Le hasard fait parfois de la merde ○ Sergeï

Les personnes se promenaient, certaines rigolant avec leur compagnon, les autres arborant un visage grave, tentant sûrement de régler un problème qui leur pourrissait la vie. Et moi j'étais là, un inconnu parmi tant d'autres, écoutant sa musique en même temps d'observer les autres, fasciné par la diversité de ce monde, oubliant le but premier de cette promenade : m'acheter un maillot de bain. C'était bientôt l'été et j'avais envie de renouveau, de m'acheter de nouvelles choses, en plus j'avais besoin d'air frais. Rester trop longtemps enfermé dans cet appartement me déprimait alors que là, au milieu de ces gens tellement différents les uns des autres, je me sentais revivre. Enfouissant ma main dans une poche, je tâtais mon porte feuille, vérifiant qu'on ne me l'avait pas piqué. Malgré l'ambiance paisible de cette rue, il y rôdait des voleurs alors autant se méfier, surtout que tout mon salaire était là dedans. Si on me le piquait, j'allais être dans la merde, déjà que financièrement ce n'était pas encore le luxe, en même temps j'étais serveur et ne pouvais pas me permettre une villa. Faire du shopping n'était, du coup, peut être pas raisonnable mais je m'en fichais, voulant sortir un peu. Peut-être allais-je croiser quelques amis, cette endroit était après tout le lieu de rendez vous de beaucoup d'étudiants, pourvu que je ne vois pas d'ennemis, voilà tout ce que j'espérais. Jusque là, mon vœu semblait se réaliser, jusqu'à ce que j'aperçoive une silhouette familière. Ne la quittant pas du regard, je tentais de deviner qui c'était. Honnêtement, j'aurai préféré ne pas m'attarder dessus, ne pas lui donner le temps de me remarquer aussi. Parce que, oui, une fois que la personne s'était rapproché, il était devenu trop tard pour faire marche arrière. Sergeï était là et me regardait, attendant peut être un bonjour amical.

Avant que je puisse faire demi-tour et fuir, Sergeï était là, en face de moi, me demandant comment j'allais. Oh personnellement tout allait bien, la vie était belle, je me promenais tranquillement, le seul problème était lui, cet homme que je ne supportais pas. Malgré tous mes efforts, je ne pouvais pas le voir, il ne m'inspirait pas confiance, m'hérissant les poils à chaque vois qu'on se croisait. Alors imaginez ma tête quand, en aussi belle journée, je venais à le croiser. Mais bon, mieux valait rester poli, après tout il avait tenté de m'aider parfois, m'arrachant quelques sourires quand rien n'allait. Arrachant mes écouteurs de mes oreilles, je les rangeais dans ma poche tout en lui répondant : « J'vais bien et toi ? » Allez réponds moi oui et laisse moi filer, ne prolonge pas cette torture s'il te plaît Sergeï. Il y avait des limites à ma patience et, là tout de suite, je les avais presque atteintes, même si ça ne faisait que quelques secondes qu'on parlait. Au fond, Sergeï c'était un gars bien mais nous ne partagions pas les même valeurs alors il était simple de comprendre pourquoi cette conversation n'avait aucun intérêt. Sans feeling, sans compréhension, il n'y avait pas d'amitié mais ça le jeune homme ne semblait pas l'avoir compris. « Par contre je suis désolé mais j'ai pas beaucoup de temps aujourd'hui » rajoutais-je dans l'espoir de pouvoir écourter cette conversation. Avec un peu de chance il me dirait que ce n'était pas grave, qu'on parlerait une autre fois et me laisserait partir. Et dire que je voulais passer l'après-midi ici. Tout était foutu maintenant.

Le jeune homme commença à faire la conversation, ne voulant apparemment pas me laisser partir, ou tentant juste d'être poli je ne savais pas trop. En tout cas je n'allais pas l'envoyer voir ailleurs quand il essayait d'être gentil, certes j'avais du mal avec lui mais au fond il n'était pas mauvais. « Ouais ça a l'air génial ! On va pouvoir profiter à fond et, te connaissant, tu vas aussi tenter de séduire quelques femmes innocentes » plaisantais-je, voulant apaiser cette tension qui régnait, rendre cette conversation naturelle. Puis, alors que je pensais qu'on allait rester à discuter pendant encore quelques heures, il m'annonça qu'il voulait aller voir les cabots, me rappelant que je l'avais vu avec Ombre au bal. Devais-je lui demander si il la connaissait bien ? S'il y avait quelque chose entre eux ? Je n'en savais rien et, à vrai dire, une partie de moi préférait imaginer qu'il n'y avait rien, qu'ils étaient juste des connaissances. Mais je devais aussi savoir car Ombre avait été mon amie et, même si pour l'instant on ramait à retrouver nos délires, je me devais de veiller sur elle. En plus, peut être que Sergeï pourrait me donner des nouvelles d'elle. « Attends deux secondes » finis-je par lâcher, toujours hésitant. Allez, il fallait demander, qu'est ce que j'y perdais de toute manière ? Nous n'étions qu'amis avec la jeune femme non ? « Au bal, je t'ai vu avec quelqu'un, avec Ombre en fait. Tu la connais bien ? » Je devais paraître con à demander ça ou possessif, peu importait mais Sergeï devait voir que je n'étais pas bien. Après tout, c'était encore une surprise de savoir qu'ils se connaissaient, d'imaginer qu'ils aient pu partager plus qu'un verre ensemble.

Voilà, je l'avais posé cette question qui me brûlait les lèvres après plusieurs jours à me demander ce qui se tramait entre Sergeï et Ombre, mon ancienne amie. Debout, en face de lui, j'attendais sa réponse, m'imaginant tous les scénarios de simples connaissances à sex friend qui renient leurs sentiments. Mais ce que Sergeï me dit à ce moment là me rassura et me fit grimacer en même temps. D'un côté cela voulait dire qu'Ombre était encore libre mais de l'autre cela signifiait aussi qu'il n'était pas assez proche d'elle pour lui parler de moi en bien sans que ça paraisse étrange. Oui, parce qu'Ombre et moi c'était du passé maintenant, elle m'en voulait de l'avoir laissé tomber et ne comptait pas me laisser revenir dans sa vie aussi facilement, en tout cas c'était ce que j'avais constaté. Soupirant, j'ignorais s'il fallait raconter tout ça à Sergeï, si ça l'intéressait vraiment ou s'il demandait ça par politesse. Le jeune homme avait toujours tenté d'être là pour moi malgré le nombre de fois où je lui avait dit de partir. Peut-être méritait-il enfin de savoir la vérité, que je lui donne une chance. « Viens on va s'asseoir ça sera plus simple pour parler » lâchais-je, indiquant un café à quelques mètres de nous. Sans l'attendre, je m'asseyais à une table à l'extérieur, espérant que me confier à lui soulagerait ce poids sur mon cœur. « Je la connaissais bien pour tout te dire, on est des amis d'enfance, enfin, on était... » commençais-je à expliquer, le regard baissé vers le sol, réfléchissant à comment présenter le reste de l'histoire, finissant par décider que finalement mieux valait être honnête. « Quand mes parents adoptifs sont morts, je l'ai laissé tomber, je l'ai ignoré ne voulant parler à presque personne, j'voulais pas paraître faible mais bon ça a eu des conséquences mais j'assume mon choix ». Faux, je n'assumais rien du tout, si je pouvais repartir en arrière et tout changer je le ferai. Relevant la tête, plantant mon regard dans le sien, je finissais par le conseiller : « C'est une femme bien, foire pas tout ».