PHÈDRIAS (+) Never say "who's there?"

Les journées se réchauffent mais les nuits sont toujours aussi froides. J'arpente Boston depuis une heure sans but précis, j'ai fait un peu de shopping sans réelle motivation d'achat puis, ce bar a croisé mon regard d'acier. Depuis, c'est l'amour fou. J'en suis à ma cinquième bière et je discute avec un ivrogne de la guerre au Moyen Orient. Je n'aurais jamais imaginé une telle situation en me levant, c'est ce qui rend la vie trépidante ! Sauf qu'il commence sérieusement à déraper et s'il ne veut pas que je lui colle mon poing en pleine figure, je dois bouger. J'écourte la discussion et au même moment, j'aperçois une femme avec qui j'ai failli m'envoler au paradis pour l'éternité. Son prénom était rare et inoubliable, Phèdre. Je reste bouche bée, la main sur l'épaule de mon interlocuteur puis je me décide à me lever et à rejoindre cette française au charme démesuré. J'arrive à ses côtés et commande deux verres dont un pour elle. " Comme on se retrouve ! " lançais-je en m'accoudant au bar tout en cherchant son regard. Je n'oublie pas la nuit qui a succédé à notre cauchemar. Dans la peur et la confusion, nous nous sommes confondus l'un dans l'autre. Nos chemins se sont séparés après cette nuit à l'hôtel, c'était intense, riche en émotions. Je savais pourtant qu'elle était étudiante à Harvard mais je n'ai pas cherché à forcer le destin. J'ai sûrement bien fait puisque ce malicieux nous met de nouveau sur le même chemin. " Tu vas bien depuis le temps ? " demandais-je en saisissant le verre fraîchement déposé par le barman.   

Il y avait certes des jours avec et des jours sans. Et sans dire qu'aujourd'hui en était un, il avait du moins été aussi fatiguant que les quelques autres précédents et Phèdre commençait vraiment à s'épuiser. Elle finissait le boulot très tard ces derniers temps, étant pour le moment sur des postes d'urgences vétérinaires de nuits, elle cumulait avec l'université des horaires monstrueux. En soit, cela ne lui aurait pas posé de problèmes, la jeune blonde sachant très bien gérer tout ça, s'il n'y avait pas les migraines et cauchemars répétés qui avaient décidés de revenir la hanter. C'était souvent, de façon irrégulière à cause de son hypermnésie, mais ces derniers temps, le tout se faisait plus pressant certainement à cause de son activité soutenue, et elle avait besoin de prendre une pause. C'est dans cet optique qu'elle s'était arrêté dans un bar qu'elle connaissait bien pas loin de chez elle en rentrant du boulot. Il était assez tard mais bien sur, l'endroit était encore plein. Elle s'installa au comptoir, attendant que le barman ait fini avec un client pour commander. Cependant, un homme la prit de vitesse en demandant deux verres. Elle avait reconnu sa voix bien avant qu'il ne s'adresse à elle. Un sourire vint étirer ses lèvres avant de relever le regard surpris vers son voisin, dont la vue lui en rappela bien d'autres qu'ils avaient partagées il y a quelques temps. Le tout après s'être froidement engueulé pendant 15 minutes et avoir failli s'écraser au milieu de l'océan. Longue histoire. Tobias ! Le fait qu'il soit prof à Harvard devait être plus ou moins la seule chose qu'elle avait apprit de lui ce jour-là et à cause des évènements, ils n'avaient jamais gardés contact par la suite. Vu la taille de Boston ou Cambridge, c'était plutôt étonnant de le recroiser ici. On fait aller, et toi ? Qu'est-ce qui t'amène ici ? C'était son quartier et s'il habitait dans le coin, c'était un miracle qu'ils ne se soient pas croisés plus tôt.

Elle se souvient de moi. Comment aurait-elle pu m'oublier ? Du moins, oublier la situation dans laquelle mon visage avait été associé. Nous avions frôlé la mort et nous avions célébré la vie la nuit même. Je ressens une certaine fatigue dans sa voix ou bien elle n'est simplement pas d'humeur ce soir. Je ne la connais pas du tout pour savoir la raison de son état. Et si c'était ma venue qui ne l'enchantait pas ? Je l'ai peut être dérangé, et merde. " Ça va aussi. Tu es toute seule ce soir ? " demandais-je en commençant à siroter mon verre. Je crois que ma question ressemble à celle d'un pervers, d'un psychopathe en puissance dont le but de sa soirée est de ligoter une jeune femme dans sa cave. Je ne suis pas le plus doué pour parler aux femmes. Les débuts sont toujours douloureux pour mon ego. " Je me suis perdu, enfin, je me promenais depuis un moment et j'ai eu envie de boire un coup " rajoutais-je nerveusement en posant mon verre. Les mecs qui rodent ce soir ne sont pas clairs, j'ai l'impression d'avoir bien fait de m'arrêter ici. Elle paraît si frêle pourtant le peu que j'ai pu découvrir d'elle dans notre vol commun m'avait montré le contraire. C'est une femme têtue et intelligente. " J'ai un peu trop bu, je vais m'arrêter là pour ma part " déclarais-je en glissant quelques billets au serveur. Je n'allais pas non plus m'imposer dans son espace, elle était peut être la pour se retrouver seule. Je lance quelques regards méfiants autour de la jolie blonde et lui signale que je vais m'en aller. " Bon, je suis ravi de savoir que tu es encore vivante après ce que l'on a vécu, ce n'était pas une malédiction finalement " constatais-je en souriant légèrement. Troublé, je recule maladroitement en lançant mes index vers Phèdre tout en lui adressant un clin d'oeil pathétique. Je crois que cette fille me fait peur, c'est dingue. Physiquement elle n'a rien de terrifiant, bien au contraire, mais son charisme est particulier. Elle paraît sophistiquée, prête à me dégommer au moindre mot de travers. Je me fais sûrement des idées. Dehors devant le bar, je sors une cigarette de ma veste et l'allume, pensant de nouveau à ce jour où j'ai eu la trouille de ma vie. Comment ai-je pu m'enfuir comme ça ?   

Phèdre n'oubliait rien. Jamais. C'était là le fardeau qu'elle portait depuis la naissance. Elle pouvait donc presque entendre les cris dans l'avion lorsque le doute avait explosé, lorsque les mesures de sécurité étaient données, parfaitement inutile dans la situation dans laquelle ils se trouvaient. C'était surement pour tenter de calmer les passagers, ce qui n'avait pour résultat que de les affoler un peu plus. Les enfants pleuraient, les plus peureux tremblaient, d'autres criaient sans savoir réellement la raison de l'arrêt d'urgence qui venait d'être annoncé. Tobias et Phèdre, qui s'étaient retrouvés voisins de siège ce jour-là, avaient subitement arrêté de se disputer pour une raison idiote et s'était regarder, soudainement du même avis. Ça craignait sérieusement. Oui, j'avais... juste envie de me poser un peu avant de rentrer chez moi. Elle eut un petit rire à la suite de sa phrase. Tu sais, tu peux assumer de t'être perdu, ce n'est pas la fin du monde. Pour la suite, elle n'eut pas le temps de répondre qu'il s'en allait déjà, ayant déjà payé pour eux deux, qu'il s'en allait en direction de la sortie. Mais quelle mouche avait bien pu le piquer celui-là pour qu'il se barre comme ça ? Elle savait qu'elle pouvait paraître un peu froide parfois et peut-être la fatigue accumulée avait laissé paraître à Tobias qu'il était de trop. Phèdre le regarde s'éloigner, quelque peu éberlué par sa réaction inattendue. Sur un coup de tête qui la caractérisait parfois, elle finit son verre d'une traite, salua le barman qu'elle connaissait de vue et sortit à son tour, retrouvant Tobias entrain de fumer sur le trottoir. On ne t'a jamais dit que c'était très impoli de partir comme ça ? dit-elle légèrement avec un petit sourire amusé, posant ses yeux bleus sur lui avant de venir d'adosser au mur.

Spoiler:

Je ne vois pas ce que je fais ici, sérieusement, j'ai perdu la tête. Je dois me ressaisir. Je ne veux pas empiéter sur l'espace de Phèdre. " Je ne me perds jamais " lui répondis-je, tête haute tout en payant l'addition de nos deux consommations. J'ai ensuite pris la poudre d'escampette, comme un voyou. J'ai rencontré la nuit noire, afin de me sentir moins seul, j'ai allumé une cigarette, une amie fidèle. Ma solitude pris fin lorsque la voix de Phèdre rompit le silence qui m'entourait. " Non, je me sens toujours de trop, je veux pas t'embêter et m'imposer " répliquais-je en tirant sur ma cigarette. Apparemment, j'ai dû me tromper, si elle est venue me retrouver, c'est qu'elle se sentait aussi seule que moi. La jolie blonde s'adosse au mur, à mes côtés, je sens son regard se poser sur moi. Je la regarde à mon tour, ses yeux sont d'un bleu très troublant. " Tu viens on marche un peu ? " lui proposais-je en abaissant ma clope et en lui offrant un léger sourire. Je n'attends pas sa réponse, j'emboite le pas sur le trottoir, passant devant elle tout en écrabouillant ma cigarette sous la pointe de ma chaussure. La rue est déserte, je ne sais même pas où elle mène vraiment, nous verrons bien. Phèdre arrive à ma hauteur et en peu de temps, nous marchons en symbiose. " Alors, quoi de neuf depuis que nous avons failli y passer ? " lui demandais-je en roulant des mécaniques tout en me dirigeant dans la brume s'abattant sur la ville.