solenn everly-yates ► lucy fry

Les mains moites, le front dégoulinant de sueur, je referme péniblement ma dernière valise. Un ultime cadenas pour fermer tout ça et... Tadaaaaa ! J'ai fini ! Plus qu'à enfourner tout mon bazar dans la voiture d'Arthur, et à moi Cambridge. Cela fait six mois que j'attends cet événement avec impatience, six longs mois que je prépare mon retour au pays. Et voilà que le moment fatidique est enfin arrivé. Même si les raisons de mon come back ne sont pas particulièrement transcendantes - ma mère est malade et je veux me rapprocher d'elle - je suis contente de quitter Paris. Que voulez-vous, j'ai le mal du pays. Et puis, je vais pouvoir continuer mes études d'art à Harvard... Harvard, c'est bien non ?

Je pousse un énième soupir et m'affale sur un vieux pouf délabré.

« C'est bon ! » Je crie à l'adresse d'Arthur, mon colocataire et meilleur ami.

Nous sommes inséparables depuis que j'ai posé mes bagages à Paris. Le 19 septembre 2011 pour être précise. Je venais de passer les heures les plus horribles ma vie enfermée dans un avion. Puis je m'étais perdue dans l'aéroport, j'avais oublié mon passeport dans l'avion, et ce crétin taxi m'avait déposé cinq-cent mètres trop loin. J'avais dû finir le trajet jusqu'à l'appartement à pied ! Mais le pire du pire dans tout ça, c'est que je ne parlais pas un mot de Français... Alors lorsqu'Arthur a vu débarquer la pauvre petite américaine paumée que j'étais, il m'a poussé jusqu'au canapé et m'a tendu une bouteille de bière. Le début d'une grande amitié.

Aujourd'hui, il est censé m'emmener jusqu'à Charles de Gaulle. Mon vol décolle à 17h30.

« Pas trop tôt, j'arrive ! » Me répond-il presque instantanément.

J'esquisse un sourire avant d'embrasser la pièce du regard, le cœur lourd. J'ai beau avoir hâte de retrouver mes pénates, cet endroit représente mes plus belles années. Voir ma chambre ainsi mise à nue me fait de la peine. C'est comme si une partie de moi-même volait en éclats. Un mal nécessaire si je veux pouvoir m'occuper de ma mère.

Un bout de papier dépassant de sous mon matelas attire soudain mon attention. Au moment où je m'apprête à m'en emparer, mon meilleur ami fait irruption dans la pièce.

« Alors la yankee, on commence par quoi ? » Je lui tire la langue sans vergogne avant de lui désigner mon sac de livres.

« C'est le plus lourd, alors mieux vaut le mettre au fond. T'as qu'à commencer à charger la voiture. Je te rejoins dans une minute. »

« Dis plutôt que tu veux me faire faire tout le boulot, ce sera plus crédible. » Me répond-il en souriant avant de s'emparer d'un premier paquet. Je profite de ses mains occupées pour lui ébouriffer les cheveux en riant.

« C'est que tu n'es pas si bête que ça en fait. Allez le boulet, au boulot. » Il me lança son regard incendiaire le plus convainquant avant de disparaître dans le couloir, son fardeau dans les bras.

J'en profite pour récupérer ce qui dépasse de mon matelas : un petit cahier de moleskine gris, la couverture ornée d'une multitude de petits personnages caricaturaux. Mon ancien carnet de croquis/journal intime (parce que oui, il faisait les deux) ! Je ne me souvenais même pas qu'il était ici...

Je me laisse tomber lourdement sur le lit pour pouvoir le feuilleter.

  19/09/2011

   Cher Journal,

   C'est la première fois de ma vie que je me lance dans cette... Expérience, qu'est la rédaction d'un journal intime. Pour être honnête, toute cette histoire me barbe un peu (beaucoup). Une idée de ma petite sœur pour que je garde une trace de toutes les "aventures" qui pourraient m'arriver à Paris. La barbe. Je ne serais jamais assez rigoureuse pour te tenir à jour tout le temps de mon séjour. Tu finirais par tomber dans l'oubli, et je ne m'en voudrais absolument pas de t'abandonner de la sorte. Je ne sais même pas pourquoi j'utilise le pronom "tu" ! Franchement, comme si je m'adressais à quelqu'un. Mais, d'un autre côté, j'essaye d'imaginer ma tête lorsque je retomberais sur toi dans quelques années. Qui c'est, cela pourrait bien faire de bons souvenirs.

   Selon Sacha, tout bon journal se doit de commencer par une petite présentation de son possesseur - en l’occurrence moi - et de sa famille. Alors au boulot !

   Je m'appelle Solenn (mais tout le monde m'appelle Sol). J'ai dix-huit ans et je vis à Cambridge... Du moins, je vivais à Cambridge. Mais je me trouve actuellement dans un avion à mi-chemin entre les États-Unis et la France. Je vais étudier les beaux-arts à Paris ! Qu'est-ce que je pourrais bien rajouter... J'adore les couleurs primaires. C'est fou ce qu'on peut être capable de faire avec un peu de rouge, du bleu et du jaune. Et cela ne se sent sûrement pas dans mes écrits mais j'adooo(...)re tout ce qui a trait à l'art. Ma grande passion, c'est le dessin. Je passe mon temps à esquisser des paysages sur des feuilles volantes... Et puis, des portraits de Lui (note bien le L majuscule). Lui que je n'ai plus le droit de voir. Lui qui ne répond jamais à mes coups de fil. Lui qui me manque terriblement.

   Sasha (alias la sangsue), c'est ma petite sœur. Elle a deux ans de moins que moi, ce qui fait donc seize longues années que je suis obligée de me la coltiner. Elle enchaîne vacheries sur vacheries, coups bas sur coups bas. C'est dans sa nature je suppose. Toujours est-il que je suis très rancunière, et que c'est de sa faute si je n'ai pas pu revoir Blake. Elle est allée raconter à ma mère et mon beau-père (aka le père biologique de Blake) que nous nous sommes embrassés. Forcément, ça n'a pas vraiment plus. Mais qu'est-ce que ça peut bien le faire ! Tout ça pour dire que ma sœur est un boulet. Mais je l'aime quand même. Elle est ma sœur après tout... Ce n'est pas vraiment comme si j'avais le choix, non ?

   Et puis il y a mes parents. Enfin, ma mère (Anna) et mon beau-père. Mon père biologique est mort lorsque j'avais six ans. Accident de voiture. Fauché comme les blés, c'est ce que dit souvent Sacha. Tu vois bien que c'est un boulet ! Je mentirais en disant que je passe ma vie à pleurer sa mort. Mais il me manque. Souvent. Comme une sorte de case vide en plein milieu de mon cœur. Mr. Yates est génial hein, je ne dis pas le contraire. Il nous a officiellement adopté ma sœur et moi après le mariage, et il a toujours bien pris soin de nous... Mais n'est pas la même chose.

   Oups, je commence à avoir la nausée. Les transports, ce n'est pas mon truc. Et encore moins lorsqu'il s'agit d'un avion punaisé en plein milieu du ciel et prit dans des turbulences.

  Je crois que je vais vomir.

Spoiler:

Mes doigts effleurent timidement le portrait de Blake. J'esquisse un sourire songeur avant de le plier en quatre en de le fourrer dans la poche de mon jean. Je feuillette ensuite rapidement les autres pages du journal, vides. Je n'ai pas eu le courage de dépasser le dixième du carnet. Mon cœur se serre. Je vais vraiment quitter Paris, je le réaliser enfin. Je ferme les yeux, inspire profondément, et puis me laisse jusqu'à trois pour chasser les larmes qui me montent aux yeux. Un. Deux. Trois. Lorsque je les rouvre, Arthur est devant moi... Accompagné de tous mes potes de la fac !

« Tu feignantes l'asticot ?! » Me lance Maya, un sourire sarcastique sur le visage.

Je me redresse, le visage pâle.

« Non, je viens juste de... »

Au moment où j'allais reposer le journal sur le lit, une photo s’échappe du rabat de la couverture. Je la ramasse d'une main tremblante, les joues baignées de larmes. C'est une photo de classe, celle prise le jour de rentrée. Il y a déjà quatre ans de cela. Je renifle bruyamment avant de me jeter dans les bras de mes amis.

« Je vous aime les boulets... » Je bégaye.

Après quelques secondes de câlin collectif, je sèche mes larmes d'un revers de manche.

« Allez, on a encore des trucs à descendre. Au boulot ! » Ce disant, je m'empare d'une valise et quitte ma chambre sans un regard en arrière.

Cambridge m'attend.

Ma famille m'attend.

L'avenir m'attendait.

Et, avec un peu de chance, peut-être qu'il en fera partie.