Nely ▲ Dessine moi comme une de tes françaises

         

« Dessine moi comme une de tes françaises. »
         nekho & lily
         
         

         

Examinant son visage pâle devant la glace, Lily poussa un soupire, tapotant avec précaution les égratignures qu’elle avait récolté ici et là lors du Spring Break. Pour une entrée en matière, il y avait mieux. Elle espérait que cette vilaine coupure sur sa pommette droite disparaîtrait rapidement sans laisser de cicatrice. Prenant une longue inspiration, même si elle était heureuse d’avoir pu découvrir le Chili, elle regrettait en partie d’y être allée. Elle avait eu de la chance par rapport à d’autres, elle n’avait rien de cassé, ni de mal important apparent. Mais à respirer de la poussière, et surtout de l’air chargé en fumée, cela avait eu des conséquences sur ses poumons déjà plus que fragiles. Elle devait repasser des examens dans les prochains jours pour évaluer l’ampleur des dégâts. En attendant, elle fatiguait plus vite. Cela inquiétait considérablement son père, mais elle était bien trop têtue pour rester chez elle à se morfondre. Aussi avait-elle décidé de se rendre en cours pour ne rien changer à ses habitudes. Elle était arrivée à Harvard en cours d’année, et comptait bien réussir malgré tout.

Armée de ses carnets de dessins et autres ustensiles indispensables pour sa journée de cours exclusivement dédiée à l’art, tirant derrière elle une bouteille d’oxygène sur roulette, elle avait placé son casque sur ses oreilles. Lily avait l’impression d’avancer en pilotage automatique. Comme si ses jambes la menaient d’elle-même jusqu’à sa salle de cours sans que son cerveau n’ait aucune maîtrise de la situation. Un peu en retard contrairement à ses habitudes, elle esquissa un sourire de contentement en découvrant que le professeur n’était pas encore arrivé. Un regard circulaire autour de la salle. Une place libre. Tiens, il lui disait quelque chose, ce grand brun, avec ses grands yeux lagunaires. Elle s’était déjà assise à côté de lui dans ce même cours, avant le Spring Break. Se dirigeant silencieusement vers la place libre, alors qu’elle était dans son dos elle jeta un coup d’œil à son dessin.

« Impressionnant. Tu es plutôt doué. » Elle s’installa ensuite, consciente qu’elle avait dû le surprendre. Voyant son air inquiet, avec un petit geste de main, elle le rassura tout de suite. « Oh t’en fais pas, je dirais à personne ce que je viens de voir. Motus et bouche cousue. » fit-elle en mimant une fermeture éclair devant ses lèvres.


         

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« Dessine moi comme une de tes françaises. »
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Lily prit un soin méticuleux à sortir ses ustensiles de son sac à dos. Sur son calepin, beaucoup d’esquisses, faites au brouillon, dont plusieurs se mélangeaient parfois sur une seule et même feuille. Comme si chaque espace vide méritait d’être utilisé. Aujourd’hui elle démarrait sur page blanche, le prof devant normalement entamer un nouveau sujet. Il lui semblait que son cours traiterait de la perspective, parfois décalée chez certains artistes d la Renaissance. Elle-même était peu rigoureuse à ce sujet, préférant le décalage parfois intempestif de certains traits à une régularité quasiment géométrique d’architecte. Le prof était en retard. Une première, lui qui était habituellement toujours en avance. Cela lui laissa le temps d’observer son interlocuteur quelques instants. Il avait de grands yeux magnifiques, d’un bleu quasi magnétique. On avait dû souvent le complimenter à ce sujet. Cela contrastait parfaitement avec sa peau hâlée. Elle ignorait de quel pays il venait exactement, mais l’imaginait en homme des sables, venu d’Orient, sans aucune peine. Arquant un sourcil à sa remarque, elle sentit alors un picotement léger le long de sa joue. Comme si sa cicatrice se rappelait à elle, alors même qu’elle n’y pensait plus vraiment jusque-là. « Tu y étais toi aussi ? » lui demanda-t-elle en l’observant fixement. Il n’avait pas l’air d’avoir été touché. Du moins physiquement, au premier abord, cela ne se voyait pas. « C’était un enfer. » murmura-t-elle en ayant pas très envie de poursuivre ce sujet, encore trop frais dans son esprit pour être évoqué. « Pourquoi tu ne tiens pas à ce que les gens sachent que tu dessines comme ça ? » osa-t-elle en esquissant un sourire en demi-lune, veillant à ce que personne d’autre n’entende sa question. C’est alors qu’une personne de l’administration fit son entrée, annonçant que le professeur serait absent ce jour-là, en raison de problèmes personnels. Poussant un soupire en rassemblant ses affaires, un peu courbaturée par la fatigue, elle se leva en prenant appui sur la table. Une réflexion plus tard, elle se retournait vers le jeune homme, un sourcil haussé. « Je t’offre un café en compensation du cours raté ? » Elle n’y était pour rien au fond, mais c’était peut-être un prétexte aussi. Toute nouvelle, elle avait peu d’amis vers qui se tourner, et avec lesquels passer du temps. Il l’intriguait. « Ils en font un très mauvais à la cafétéria qui ressemble à du jus de chaussette. Mais avec un muffin à la myrtille, ça passe. » Oui bon, elle ne deviendrait jamais commerciale, ça, s’était une certitude.  


       

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« Dessine moi comme une de tes françaises. »
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Effectivement, il s’en était bien sorti, plus que bien même. Il pouvait remercier le hasard. Quant à elle, elle garderait un souvenir assez mémorable de ce voyage, que ce soit en positif ou en négatif. Ignorant toujours quel était le bilan exact de ce voyage au bout du monde (sans retour pour certains malheureusement), Lily parut songeuse quelques instants. Elle repensa à Soledad, la petite chilienne aux grands yeux sombres baignés de larmes, à ses plaintes lorsqu’elle cherchait son père qui avait été engloutit par les roches qui s’effondraient. A cette pensée un nœud se forma dans sa gorge. Clignant des yeux à plusieurs reprises, paraissant ailleurs pendant quelques instants, elle s’efforça de balayer ce souvenir d’un revers de main. « Plus que bien même. Tant mieux. » lui répondit-elle alors, haussant un sourcil face à son autre remarque. Comment ça, « sa famille n’approuvait pas ? » Faisait-il parti de ces jeunes dont la vie est davantage régie par leur tutelle parentale que par leur propre libre arbitre ? Lily avait toujours, et serait probablement à jamais contre cela. Le fait de ne pas laisser ses propres enfants faire leurs propres choix de vie la laissait très perplexe, voire l’effarouchait. Elle savait qu’elle n’aurait probablement jamais d’enfant, mais si cela avait dû arriver, jamais elle ne leur aurait imposé des choix d’avenir. Au contraire. « Et tu penses que ta famille t’aimerait moins s’ils découvraient que tu aimes dessiner ? » Sous-entendu, elle ne comprenait pas une telle résignation face à cette situation. Maintenant, elle ignorait comme était sa famille, quelle éducation il avait reçu, et quelles aspirations il avait pour sa propre existence. Aussi, même si sa remarque l’intrigua beaucoup, elle jugea préférable de ne pas insister, au risque d’être trop intrusive dans sa vie privée alors même qu’ils se connaissaient à peine. Inutile de faire mourir dans l’œuf une relation qui pourrait être enrichissante. « Et tu étais où avant du coup ? » le questionna-t-elle en finissant de remballer ses affaires, esquissant un sourire en demi-lune. « Oh t’inquiètes, c’est bon. Je suis plus costaud que j’en ai l’air. » dit-elle en réajustant son sac sur ses épaules. C’est vrai qu’aujourd’hui, elle était vraiment chargée comme un mulet. Mais bon, bagatelle. Ça lui ferait les bras.

Quittant la salle de cours, ils longèrent alors lentement le couloir pour se rendre tranquillement jusqu’à la cafétéria. L’air un peu penaud à cause de la fatigue, Lily souriait pourtant, toujours égale à elle-même quel que soit le jour, le temps, et l’espace alentour. « Tu as appris tout seul?... Le dessin. » dit-elle à voix basse pour que personne ne les entende, ou n’ait l’oreille un peu trop furtive.



       

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