DIETRICH F. STIEFEL ► Sid Ellisdon

C'est là que tout commence. Après plusieurs années de vie ici, dans ma petite Aix-la-Chapelle, j'avais décidé de partir ailleurs, de voyager. J'avais envie de découvrir le monde, de voir du nouveau paysage, pas de rester dans mon petit confort, dans ma famille, dans mon vieux quartier que j'ai déjà vu maintes et maintes fois... J'ai envie de partir, même si j'en paie le prix gros... Mais bon, avec la petite fortune que j'ai reçu de mes parents, je sais que j'ai les moyens de prendre le large. Premier arrêt: l'Alsace. Quand même, quand tu sors pour une première fois, mieux vaut rester près de chez toi. Le jour du départ est arrivé très rapidement, de toute façon. J'avais tellement de préparatifs à faire pour le voyage, je n'avais pas vraiment le temps de voir passer les jours, les heures, les minutes. Mes parents sont là, le visage fier, et à la fois un peu morne. Ma mère semble être sur le point de pleurer, et mon père fait ce qu'il fait le mieux: faire semblant d'être totalement impassible alors qu'au fond, tout ce qu'il a envie de faire, c'est de s'écrouler sur le parquet et remplir à lui seul une piscine creusée avec ses larmes. Je souris, espiègle, devant leur mine déconfite, mais au fond, je ressens ce pincement au coeur que tout le monde ressent quand il se prépare à partir ailleurs. Je serre ma mère dans mes bras, et elle, de son côté, rentre involontairement ses ongles à travers mon pull. Je grince un peu des dents, mais je souris tout de même: on m'a toujours dit de ne rien laisser paraître. Mon père, lui, me serre fortement dans mes bras. C'est le signe que le départ va être plus difficile que je ne le croyais, puisque je sens une goutte rouler longuement le long de ma joue. Il faut dire que j'ai passé presque 20 ans de ma vie ici, et c'est dur pour moi de partir... mais il le faut. C'est le début de mes voyages. Je dois aller ailleurs.

Mon père me lance une dernière parole avant que je ne prenne le départ pour les douanes:

-Prends soin de toi, Dietrich. Envoie-nous des lettres souvent, sinon ta mère va m'en parler pour des semaines.

Je lui lance un dernier sourire espiègle, mais cette fois, je ressens la marque des larmes qui coulent le long de mes joues.

10...
9...
8...
J'entends les sons du compte à rebours avant la fin de l'année. Je me lève comme une balle de fusil du lit où j'étais couché avec Damian, quelques secondes avant. Je ne voulais pas manquer l'occasion de célébrer la fin de l'année avec mon copain du moment. Celui-ci me remarquait, légèrement décontenancé, et me demanda à voix haute ce que je faisais (surtout que j'étais encore en costume d'Adam alors que je me précipitais avec la vitesse de Flash vers la penderie de la chambre de l'appartement qu'on partageait).
7...
6...
5...
Damian me regarde toujours avec le même air un peu perdu, alors que je fouille en grommelant dans le sac que j'avais amené. Lui avait la belle vision, certes, mais avait toujours l'impression que je me détournais de lui et que j'allais prendre la porte à tout moment.
4...
3...
2...
1...

-BONNE ANNÉE!!!

Je me retourne avec fougue, brandissant une bouteille de champagne et la sabrant avec une vitesse phénoménale. Le bouchon émet un son sourd alors qu'il s'envole avec grâce jusque sur mon oreiller. Je me dirige vers mon amoureux, le champagne commençant légèrement à couler le long de la bouteille, j'en verse dans les flûtes si bien disposées à la table de chevet (encore un de mes plans géniaux) et l'embrasse sur les lèvres. Quand je me retire, je le vois, essayant de retenir son envie de pouffer de rire. Moi, je ne me retiens pas. Je ris aux éclats, et je crois bien que c'est contagieux puisque Damian commence à pouffer.

-Ducon, va!

-Hey, me dis pas que tu as pas apprécié, mon beau! lui dis-je, fier de mon coup. Je ne pouvais pas célébrer la nouvelle année sans toi!

Je le serre dans mes bras pendant qu'il sourit. Je l'embrasse une nouvelle fois avant de décider d'avoir ne serait-ce qu'un tant soit peu de décence et d'enfiler un morceau de vêtement pour ne pas rester complètement nu toute la soirée. Il fallait que j'aille un peu de respect quand même. Je vois soudain son visage se renfrogner, et je comprends la raison. Je ne peux me retenir d'échapper un regard triste.

-Tu dois vraiment partir à la fin du mois?

-Ouais... j'ai d'autres choses à faire, et je dois commencer à penser à m'établir...

Je vois bien que ça ne lui fait pas plaisir... je m'en veux un peu. Je l'aimais, Damian... mais je savais qu'il fallait que je parte encore une fois. De toute façon, il le savait dès qu'on avait commencé: il ne pourrait pas me retenir si l'appel de l'aventure me parvenait encore aux oreilles.

Et il m'était parvenu... Malheur à moi, malheur à lui...

J'aurais presque voulu lui résister... mais je ne peux pas...


Quand je parlais de m'établir, eh bien, ce n'était vraiment pas ce que j'imaginais. Après avoir perdu au moins un mois à Montréal à attendre un correspondant qui ne venait pas (un jour, Oli, j'aurai ta peau!), me voilà au pays de l'Oncle Sam pour poursuivre mes études en Arts Visuels... Je crois bien que les prochaines années seront plutôt intéressantes, même si je déteste revenir aux études (un an à Oxford, c'était déjà beaucoup demandé, disons...). Mais bon, autant se servir de ça pour rester à un endroit un peu plus qu'un an, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie.

Allez hop, au boulot! Il y a des modèles à trouver, des histoires à partager, et des gens à séduire.

Willkommen , mein herr, an der Harvard University .