AJ ROZEN ► william eustace

C'est parce que ta mère t'a abandonné que t'es pas foutu de t'engager avec une fille aujourd'hui ? Je tourne la tête vers Sybille, étonné. Hein ? Que je marmonne, faisant preuve d'une grande éloquence. Ben ouais, ton père t'élève tout seul et tu m'as jamais parlé de ta mère. Du coup j'en ai déduis que c'était un sujet tabou. Et comme tu te poses jamais avec une fille, j'ai simplement fait une petite déduction. Je la dévisage, un peu contrarié d'avoir une telle discussion de bon matin. Je me redresse dans le lit, les sourcils froncés. Putain, heureusement que tu fais pas psycho toi, parce que t'es nulle à chier niveau déduction. Je secoue la tête de façon nonchalante puis soupire, un peu fatigué de ces gens qui cherchent toujours à tout comprendre et à vous foutre dans des cases. Elle m'a pas abandonné. Mes parents ont divorcé quand j'avais deux ans et le divorce c'est assez mal passé. Mon père s'est battu bec et ongles pour obtenir ma garde, juste pour foutre les boules à ma mère. Après ça, elle a déprimé sévère et elle est partie faire une espèce de quête spirituelle autour du monde. Le problème, c'est qu'elle n'est jamais revenue. Elle vit quelque part en Allemagne avec un groupe d'allumés du cerveau. Je l'ai revu que trois en dix ans, mais elle m'écrit super souvent. Elle est... J'hésite, souffle, malgré tout un peu gêné de parler d'elle. Un peu triste, aussi. Je dois bien avouer que je n'ai jamais trop digéré toute cette histoire. Elle est fragile, psychologiquement. Et elle a malheureusement rencontré des gens qui ont su desceller cette fragilité en elle et l'exploiter. Je pousse les draps et me lève, entièrement nu, pour aller me griller une cigarette à la fenêtre. Si je me pose pas, c'est juste parce que j'ai le temps pour ça. Pour l'instant, ça ne m'intéresse pas. Ça veut pas dire que je veux faire ma vie comme ça. Faut arrêter de chercher le compliqué quand tout est simple. Sybille n'a pas l'air convaincue. Elle se lève à son tour, s'enroule dans le draps maculé par notre nuit d'amour et me rejoint. Elle me pique ma cigarette et je la laisse faire, échappant simplement un petit rire silencieux. Donc, le fait que ton père ne se soit jamais remit avec quelqu'un après ça et qu'il soit le propriétaire d'un club de strip-tease, ça n'a jamais influencé non plus ta vision des femmes et du couple ? Je récupère sèchement ce qu'il reste de ma clope et grimace un peu, excédé. Hey, mon père il t'emmerde. J'apprécie pas franchement qu'on se permette de critiquer mon père. C'est peut-être pas le papa de l'année, mais il s'est toujours super bien occupé de moi et je l'admire vachement. Je recrache la fumée nerveusement et vient passer ma langue sur mes lèvres, appréciant de moins en moins la tournure que prenait la discussion. De un, ça m'a probablement influencé, ouais. Mais ça veut pas dire que je veux finir comme lui. J'veux une vraie vie de famille, moi. De deux, occupe toi de ton cul. Au même instant, je me détends et un sourire songeur vient étirer mes lèvres. Quoi que, j'aime bien m'en occuper moi-même. Je m'approche d'elle et on échange un regard complice. Je lui arrache un baiser tandis que ma main droite vient se perdre sur la courbe délicate de ses fesses. Sybille pose ses deux mains sur mon torse et surenchérit, visiblement pas prête à lâcher l'affaire. Alors le fait que tu te sois comporté comme un gros connard avec Lula alors que t'es clairement fou d'elle, c'est un pur hasard j'imagine ? Je me tends aussitôt et la libère de mon emprise. Je jette ma cigarette par la fenêtre et retourne dans le lit après lui avoir lancé un dernier regard noir. J'veux pas parler d'elle. Ça fait trop mal. J'peux même pas prononcer son prénom, au risque de m'écorcher le palais tout entier et de me vider de mon sang. Lula, c'est mon point faible. Et je déteste toute forme de faiblesse. Alors je l'ai dégagée, comme une malpropre. Comme si elle n'était rien, personne. Comme si elle ne comptait pas. Et je refuse catégoriquement d'entendre parler d'elle depuis. Tu fais chier, Sybille. Bon, viens baiser au lieu de parler. Je l'entends soupirer au loin et refermer la fenêtre pour finalement me rejoindre. T'es con, Aj. Et l'instant d'après, nos lèvres et nos corps s'entremêlent, mettant enfin un terme à cette discussion désagréable. Tant mieux, je déteste les conversations sérieuses. Alors un peu plus, et je me jetais aussi par la fenêtre, pour aller rejoindre mon mégot de cigarette sur le trottoir en bas.


ROZEN ! Dans mon bureau. Je me fige et pivote lentement, mon casque toujours sur la tête. J'arrive coach. Je déglutis, nerveux, ayant déjà ma petite idée sur la raison de cette convocation surprise. Je retire mon casque et le pose sur le banc avant de m'emparer de ma bouteille d'eau pour descendre quelques gorgées. Je la repose, souffle, cherche un peu de réconfort auprès de mes partenaires de jeu et rejoint finalement le bureau du coach. Assied-toi Rozen. Qu'il m'ordonne fermement, visiblement remonté contre moi. Si d'ordinaire je suis du genre grande gueule, là, je m'écrase lamentablement. Le coach m'a toujours foutu la trouille. Et puis, il est probablement une des seules figures d'autorité que je respecte pleinement dans cette université. C'est quoi ce bordel ? Demande-t-il simplement, comme si j'étais censé savoir de quoi il parlait. J'avais bien ma petite idée, mais aborder le sujet me foutait trop la trouille. Je hausse les épaules. Ce bordel.. ? Il se lève subitement et vient claquer son point sur la table, me faisant sursauter au passage. JE PARLE DE TON REDOUBLEMENT ! Oui, alors c'était bien ce que je craignais. Je passe une main nerveuse sur ma nuque et évite soigneusement son regard. Ah, ça.. Je ne sais même pas quoi dire pour me défendre. Je toussote et bégaye des choses incompréhensibles. Tu vas bien m'écouter Rozen. Les gars comme toi, je les connais bien. Vous vous pointez ici avec une bourse, persuadé que vous allez être en vacances pendant 4 ans ou plus, que la vie universitaire va se résumer à faire la fête et à serrer des filles... C'est vrai que, jusqu'à maintenant, ma vie universitaire ressemblait à ça. J'étais le genre de gars sociable, qui s'intègre partout où il passe. Un vrai don que j'avais largement exploité durant cette première année, ne me laissant aucunement atteindre par les nombreux bizutages imposés par l'équipe de football. Au contraire même, j'étais fier d'être un bizut et j'avais hâte de bizuter les suivants. Sauf qu'ici c'est pas un camp de vacances ! Je veux pas de branleurs dans mon équipe ! Alors si tu plantes ton premier semestre l'année prochaine, ou si tu fais n'importe quoi pour me foutre en rogne, tu dégages de l'équipe. Et tu pourras aussi dire adieu à ta bourse et donc, à la fac. Tu comprends ce que j'te dis Rozen ?! C'était plus que limpide, oui. Je le dévisage, abasourdis. Je dois bien avouer que je ne m'étais pas attendu à une menace d'expulsion. Mes années universitaires étaient censées être les plus belles et je refusais de tout perdre bêtement. Oui, coach. Je relève les yeux vers lui, un peu confus. Bien. Maintenant, tu sors, j'veux plus voir ta tête. Je ne me fais pas prier et déguerpi en vitesse pour rejoindre les autres joueurs. J'allais devoir trouver une solution pour concilier sport, fêtes et cours. Sans le football, je ne serais plus qu'un anonyme parmi tant d'autres et je ne pouvais pas accepter ça. J'adorais cette nouvelle famille et tout ce qui allait avec, il était hors de question qu'on m'arrache à eux.