« 'tention, c'est chaud. Et c'est liquide. Et ça vole aussi. »

« 'tention, c'est chaud. Et c'est liquide. Et ça vole aussi. »

Dernier essai. Dernier essai et si j’y arrive pas – après seulement vingt essais antérieurs- j’abandonne. En même temps, c’est pas si facilement que ça de faire des caramels au beurre salé hein ! La recette est vachement confuse je trouve. Par exemple : « faîtes chauffer à feu moyen », ça veut dire quoi cette phrase ? Y’a même pas écrit moyen sur les plaques là ! Pour la énième fois, je me demande quelle idée stupide j’ai eue de vouloir cuisiner des caramels pour Ah Puch. Je me suis dit que ça lui ferait plaisir, qu’il verrait que même un bisexuel comme moi, mais diablement sexy, macho, bref qu’on prendrait pour un hétérosexuel à coups sûrs, savait aussi faire la cuisine. Bah c’est raté. J’avais déjà ruiné deux de ses poëles, et la dernière était en train de rendre l’âme. Dans ma lutte contre les tortures culinaires, j’avais même retiré mon tee-shirt qui, forcément, rendait la tâche de se concentrer encore plus compliquée. Euh…c’est normal que la louche …ait fondu ? Fronçant les sourcils, je retire de la poële le morceau de métal à moitié tordu en la regardant sous toutes les coutures pour vérifier que ce n’était pas –ne sait-on jamais – un nouveau système de louche. Bah non, en fait. Quand soudain, sans prévenir ce serait beaucoup moins drôle, la gelée nauséabonde de couleur mauve s’extirpa d’elle-même du feu pour aller se jeter aux quatre coins de l’appartement, manquer de faire un trou dans un vase, pour finir sa course, après avoir brisé une fenêtre, dans la maison d’à côté. Heureusement, la fenêtre était ouverte. Sauf que je voyais d’ici le mur d’en face, sûrement celui de la chambre de la nouvelle blonde – que je n’avais pas manqué de reluquer lorsqu’elle avait aménagé – qui était arrivée il y a quelque chose. Espérons qu’elle ait un bon sens de l’humour. N’empêche, on dira c’qu’on voudra, c’est super dangereux la cuisine !

Lâchant un profond et pénible soupir de dépit à l’idée de devoir présenter mes excuses pour une chose que je n’avais pas commise – ce n’était quand même pas moi qui avais décidé de quitter subitement la cuisine pour voler jusqu’à la maison d’à côté – je ne prends même pas le temps de me changer et sors immédiatement pour aller récupérer ce qui restait de ma…mixture. Si je disais rien à Ah Puch, peut-être qu’il la mangerait quand même, vous en pensez quoi ?

Vêtu d’un jean à moitié déchiré dont les pattes traînaient à terre, torse nu dévoilant l’ensemble de mes cicatrices, peu dissimulées par mes tatouages ici et là, la plus grande part étant dans mon dos, cheveux ébouriffés suite à l’explosion et visage tout de noir coloré, c’est attifé de la sorte que je me présenta chez la voisine, sonnant par quatre fois à la porte. Au pire, vaut mieux qu’elle soit pas chez elle pour que je puisse escalader la fenêtre, récupérer mon bazar et fiche le camp. Ni vu, ni connu. Tiens, pourquoi j’ai ramené ma louche tordue avec moi ? « Y’a quelqu’unnn ? » hurlai-je en tambourinant à nouveau, l’air contrarié, et totalement indifférent aux passants qui, sur le trottoir m’observaient comme un fou sorti de l’asile. Ou un sdf, au choix.

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Plus que la chambre et c’est terminé. Courage, Ellie. Bon, oui… Je sais, j’ai déjà fait le ménage, la vaisselle quand j’habitais avec mon père. La maison était cent fois plus grande, mais… c’était plus facile. Les hauts parleurs de la télévision allumés, réglés à gros volumes, je dansais sur du Florence and The Machine, comme une gamine… et franchement, me taper des petits délires seule à la maison devenait une habitude. En même temps, comment je pouvais m’occuper en restant seule dans cette énorme maison que mon père m’avait aidé à financer, hein ? La télévision, le PC… C’est chiant à force, alors danser et faire des conneries, ça fait pas de mal.

J’étais en train de passer la serpillère dans ma chambre quand… « OULA ! »… Je me suis mise à hurler en lâchant l’objet en bois, me recroquevillant sur moi-même… La fenêtre de ma chambre était brisée, et un liquide… puant mauve s’était posé sur mes murs, sur mon lit… partout, quoi. Je me redressais, quittant la position débile que j’avais précise pour me protéger puis je me penchais vers la fenêtre pour voir d’où venait ce… ce liquide visqueux et étrange qui avait pété mes fenêtres. Et sans surprise, je pus découvrir que c’était ‘’Ah Puch’’, mon voisin, le coupable, ou peut-être Sachka… J’en sais rien. Plus le temps passait, et plus je me demandais si j’avais bien fait d’emménager juste à côté de chez mon demi-frère. J’avais de plus en plus envie de le rencontrer, mais je me retenais d’aller le voir. Qui sait la réaction qu’il aurait, hein ? J’ai pas envie d’avoir fait tout ça pour rien, je préfère attendre…

Soupirant, je m’apprêtais à reprendre la serpillère pour tout nettoyer, encore une fois… J’appelerais quelqu’un pour réparer mes vitres plus tard. Mais je fus coupée dans mon élan puisque quelqu’un s’était mis à tambouriner et à hurler à ma porte. Je suis rapidement allée éteindre la télévision qui montrait à l’individi qui attendait que je lui ouvre que j’étais bien présente, puis je me suis dirigée vers la porte. Vêtue d’un débardeur et d’un short blanc, pieds nus, je lui ai ouvert… Et je suis restée figée quelques instants en voyant l’homme à qui j’avais ouvert. Sachka. Celui que j’essayais d’éviter un maximum depuis deux mois… Il était là, devant ma porte. Le visage pâle, je le détaillais du regard. Son torse plein de cicatrices, son jean déchiré et ses nombreux tatouages… Il avait souffert comme je l’avais découvert lors des nombreuses enquêtes que j’avais fait faire sur lui… J’avais juste envie de le serrer dans mes bras, lui dire que je l’aimais sans vraiment le connaître, lui dire qu’il n’était plus seul et qu’il ne risquerait rien… mon p’tit frère. Mais je ne le connaissais pas. Pas personnellement. Il pourrait me mettre un coup de poing, me serrer dans ses bras, se barrer en courant… Je ne prendrais pas de risques, pas aujourd’hui. « Bonjour… J’imagine que c’est vous qui avez brisé ma vitre… ? », je me retenais de rire. Pourquoi il avait fait ça, à quoi c’était dû, ça, au fait ? Il fabriquait une bombe chez lui ou quoi ? Bref… Une chose était sûre, je n’allais pas le laisser entrer chez moi, même si c’était tentant…

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Dans mon esprit, je me suis dit que ce serait facile. Je n’avais cas entrer, récupérer l’objet volant non identifié et sûrement non comestible, avant de retourner à mon appartement, ni vu ni connu. Enfin, sauf si la demoiselle qui avait emménagé ici il y a quelques jours était présente aujourd’hui. Je priais pour que ce ne soit pas le cas. Et mes prières…ne furent pas exaucées, évidemment. Lorsque la porte s’ouvrit, je fis face à la plus mignonne des jeunes femmes que j’eus l’occasion de rencontrer. Des fossettes au creux des joues, les cheveux légèrement en bataille d’un blond caramélisé, un short qui dévoilait la finesse de ses jambes et un débardeur cachant une poitrine presque virginale. Oui, cette fille aurait tout à fait été à mon goût si je n’étais présentement « marié ». Quand je dis que le mariage n’a que des inconvénients, encore une preuve ! « Correction, c’est le plat qui a foncé vers votre vitre, nuance. » soupirai-je, déjà excédé par les remontrances que Ah Puch ne manquerait pas de me faire le soir en rentrant. « J’rembourserais les dégats. Bon, il est parti où ? J’peux entrer ? » Et sans attendre, mon bras la déplace fermement quoique sans pour autant la blesser sur un côté pendant que je pénètre l’intérieur de sa maison, claquant même la porte du pied derrière moi. « C’est pas mal chez vous. Un peu trop de couleurs mais vu qu’vous êtes une fille… » Traduction : toutes les filles aiment les couleurs gaies, c’est bien connu, et moi j’ai horreur de ça. « J’suppose que c’est à l’étage ? » Encore une fois, je n’attends pas sa réponse que je me précipite déjà vers les hauteurs, songeant que Elizabeth ne ferait rien pour m’en empêcher, après tout, plus vite je lui aurais débarrassé de mon plat volant, plus vite j’aurais débarrassé le plancher moi-même.

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Sachka avait de l’humour. C’était le plat qui avait foncé dans ma fenêtre… sans rire ? Je me retenais de rire en secouant la tête, les bras croisés. Je ne le connaissais pas mais il me plaisait déjà. Non, il était hors de question qu’il me rembourse. J’avais de l’argent, je m’en sortais très bien. Mais lui… ? Je n’en avais aucune idée, mais je n’allais pas le laisser payer pour ça. Je pouvais au moins faire ça. « C’est dans ma chambre, je suis occup… » je n’eus pas le temps de terminer ma phrase qu’il me pousse doucement pour pénétrer à l’intérieur de chez moi en refermant la porte derrière lui. Bordel. « Ecoutez, c’est pas grave… Je vais appeler quelqu’un et ce sera réglé pour ce soir. Je vous assure. » tentais-je de lui expliquer en le suivant dans ma maison qu’il visitait, sans gêne… Quoi, le fait que mon petit chez-moi soit coloré confirme le fait que je sois une fille… ? « C’est gentil, merci. » lui répondais-je tout simplement, les bras croisés. Je ne m’attendais vraiment pas à ça. Il était rentré chez moi sans même que je l’y invite, il se croyait chez lui et faisait des remarques complètement barrées… C’était pas grave, loin de là. Ça me faisait juste rire de découvrir cette facette de sa personnalité dont je ne connaissais rien.
« Oui mais c’est le bazar… Laissez, c’est pas grave d’acc… », il était en train de monter à l’étage… Intenable, ce gars. J’ai rapidement monté les escaliers pour le trouver dans ma chambre où traînaient quelques cartons que je n’avais pas encore rangés. Remplis de fringues, de vieilles photos de familles… Cela faisait quelques mois que j’avais emmenagé dans cette maison mais je n’avais jamais vraiment eu le temps ni vraiment l'envie de m'occuper de ces choses-là... « Vous 'voulez pas qu'on descende en discuter... ? C'est pas grave, j'vous assure. »

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Pas le temps de l’écouter, ni l’envie d’ailleurs. Les filles ça cause trop et ça agit pas assez vite. Surtout que de rester dans un appartement de fille, moi, ça risquerait de me mettre soit en pétard s’il y a trop de rose partout, soit de me donner la migraine. Les fleurs, les oursons en peluche, les chats, les couleurs trop vives, et quoi d’autres encore ? Bon sang, comme le sexe féminin pouvait vivre dans une telle guimauve ? Bon après, j’avais omis de dire que j’avais aussi laissé une casserole sur le feu qui pouvait exploser à tous moments si je ne rentrais pas le plus vite possible… Une fois dans sa chambre donc, je retrouve rapidement le coupable de la vitre cassée, et l’embarque, en faisant attention à ne pas me coller trop les doigts avec cette matière non identifiée. « Discuter d’quoi ? J’vous ai d’jà dit c’qui s’est passé. » soupirai-je en fronçant les sourcils comme si mes explications ne pouvaient pas être plus claires. « Sinon, vous avez un copain ? Fiancée ? Mariée ? » continuai-je sur le ton de la conversation en fourrant le bidule mou dans ma poche de pantalon pour me retourner vers Elizabeth, et avisant le bazar accumulé dans sa chambre au passage, photos de famille comprises. A son doigt, pas d’alliance, je suppose donc qu’elle est soit encore célibataire, soit veuve, soit juste en couple. « On s’détend fillette, je disais pas ça pour moi, même si… » Un sourire pervers s’installe sur mes lèvres alors que je la détaille de la tête aux pieds, sans gêne aucune, et de m’éloigner pour attraper une photo qui trainait pour la regarder de plus près, faisant aussitôt dos à la demoiselle. « …vous êtes plutôt pas mal. J’ai un coloc qui est célibataire et qui aurait bien besoin d’une nana pour que je puisse dormir tranquille le matin, si v’voyez c’que j’veux dire. » marmonnai-je en songeant à la tête au carrée que j’aurais aimé faire de Ah Puch la dernière fois qu’il m’avait sorti du canapé à 10h du matin, soit trop tôt pour un couche-tard comme moi. « Vous v’nez d’où ? » Non pas que ça m’intéressait, mais je faisais la conversation, histoire de savoir si dans un avenir proche, je devais considérer la voisine à la vitre cassée comme une amie…ou plus si affinités.

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