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- C’est avec un air soupçonneux que l’employé de la bibliothèque examina comme tous les jours la carte de lectrice de Rose. A croire qu’il ne l’avait jamais vu de sa vie ou qu’il la prenait pour une voleuse de manuscrits auxquels personne, à l’exception de la jeune anglaise, ne s’intéressait. « Allez-y. » grogna-t-il. Trop aimable. Agacée par ce manque de politesse, elle agita doucement la tête de droite à gauche avant d’entrer dans cet endroit fabuleux, qui était pour elle synonyme de paradis. L’odeur de la bibliothèque, ce mélange si particulier de bois, de papier, de cuir et de vieilles pierres, ne manquait jamais de la mettre de bonne humeur. La jeune femme s’avança d’un pas décidé dans les allées qu’elle connaissait sur le bout des doigts. Elle n’aurait eu aucune difficulté à s’y faufiler les yeux fermés. Elle trouvait ce genre d’endroit apaisant, c’était ça son univers … Le soleil qui se déversait par les rares fenêtres à l’étage, illuminait les poussières qui flottaient dans l’air et traçaient des barres dorées sur les murs anciens. Rose passa près de la section des ouvrages contemporains mais comme ce n’était pas son domaine, elle s’en désintéressa rapidement et alla ensuite s’installer près des livres traitant de littérature anglaise du XVIIIème siècle. Fascinant. Comme toujours, elle déposa ses affaires à la même place, sur une table de lecture légèrement à l’écart, là où la lumière naturelle était la meilleure. D’un pas décidé, elle s’avança en direction des premières étagères qui étaient à sa portée avant de s’emparer d’un livre à la couverture légèrement abimée par le temps. Elle fit quelques pas supplémentaires et en dénicha un second qui visiblement, semblait avoir pour elle des allures de véritable trésor. A en croire l’épaisse couche de saleté qui se logeait sur la tranche de l’ouvrage en question, Rose en déduisit qu’il n’avait pas été consulté depuis bien longtemps. Quel dommage. Les gens n’ont décidément pas conscience des trésors de ce monde à côté desquels ils passent. Tout en feuilletant ce second ouvrage, la jeune femme retourna à sa place et s’installa confortablement afin de dévorer ce chef-d’œuvre tout en prenant quelques notes de temps à autre. Quand elle lisait, elle ne voyait jamais le temps passer. C’était comme si elle se retrouvait soudainement propulsée dans un autre monde. Un monde qui lui plaisait beaucoup plus que celui dans lequel elle vivait.
« Excusez-moi, cela vous ennuie-t-il si je m’installe ici ? » Un homme d’une cinquantaine d’années venait de s’approcher de sa table, une conséquente pile de livres en main. D’abord souriant, il attendit que Rose se décide à lever les yeux vers lui pour lui donner son accord. Hélas, il n’en fut rien. Elle était tellement fascinée par son livre qu’elle ne remarqua même pas sa présence. Le visage de l’homme se crispa légèrement et c’est sur un ton plus abrupt qu’il continua : « Mademoiselle ? » Toujours rien. L’homme souffla et mettant l’attitude de Rose sur le compte d’un manque évident de politesse, grogna une injure qu’elle n’entendit naturellement pas. Il s’avança en direction d’une autre table, sur laquelle il lâcha bruyamment ses livres dans l’espoir de la déranger. Si seulement il savait !!
Les minutes s’écoulèrent à un rythme incroyable, si bien qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour s’en apercevoir, Rose tourna la dernière page de son ouvrage. Il y avait toujours un léger temps de flottement quand elle arrivait à la fin d’un livre. Ce moment de balancement entre rêverie et réalité. Elle avait besoin de quelques secondes pour réaliser que tout ce qu’elle venait de vivre n’était que pure fiction et que le monde environnant était beaucoup moins attrayant. N’ayant pas totalement envie de retourner dans le monde réel pour l’instant, Rose décida de consulter le premier ouvrage qu’elle avait emprunté. Elle l’attira délicatement à elle, caressa l’ancienne couverture et l’ouvrit à la première page. Toutefois, elle ne se plongea pas immédiatement dans sa lecture. En effet, son attention venait d’être attirée par un ouvrage que quelqu’un avait oublié sur une table à quelques mètres d’elle. Un ouvrage traitant de la faune aquatique, un vaste sujet qui ne l’intéressait pas outre mesure mais qui pourtant, semblait l’attirer comme un aimant. D’ordinaire, elle n’avait pas l’habitude de trouver ce genre d’ouvrage dans cette section-ci de la bibliothèque et elle n’y croisait que des hommes et des femmes d’un certain âge, des gens qui étaient capables de déchiffrer les codes littéraires des auteurs anglais de l’époque et d’en apprécier les subtilités. Aborder de tels ouvrages était relativement complexe et la plupart des autres étudiants pensaient qu’ils avaient mieux à faire que de s’enfermer entre quatre murs des heures durant. Rose n’était naturellement pas de cet avis. Après un instant d’hésitation, la jeune femme se leva et se dirigea vers la fameuse table de lecture afin de s’emparer de l’ouvrage fraichement oublié qu’elle ouvrit. Fascinant.
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