué que j'étais furieuse et vexée... Et c'est là. C'est là que tout s'est passé. Qui ne fit que renforcer ce que ma mère me répétait. Il m'a appelée en courant pour rattraper. Il a traversé. Il n'aurait jamais dû... Une voiture passait au même moment. Il n'avait pas regardé. Elle n'a pas eu le temps de freiner, et l'a percuté de plein fouet. Mon coeur s'est arrêté de battre un instant, je ne savais plus où j'étais, ce que je devais faire. J'étais perdue. Et lui ? Il était mort. Sans que je leur demande, mes jambes avaient couru d'elles-mêmes vers lui, vers son corps inerte. Et j'avais vérifié : il ne respirait plus. Quelques minutes plus tard, les secours arrivaient, mais ils n'avaient pas pu le réanimer. Il était mort. Encore aujourd'hui, j'en suis totalement bouleversée. Et je me sens coupable, tellement coupable. Si ma meilleure amie n'avait pas été là, je crois que j'aurais littéralement pété les plombs.

D'ailleurs oui, je ne t'ai pas parlé d'elle. Ma meilleure amie. Elle est le genre chieuse, qui aime prendre soin d'elle. En fait on se ressemble un peu dans le caractère, on n'est pas meilleures amies pour rien. On s'insulte, on se fait des blagues entre nous qui pourraient paraître méchantes mais qui sont en réalité au contraire affectives. Par exemple à nos dix-sept ans, on avait décidé juste avant de postuler pour Harvard de partir se faire un bon week-end camping. Oui, en Australie, et oui c'est moi qui ai proposé, tu peux t'en douter. On est donc parties à pieds, toutes les deux, avec le nécessaire. Et le soir, on avait fait un feu de camps. On regardait tranquillement les étoiles, quand tout à coup, en se redressant on aperçut, sorti de nul part, un gros lézard, un vraiment énorme, presque un bébé crocodile, en face de nous, de l'autre côté des flammes que j'avais allumées dans un cercle de pierres conçu pour. Ma meilleure amie et moi le regardions, elle pétrifiée, et moi, plutôt... Fascinée, en fait. Elle m'avait regardée, et je m'en souviendrai toute ma vie, m'avait dit : « Kay, j'suis trop jeune et trop belle pour mourir, s'te-plait occupe-toi de ce truc ! » Et tu le sens venir. Toi-même tu sais ce qu'il s'est passé après. Naturellement, mon esprit de contradiction se manifesta en force. « Je vois pas pourquoi je le ferais bouger, il est bien là, il profite du feu et il me dérange pas moi, s'il te gêne, t'as qu'à t'en occuper toi-même. » J'ai craqué et je l'ai gentiment fait bouger au bout de dix minutes de supplications de la part de mon amie. Qu'est-ce que je peux aimer ce pouvoir que j'ai en n'ayant pas peur des bêtes !

En tout cas, depuis la mort de mon meilleur ami, j'ai un peu changé. J'ai toujours un esprit de contradiction puissant. Mais quand je me dispute avec une personne à laquelle je tiens, je vais m'excuser un peu plus facilement. Pas toujours, mais en général. Parce qu'à chaque fois, je le revois se faire taper par la voiture. Et la culpabilité et la tristesse reviennent d'un seul coup. L'angoisse, la peur de perdre quelqu'un d'autre aussi. Surtout que je sais que les jours de ma mère sont comptés, mais c'est elle qui m'a poussée à aller à Harvard. En fait non, tout le monde m'a toujours poussée à y aller, en réalité. Parce que j'ai des capacités énormes déjà quand je ne me force pas, alors quand je bosse, tu n'imagines même pas ce que ça donne. Et ensuite, je ne viens pas de la classe aisée. Je viens d'une classe moyenne, voire moyenne "moins". Bon je n'irai pas jusqu'à dire pauvre, parce que ce n'est pas le cas. Mais voilà. Et j'ai eu une bourse pour aller à cette université des plus réputées au monde. Alors ma mère m'a poussée à partir, malgré sa maladie. Et je l'appelle tous les jours, elle me tient au courant, et je fais pareil. J'ai tellement peur de la perdre, je sais que ça va être dur, et parfois quand j'y pense, j'en pleure.

Enfin bref. Aujourd'hui, je vais avoir vingt ans au prochain Halloween, ça fera également 3 ans que Aymerick est mort. Ca fait deux ans que j'étudie principalement la psychologie, et de façon secondaire l'astronomie. Oui, c'est très différent, mais je suis éclectique, que veux-tu ! Je m'intéresse à tout, j'aime tout savoir, même si au fond, on ne sait pas grand chose. Et maintenant ? J'attends de voir si des personnes seront prêtes à encore me supporter, moi et mon comportement immature...