CLEANTE DE GISSANT-BLAZAC ► louise bourgoin

C’est comme-ci tout ce que je venais de vivre n’existait plus, comme-ci je n’étais qu’un simple numéro sur une fiche, je suis six pieds sous terre, à moitié morte, mais encore assez vivante pour souffrir. Je n’ai plus de vie, plus d’esprit, plus d’amis, je ne suis plus rien, plus rien du tout. Enfermée dans ces quelques mètres carrés insalubres, je réfléchie, pense, fais les cent pas, puisque je n’ai que ça à faire. Je ne peux pas sortir, je suis enfermée comme un lion dans sa cage qui attend de rentrer dans l’arène pour se donner en spectacle, mon arène à moi c’est le tribunal. En attendant le jugement je ne peux que me préparer au pire et penser au meilleur. Ma vie n’a été qu’une série d’échec jusqu’à maintenant. Je suis allée en prison sans passer par la case départ et sans toucher vingt milles euros. Je suis pauvre, autant d’esprit que réellement, je n’ai plus un sou. Je me suis fait déshéritée, je n’ai plus rien, à part l’espoir d’un jour sortir de cette pièce, libre et non pas les mains dans le dos, escortée. Si seulement je n’avais pas été si naïve, si seulement je n’avais pas été moi même mais quelqu’un de fort, qui sait résister et qui tombe sur des gens bien, comme dans les films américains. Avant je faisais partie de ces premières de la classe bourgeoise qui n’ont que faire des garçons et de leurs jeux stupides. Avant je n’étais qu’une simple fille, celle que personne ne connaît, que tout le monde ignore. A présent je suis en prison pour avoir été complice d’un baron de la drogue. Qui aurait pu imaginer un tournant pareil dans ma vie ? Certainement pas moi ! Si seulement je n’avais pas accepté ce verre ce soir-là dans ce bar. J’étais triste, je n’avais plus rien pour moi, j’étais faible, je me sentais faible, je ne voulais qu’une chose : sombrer dans un rêve heureux pour l’éternité. Il est venu, il a vu que je ne pourrais pas luter, et je me suis laissée entraîner dans cette chute infernale, tel un ascenseur sans fin. Il m’a appris ce que je ne connaissais pas, ce que je ne voulais pas connaître, mais que j’ai appris malgré tout. Il m’a laisser mourir sans rien faire, je n’étais qu’un simple corps, vide, pourtant je paraissais heureuse, et je l’étais à l’époque, sans doute à cause de toutes ces choses qu’il me donnait t dont je suis vite devenu accro. Il n’y a pas que ça dont je suis devenu accro, il y a aussi lui, il m’a rendu accro à lui, à ce qu’il est, un horrible personnage qui m’inspire que la haine, mais que pourtant j’ai aimé à la folie, comme jamais je n’avais aimé quelqu’un, quel connerie l’amour ! Je ne connais plus personne, je ne suis plus personne, peut être un jour je redeviendrais quelqu’un, quelqu’un de normal, avec des amis, une famille, un chien et trois poissons rouge. Mais là je n’ai qu’une colocataire terrifiante qui donne la chair de poule rien qu’avec un regard. On dirait qu’elle veut me manger. Il faut que je sorte d’ici, je vais y arriver, il faut juste que j’y crois, que je crois en moi, même si c’est difficile. Je n’ai jamais cru en moi, comme tous ces gens qui n’ont jamais cru en moi non plus.

L’air libre, l’air frais, la liberté, enfin je suis sortie de cet enfer, après deux mois passés à tourner en rond dans une cellule plus petite que des toilettes. A présent, je revis peu à peu, j’ai toujours mes démons qui me suivent, et j’ai peur qu’ils me rattrapent un jour et me remettent la tête sous l’eau. Je ne peux plus rester ici, il faut que je parte, je n’ai pas fini mes études, je n’ai rien fini, même pas mon plat de lasagne laissé en plant sur la table de la cuisine le jour où j’ai eu la visite d’une brigade de la police venu pour me dire qu’à présent ma vie continuerait d’être un enfer jour et nuit. J’ai envoyé des demandes partout, je veux faire quelque chose, peu importe quoi, même travailler dans une pizzeria ! Je ne veux plus penser au passé, je veux vivre dans le présent, ne pas penser à ce que sera demain, l’année prochaine ou dans dix ans. De toute façon, un avenir, je n’en ai plus, même si je suis libre, je reste enchaîné à ce casier judiciaire trop rempli pour que l’on me laisse faire quoi que ce soit.

J ne sais pas si je suis à ma place ici, toutes ces personnes toutes plus parfaites les unes que les autres qui se questionnent sur leur avenir. N’est-ce pas un comble ? J’aide les étudiants à trouver de quoi sera fait leur avenir alors que je n’ai pas su diriger le mien. J’ai un doctorat, je suis docteur, mais je n’aime pas ça, je suis docteur en psychologie alors qu’en fin de compte je n’y connais rien aux gens, aux sentiments et à ce qu’on peut ressentir. Pour le moment je vis, mais pour combien de temps encore ?