NEVADA YOLAN FOX ► Jake Cooper

Ma vie à moi ? Pourquoi faire ? Elle est inintéressante. Ouais, un type intéressant peut avoir une vie inintéressante. Et alors ? Quoi, vous voulez toujours savoir ? C'est cent dollars. Ca va ça va je déconne.

Je suis né à Paris le 12 août 1992. J'ai un frère jumeau qui s'appelle Sidney, mais il a toujours préféré qu'on l'appelle Sid. Parce que « Sidney ça fait fille ! » Ouais, on en parle de Nevada ? Mes parents s'aiment, ils sont aisés, donc je le suis aussi. J'ai eu une enfance banale, je n'ai jamais manqué de rien. Mais il faut savoir que j'étais un garçon très solitaire. Du coup, des goûters avec les copains pendant la récré, ça ne m'était pas arrivé souvent. Et puis, j'étais ce genre de petit fouille-merde qui vient toujours chercher la petite bête juste pour emmerder les gens - je crois que je le suis toujours d'ailleurs. D'une certaine façon. -, vous savez, ce petit garçon qui se fait toujours tabasser par quelqu'un ? bah là, c'était moi. Mais bon, je le méritais bien aussi. Je me suis un peu calmé au collège. J'ai découvert l'art. Peindre. Les couleurs, le liquide sur le pinceau qu'on étale sur une toile parfaitement immaculée, salir cette toile pour en faire une oeuvre d'art propre à nous-même. Mon imagination était sans limites, et c'est là-dessus que je me suis toujours concentré, plutôt que d'aller chercher des noises aux tocards du coin.

Du coup, je passais mon temps dans un atelier, en T-shirt blanc et salopette en jean, les vêtements usuels quand je fais de la peinture. Et qui sont plein de tâches du coup. Des tâches indélébiles. Parfois, il m'arrive de mettre un T-shirt de peinture pour sortir, mais c'est rare. Parce qu'en fait - et je ne sais pas si c'est un défaut ou une qualité, mon frère a tendance à dire que c'est une qualité, mais ça, c'est parce qu'il est bordélique - je suis maniaque. Il faut que tout soit à sa place, sinon je m'y perds. Et cet espèce de tic a commencé lorsque mon père voulait ranger ma peinture à ma place. Je me suis mis à tout ranger moi-même, et puis ça s'est étalé sur ma chambre, puis sur la maison. Enfin bref. Niveau vie sociale, je me suis quand même vachement amélioré. Enfin, c'est pas l'avis de tout le monde, parce que je suis du genre gros connard qui n'hésite pas à envoyer chier les gens quand il se lasse. Mais ! Bon point, je suis loyal et fidèle. Enfin, j'crois que c'est un bon point ... Fin bref, voilà. Du coup, quand les gens sont venus à moi, je suis devenu un brin sociable. Mais très chiant. Et difficile à supporter.

Et puis, arrivèrent le lycée, les fêtes, l'alcool, la drogue, et aussi ... Les filles. Non mais je vous stoppe, les filles, c'est pas mon trip. C'est trop compliqué, ça complexe pour un rien, mais l'avantage, c'est qu'elles sont fragiles. Donc, facilement manipulables. Deux trois paroles qui font rêver, et elles te délivrent tous leurs secrets. C'est comme ça que j'ai réussi à en mettre une dans mon lit. Mais bon, elle a fait que dormir vu que j'arrivais pas à bander. Forcément, elle m'excitait pas ! C'est comme ça que j'ai appris que j'étais gay. Et je l'ai jamais caché. A personne. Parce qu'en fait, j'm'en branle de l'avis des autres. J'ai dû perdre deux trois amis, mais franchement, si c'étaient vraiment des amis, ils se seraient pas barrés par peur que je leur fasse des avances. Bande de cons, quand même.

Au lycée, on me disait souvent que j'étais tête en l'air. Parce que j'étais tellement dans mes pensées que j'en oubliais mon sac à dos dans la classe en partant. J'étais pourtant bon élève ... Dans les matières que j'aimais. Les autres, j'm'en foutais un peu. Mais bon, fallait bien que je réussisse pour pouvoir avoir le bac. Alors j'ai fait ce que j'ai pu. Quand j'ai appris que j'avais le bac, ça m'a rien fait. ... Non j'déconne, j'ai fini complètement bourré dans une ruelle endormi sur un banc à côté d'un clodo. C'était cool. Je crois ... Je m'en souviens plus. Enfin bref. Après, j'ai découvert que mon frère voulait partir faire ses études à Cambridge. J'étais un peu deg, et j'ai fait le con. Oh ça oui, j'ai vraiment fait le con. J'ai un peu tout fait pour le faire rester, quitte à me prendre deux ou trois marrons dans la gueule pour le convaincre.  Mais il est parti. Pour mon plus grand malheur. J'ai quand même appris à vivre avec, parce que j'avais des nouvelles régulièrement. On s'écrivait des lettres, on correspondait par Skype, par téléphone aussi. Qu'est-ce que j'en ai dépensé du pognon pour l'appeler. Mais j'm'en foutais, c'était mon frère.

J'ai eu quelques aventures avec des mecs, et puis une histoire avec Soan. Mon ex. J'étais en kiff sur lui. Mais lui aussi était trop con. Alors bon, ça s'est mal passé, puis on a rompu. Bon, des fois, on recouchait ensemble, juste pour le plaisir de se souvenir. Mais on était surtout bourrés en fait. Et puis le lendemain je me tirais en l'insultant. J'me souviens encore de son « Tire toi connard » qu'il me disait tous les matins quand je me taillais. Enfin, voilà pour ma vie amoureuse. Avant d'avoir vingt ans, j'avais demandé comme cadeau d'anniversaire à mes parents - je l'ai demandé à Noël en fait - si je pouvais aller à Cambridge rejoindre Sid. Il me manquait. C'est une feignasse mais il me manquait. Et son gros bordel aussi. Alors, le jour de mes 20 ans, j'suis partie pour Cambridge. La classe ! Ca va que j'étais bon en Anglais. Je me suis inscrit à la fac là-bas, pour pouvoir continuer mon cursus d'art, puis aussi dans le club de photographie, histoire de me faire des friends un peu. Je voulais pas être aussi solitaire qu'avant. Mais je reste Nev, et je suis con. Alors j'ai réussi à me trouver un peu d'amis, mais sérieux, je me demande encore comment ils font pour me supporter.

J'ai vécu pendant environ neuf mois avec mon frangin, « le temps que tu te trouves un appart » qu'il me disait. Je suppose que c'était parce qu'il détestait quand je bougeais son dépotoir pour le ranger bien correctement. Il aimait pas, parce qu'elle retrouvait plus rien après. Bon par contre, la vaisselle, il aimait que je la fasse hein, il disait jamais non pour ça. Il dit pas non encore maintenant en fait. Bon c'est mon frère, et je voulais pas partir. Alors je suis resté. Jusqu'à ce qu'il me pousse à trouver un job au Starbucks. Histoire que je me prenne un chez moi. Et j'ai trouvé un loft plutôt sympa pas très loin de chez lui, à Back Bay. Du coup, je passe faire sa vaisselle de temps en temps - et j'en profite pour lui redécorer son appart pendant qu'il me fait du café - et puis sinon, on se voit à l'extérieur.

En août 2015, j'ai rencontré James à une soirée. Bon, j'vous cache pas qu'au début c'était un peu tendu entre nous. Mais pas une mauvaise tension. C'était plus une tension sexuelle qu'autre chose. On a couché ensemble, à l'abri des regards indiscrets. Parce qu'il n'assumait pas. Mais moi, j'm'en fichais en fait, au début, c'était pas mon problème. Puis tant qu'il me baisait, moi ça m'allait. Mais en réalité, c'était pas juste de la baise. J'sais pas trop c'qu'il s'est passé dans ma tête mais ça a commencé à dégringoler sévère. Disons que je me suis servi de lui, pour l'avoir dans mon lit. La possessivité et la jalousie sont entrés dans mon vocabulaire, et la provocation dans le sien. On voulait tous les deux la même chose, et on se cherchait, pendant des mois. Je crois même que je l'ai blessé avec tout ce que j'ai dû lui faire.

Jusqu'au jour où, finalement, on se dispute. Enfin, c'est un peu une dispute banale qu'on avait souvent, mais cette fois-ci, on s'est pas donné de nouvelles pendant quelques jours. C'était.. étrange. En sachant qu'il était toujours dans ma tête, alors je m'étais concentré sur mes études, sur mes peintures, à fond, pour tenter de l'oublier. Mais rien n'y faisais. Jusqu'au soir où, déambulant dans les rues à sa recherche, totalement défoncé, je le trouve dans un bar en train d'se faire latter la gueule par un gars. J'ai pas hésité une seule seconde à intervenir, j'me suis pris une mandale d'ailleurs. Mais j'm'en foutais. J'l'ai ramené chez moi. Et on a discuté. Il a découvert quelque chose sur moi - j'en parlerais un peu plus tard - un secret lourd à porter. Et on s'est avoué nos sentiments. C'était la meilleure nuit de ma vie, j'crois bien. Maintenant, on habite ensemble. Depuis peu, dans une grande maison. J'dis quoi moi ? Non, dans une maison géante. J'crois que j'ai jamais vu de baraque aussi grande de ma vie. Mais bon, on est heureux, et c'est tout ce qui compte. J'ai même un bébé labrador, qui s'appelle Lucky et que James m'a offert après ma virée à l'hôpital (c'est plus tard, ça aussi).

Maintenant, mon secret. C'est un lourd fardeau à porter parce que j'veux absolument pas en parler à mon entourage. Y'a que ma mère qui sait à ce propos-là, et James maintenant. Je suis né avec une maladie orpheline rare, qui n'a pas touché mon jumeau d'ailleurs. Ca s'appelle la Bêta Thalassémie. C'est une maladie qui bouffe mes globules rouges dans mon sang. Pas de bol, j'suis à la majeure. Celle qui nécessite une transfusion sanguine chaque semaine et un traitement adapté, parce que forcément, les transfusions font grimper mon taud de fer, alors il faut le réguler. J'ai même une carte qui dit que j'ai cette maladie, et qui donne les instructions au cas où je dois me faire hospitaliser en urgence. Je dois toujours l'avoir sur moi. Je l'ai caché à mon jumeau, et à tout mon entourage. Parce que j'veux juste pas qu'on me voit différemment de c'que j'suis, qu'on me prenne en pitié ou qu'on m'trouve des excuses bidon à mon comportement de parfait enfoiré. Et surtout, j'veux pas que mes proches s'inquiètent continuellement. Ca me foutrait les boules, sérieux, d'entendre toujours des « T'as pris tes cachets ? » ou des « Ca va ? T'es tout pâle, on devrait aller à l'hôpital si tu te sens mal. » je vous jure que ça me rendrait fou. Pas seulement de devoir me coltiner tout ça, mais aussi, et surtout, de savoir que mes proches s'inquiètent au moindre truc.

Enfin. Aujourd'hui, j'suis dans un état lamentable, pour avoir voulu défendre une amie. J'me suis fait latté la tronche par un gars bourré, qui voulait se défouler. Résultat des courses : perte de connaissance, une côte fracturée et le visage tuméfié. C'est génial ! Heureusement que James est là. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. En revanche.. Mon frère m'en veut beaucoup parce qu'il a découvert pour ma maladie. Et qu'il considère que je l'ai trahi. Je sais pas si un jour il reviendra vers moi. James dit que oui, qu'il reviendra parce que j'suis son jumeau et qu'il a besoin d'moi autant que j'ai besoin de lui. Mais le truc c'est que j'me mets à sa place, et j'sais pas si j'saurais lui pardonner s'il me faisait un coup pareil. Enfin, je pense que si, évidemment. Mais est-ce que c'est le cas pour lui ? J'en sais foutrement rien. Et j'ai peur. Voilà.

Voilà, heureux ? Bon, t'attends quoi ? J'ai la dalle moi. T'avais dit que tu me donnerais des Cookies et je les attends toujours. ... Eh, attends voir ! DONNE MOI CE PAQUET !

Mise à jour
Premier mois, noir. Toute bonne chose a une fin. Mais je ne pensais pas qu'elle arriverait si rapidement. J'ai passé trois merveilleux mois à ses côtés. Je n'en garde que le meilleur, et c'est pour cela que ça me fait si mal, en réalité. Comment pourrais-je être heureux en ces instants ? Comment pourrais-je être heureux sans lui..? Je ne voulais plus penser. Dans ce mois-ci, le premier mois suivant la rupture, j'ai repris mon ancien appartement. Je me suis enfermé dans mon atelier. J'ai peint. Je me suis défoulé, je dormais dans l'odeur de peinture, et je ne faisais rien d'autre. Les deux premières semaines étaient les plus dures. J'ai refusé catégoriquement de prendre mes cachets, et de me faire faire ces transfusions. Jusqu'au jour où mon frère m'a trouvé inconscient dans mon atelier, entouré et entaché de peinture. J'ai fait ensuite un petit séjour à l'hôpital. Mon frère était inquiet, il m'a donc pardonné. Mais.. Il m'a engueulé. Et il pouvait me dire tout ce qu'il voulait, aucun son ne sortait de ma bouche. Je suis rentré le lendemain chez moi, j'ai regardé un peu partout, et tout me ramenait à lui. Absolument tout. J'ai fouillé mes placards, et mes valises, pour voir si je ne trouvais pas quelques unes de ses affaires. J'en ai trouvé. Et j'ai dormi avec, sans sortir de chez moi, sans prononcer un mot, je les ai gardé sur moi jusqu'à ce que son odeur ait le malheur de disparaître. Mon frère passait la plupart de son temps avec moi, pour m'obliger à manger, et à faire le nécessaire. Et à prendre mes cachets aussi. Mais j'avais juste envie de mourir. De me laisser pourrir dans le lit, entouré de ces vêtements qui lui appartiennent.

Deuxième mois, toujours aussi sombre. Mon frère a réussi à me convaincre que je devais continuer à aller en cours. J'y ai été, et j'y ai trouvé une source d'occupation. Dès lors, je n'ai plus fait que ça. Étudier encore et toujours, jusqu'à devenir un robot lobotomisé. J'ai recommencé à parler, à dire bonjour, ça va, merci. Ce genre de banalités. Rien d'autre. Je ne voulais plus penser, je ne voulais pas parler de ce qui me minait. Mon frère, lui, le savait bien. Mais il avait bien compris que je n'étais pas prêt à en parler. C'était pourtant lui qui me récupérait tous les soirs sur mon bureau endormi, pour me porter jusqu'au lit. Je m'en veux de le faire souffrir ainsi. Je m'en veux. Mais je ne peux plus rien faire d'autre. Parfois, il me dit de sortir prendre l'air, le soir. Et je le fais, je promène Lucky et j'en profite pour faire la tournée des bars. Surtout pour regarder par les fenêtres, dans l'espoir de le voir. Pour voir comment il va. Une fois, je l'ai aperçu complètement bourré au comptoir. L'envie d'aller le voir m'avait pris, mais je n'ai rien fait. J'ai juste disparu, en me disant qu'il était mieux sans moi. Qu'il serait toujours mieux sans moi. Et puis je rentre encore plus déprimé qu'en sortant.

Troisième mois, lumière factice. J'essaie de faire des efforts, pour mon frère. J'essaie de sortir avec mes amis, et eux essaient de me faire sourire, ou de me faire parler davantage que les quelques mots que je prononce. Je ne fais plus que sourire très légèrement, et de façon totalement hypocrite. J'ai toujours l'impression que la joie m'a quitté, mais j'ai davantage l'impression d'être un robot programmé pour faire certaines choses, et rien d'autre. Et je fais tout, je cherche tout pour me souvenir de lui, comme si j'allais l'oublier. Comme s'il allait disparaître à tout jamais. Je rapporte chaque chose, chaque moment, chaque endroit à lui, comme si cela pouvait me sauver. Mais en réalité ça ne fait que me perdre un peu plus. Je suis totalement perdu dans l'amour inconditionnel que je porte à l'homme de ma vie, encore maintenant, et pour toujours.