ARSENIY E. GERMOGENOVITCH ► Ben Barnes

Cher journal,

Ouais, je sais, un mec qui tient un journal c'est rare, et quand ce mec a passé les 25 ans ça le devient encore plus. Mais que veux-tu, le genre humain m'écoeure et j'ai pourtant bien besoin de confier tout ce que je peux ressentir. J'ai bien essayé de raconter mes déboires à mon chien mais le pauvre n'a pas l'air de bien comprendre, même si au final il m'apporte le meilleur des soutiens... Bref, cher journal, puisque j'ai décidé de te faire rentrer dans ma vie, permets-moi de retracer ce qui a fait de moi ce que je suis devenu...

Mon histoire commence le 8 décembre 1990, à Vorkouda, au nord-ouest de la Russie, jusque là, rien de bien extraordinaire. J'ai un père et une mère, du moins, pendant quelques instants... Je suis né avec 3 mois d'avance après que ma mère ait eu un accident de voiture. Si ma vie est en danger, il en est de même pour la sienne et, dans mon malheur, j'ai eu plus de chance qu'elle puisque l'équipe de néo-natalité a réussi à stabiliser mon état. Maman, elle, s'en est allée retrouver les anges... Elle n'a même pas pu me serrer dans ses bras. Et Papa dans cette histoire ? Il a disparu du jour au lendemain, je n'ai jamais su ce qu'il était devenu... Alors je suis resté de longs mois en couveuse avec pour seule compagnie que celle des peluches que les infirmiers avaient acheté pour moi. Ils faisaient un excellent travail car, malgré des hauts et des bas, j'étais sorti d'affaire, même si mes poumons restaient touchés et fonctionnaient au ralenti.

Et puis au printemps, le temps est venu pour moi de quitter la clinique et de rejoindre un foyer pour orphelins. Je faisais partie des plus jeunes, aussi, je n'ai pas tardé à être adopté par une famille plus que modeste qui m'a emmené avec elle à Moscou. Bien entendu, je ne me souviens de rien mais je sais que c'est à cause d'eux que je souffre de cette insuffisance pulmonaire qui me bouffe la vie. Ils voulaient à tout prix un enfant, ils savaient que mon état nécessiterait des soins mais ils ont négligé cela, pensant que le temps suffirait à résorber le problème. Résultat, quelques mois après mon adoption, je me suis retrouvé à nouveau en couveuse pour de nouveaux mois...

Je venais d'atteindre ma première année lorsque j'ai pu retourner dans un orphelinat, cette fois, les conditions pour mon adoption furent beaucoup plus strict, c'est pourquoi je suis resté dans cet endroit sordide jusqu'à ma huitième année. Plus le temps passait et plus je manquais d'affection, à chaque élan de tendresse envers une surveillante, je me faisais sévèrement punir, alors j'ai arrêté et j'ai commencé à souffrir en silence. Et puis Olga est arrivée. Une femme d'une cinquantaine d'années qui avait récemment perdu son fils âgé de 15 ans, elle était si bonne... Nous avons vécu 4 années de bonheur ensemble. J'étais le fils qu'elle avait perdu, elle était la mère dont j'avais tant rêvé.

Mais puisque toutes les bonnes choses ont une fin, il a fallu qu'arrivent Dimitri dans la vie de ma mère. Au premier abord, il avait tout du papa parfait, il était tendre avec moi, me considérait comme son fils. Mais cela n'a pas duré... Lorsqu'Olga et lui se sont mariés, il est devenu infect, il avait obtenu ce qu'il voulait : être l'héritier unique de sa femme qui possédait de belles richesses. Dès lors, il n'a cessé de la battre, et moi aussi... J'en garde encore des traces physiques, mais aussi mentales... Cet enfer a duré 2 ans, jusqu'à ce que l'assistante sociale se rende enfin compte de la réalité. J'ai alors été placé une nouvelle fois à l'orphelinat, dont je ne devais plus sortir avant ma majorité.

Pendant tout ce temps, j'avais noyé ma peine dans les études, j'étais un brillant élève rempli d'ambition malgré le futur peu prometteur qui s'annonçait à moi ; j'osais croire en ma bonne étoile même si elle semblait me bouder depuis mon premier jour. Alors, lorsque j'ai eu 18 ans, j'ai voulu rejoindre l'université. Seulement voilà, en ayant quitté l'orphelinat, je n'avais pas la moindre ressource et la pension qui m'était attribuée servait à peine à couvrir les dépenses pour mon logement dans une chambre insalubre. Alors j'ai fait le choix de quitter mon pays natal pour les Etats-Unis. Ici, je me suis engagé dans l'armée. C'était une époque où mes poumons m'en faisait moins voir, du moins de manière momentanée. J'ai mené à bien plusieurs missions, les gradés louaient ma bravoure et mon adresse. Je me pensais heureux mais au final je me détruisais à petit peu, ces scènes d'horreur s'imprimaient dans ma mémoire et ne tarderaient pas à venir me hanter. Et puis il y a eu ce drame. Lors d'une manoeuvre des plus banales, mon compagnon d'arme et moi avons été attaqués. Je ne suis pas parvenu à le protéger, il est mort dans mes bras. Et comme si les images n'étaient pas assez fortes, je garderai à jamais le souvenir de ce jour à cause de mon épaule massacrée.

Devenu handicapé, il m'a fallu reprendre ma vie civile, et c'est à partir de ce moment que mes cauchemars ont commencé. Alors, comme par le passé, pour les oublier, je me suis plongé dans les études. Heureusement, ma solde de militaire pendant 2 ans ainsi que mon invalidité m'avait permis de rejoindre la brillante université d'Harvard en parcours de droit. C'est là que j'ai rencontré Lisa, une merveille, la première femme qui a fait vibrer mon coeur. Nous avons vécu une histoire passionnelle, du moins de ma part, pendant 3 ans. Nous nous étions promis d'attendre le mariage pour consommer notre union. J'avais accepté sans me poser de question, aveuglé par ma passion. Et puis est arrivé cette funeste soirée du 9 juin 2015. La police est venu frapper à la porte en pleine nuit pour m'apprendre sans détour que Lisa n'était plus de ce monde. Passées les premières peines, je me suis intéressé à l'enquête concernant les circonstances de sa disparition : elle fréquentait depuis plusieurs années un groupe peu recommandable de dealer et se servait de moi, de mon passé de militaire et de mon image de gendre idéal pour garder la tête hors de l'eau, elle m'avait donc trompé et ne m'avait jamais aimé...

Le temps a passé, j'ai poursuivi mon existence dans l'ombre, fuyant la société comme la peste bien que continuant mes études avec pour unique but de décrocher mon diplôme sans penser à un avenir plus poussé...