Ananas. Il me faut absolument de l'ananas. Voilà ce que je me dis, allongé sur mon nouveau lit dans une des chambres de la Winthrop House. Non pas que j'ai un trip avec les ananas non. Elle ne sont pas nécessaires à ma survie, et je ne les aime pas plus qu'un autre fruit. Je préfère même les pamplemousse. Mais allez savoir pourquoi, ce putain de décalage horaire m'a complètement déglingué le cerveau. Deux heures que je suis allongé, à penser à tout et à rien, et surtout à n'importe quoi. Si on m'avait dit que la fatigue pouvait vous rendre con... 27h sans sommeil, un record pour moi. Et pourtant, j'en ai fait des nuits blanches, à courir dans les bars, à payer des verres et à lécher des culs. Mais c'est aussi pour ça qu'on me demande, pas vrai ? Quand je ferme les yeux, je repense à toutes ces conneries qui m'ont permis d'en arriver là. Je n'ai jamais fumé, jamais été drogué, je n'ai jamais fait quoi que ce soit de répréhensible. Si l'on exclue mon boulot de nuit, bien évidemment. Ma mère est fière de moi. Elle le serait beaucoup moins si elle savait le nombre de ses copines qui ont passé la soirée avec moi. Elle ne s'en remettrait pas. Elle a déjà suffisamment de mal à se sortir de ce profond gouffre dans lequel elle a glissé à la mort de mon frère. Si son urne n'avait pas été là, posée sur la cheminée, personne n'aurait jamais su qu'il avait existé. Pourquoi ? Parce que ma pauvre mère en fait presque un secret de famille. Et pourtant, pas de quoi avoir honte, non. La mort de mon frère n'était pas choquante, pas dans le sens débile du terme. Elle était tragique, inattendu. Je me revois encore, le matin de son départ, et je le revois, souriant sur le pas de la porte. Contrairement à mon alcoolique de père que je ne regretterai jamais, en voyant le dos de mon frère disparaître dans la clarté du matin, mon cœur s'est serré. J'ai su qu'il était parti pour toujours, au plus profond de moi. Et toute cette douleur avait déjà bien noirci mon cœur avant même sa mort. Et je suis resté debout, pour la mémoire de celui qui avait été mon roc durant toute mon enfance, quand notre père nous faisait vivre un enfer. Aujourd'hui, je suis sur ses traces, je marche sur ses pas, et mon hommage silencieux fait vibrer mon petit cœur noirci.
J'ouvre les yeux sur le plafond blanc et triste de la petite chambre. Je n'arrive pas à trouver le sommeil. Je revois le sourire de mon frère, j'entends le rire de ma mère qui se déforme petit à petit pour ne plus exister. Je revois le visage de toutes les femmes qui m'ont approché avec la simple envie de vivre, juste vivre aux yeux de quelqu'un, une toute petite soirée. Elles me font pitié, mais je gagne à leur offrir ce qu'elles veulent. C'est grâce à toutes ces femmes que je suis allongé là, dans le noir. Elles me donnent le droit de vivre mes rêves, et accessoirement ceux de mon frère. Mais ce soir je n'ai pas envie de penser à elles, de penser à ma mère ou à mon frère. Je n'ai envie de penser qu'à moi, qu'à ma gueule, parce que j'en ai marre de tout, de tout le monde. Je déteste cette chambre. Je déteste ce fichu décalage horaire. Je déteste tout ici. Moi qui pensais vainement me sentir chez moi ici... Je me sens seul, complètement isolé. Et avec une envie débile de manger de l'ananas. Allez comprendre. Tant pis, ce soir je sors. Je me lève non sans difficulté, la fatigue me taille les jambes. Je marche doucement car je ne suis pas seul et me dirige vers ma valise. Elle est nette et bien rangée, contrairement à ma vie. Je l'ouvre et prends quelques affaires, de quoi m'habiller correctement. Même si je ne bosse pas ce soir, je dois m'adapter à mon nouvel environnement, mes futurs clients... Je mets donc un tshirt blanc, avec un col en V, une veste en jeans noir et une paire de jeans noir. Classe mais décontracté. Je me recoiffe à l'arrachée, et sors dans la nuit.
Quand je vois le bar apparaître au coin de la rue, je hausse les épaules. Allons bon, pourquoi pas ? Je n'ai pas encore mes repères ici, le premier sera peut-être le bon ?...Je pousse la porte, et quelque chose retient mon attention. C'est un bar, oui, mais pas n'importe quel type de bar. Un bar artistique. Pour moi, un monde complètement inconnu. L'ambiance légèrement tamisée, des chevalets de part et d'autres, éclairés individuellement, avec des tabourets et des casques pour ceux qui veulent s'isoler dans leur monde, en musique ou non. Au centre, des tables où discutent certains clients, les bras couverts de peintures bariolées. Une musique simple et douce diffusent dans les hauts-parleurs. Je regarde autour de moi, surpris. C'est la première fois de ma vie que j'entre dans un de ces bars. Chez moi, à Londres, ça n'est pas courant. Plusieurs personnes se retournent en voyant que je suis arrêté sur le pas de la porte. J'avance donc d'un pas hésitant, regardant les murs où certaines des créations sont accrochées. C'est un bel endroit, c'est clair. Mais je n'y connais rien, moi, en peinture ! Je me dirige donc vers le bar, seule chose que je connais VRAIMENT bien. Assis sur mon tabouret, je commande une bière et m'asseois dos au bar, mon verre en main. Je fixe les personnes aux chevalets en imaginant le business que je pourrais faire ici. De belles femmes, des artistes à l'esprit débridé, des rendez-vous sexy dans cette ambiance tamisée, pour finir couvert de peinture... Ca me branche vraiment. Je me retourne et regarde les gens au bar. Deux nanas discutent autour de deux cocktails, un couple se roule un patin et un mec seul, les yeux dans le vide. Il est à deux chaises de moi, un verre dans la main. Ses cheveux mi-longs, blonds, flottent autour de son visage. Il a l'air un peu perdu dans son monde, et il m'intrigue. Je le regarde de haut en bas et réfléchit. S'il avait été une femme, j'aurais foncé sans hésiter. Ce sont les proies les plus faciles pour mon business. Mais non seulement c'est un homme, mais en plus il n'est peut-être pas intéressé... Et puis moi qui pensait passer une soirée sans bosser... Mais avec le billet d'avion, je suis un peu limite ce mois-ci. Je branche donc mon cerveau en mode analyse corporelle : un corps longiligne, des traits fins, un pantalon légèrement moulant, un je-ne-sais-quoi qui fait tiquer mon gay-dar. Oui, c'est sûrement un client potentiel. Je me lève, avance vers le tabouret juste à côté de lui en vidant mon verre. Je fais un signe au barman et lui dit en m'asseyant près du jeune blondinet :
- Barman, une bière pour moi, et un refill pour lui !
Il tourne la tête vers moi, surpris. Je lui fais mon sourire le plus doux en le regardant droit dans les yeux. Puis je ris un peu et lui dit :
- Désolé, je débarque et je me sens un petit peu seul, vu que tu es seul, je pensais que peut-être... (J'arrête de rire et lève les yeux vers lui, lentement) Que tu aurais besoin de compagnie ? A moins que tu n'attendes quelqu'un ? Sinon... (Je me mords la lèvre doucement) Je peux te faire passer le temps en attendant ton rencard ?
HJ : Désolée, la deuxième partie est pas terrible... ^^"