SAHARA WHITTEMORE ► victoria justice

SAHARA ANAYA JANE BLUE WHITTEMORE
I WAS BORN IN A THUNDERSTORM.

C'est dans la grande ville de Los Angeles, en Californie du Sud, que je vis le jour le premier juillet de l'année mille neuf cent quatre-vingt quatorze. Deux minutes après mon frère jumeau. Nos parents étaient heureux comme ils ne l'avaient jamais été. Ils étaient fiers. Sahel et Sahara – c'est ainsi qu'on fut nommé. Tout allait pour le mieux pour nous. On formait une jolie petite famille unie comme on en voyait dans les films. Vous savez, avec la grande maison et le petit chien. On ne manquait de rien durant notre enfance et on ne pouvait prétendre à un manque d'amour ou de tendresse de la part de nos parents. Malheureusement, le bonheur fut de courte durée puisque les problèmes ne tardèrent pas à arriver. Et ils ne furent pas des moindres.

J'étais âgée de neuf ans quand ma mère rendit son dernier souffle. La maladie l'avait emportée. Trop tôt. Neuf ans, c'est jeune pour perdre sa mère. C'est trop jeune.
On a donc été élevé par notre père. Ou plutôt par cet homme incompétent qui nous servait de père. Après la mort de ma mère, il a complètement changé. Il noyait sa peine et son chagrin dans l'alcool et la drogue. Tous les soirs, on l'entendait pleurer. Au bout d'un moment, ces pleurs se transformèrent en cris qui se transformèrent eux-mêmes en un vacarme alarmant. Il devenait fou – il balançait des objets par terre, il se cognait la tête contre le mur et il se mutilait les bras à coups de couteaux. Quand on essayait de l'en empêcher, on se prenait des gifles dans la gueule. Et lentement mais sûrement, tout changea. Les rôles s’inversèrent. Il n'essayait plus de se faire du mal. Non, il s'en prenait à nous. Il nous frappait. À table, il suffisait qu’on lui annonce une mauvaise note pour qu'il s’emporte et qu'il nous balance à la figure tout ce qui se trouvait sur la table. Par moment, il nous séquestrait dans la cave, il nous ruait de coups et puis la minute d'après, il faisait comme si de rien n'était. Il aimait faire ça. Il nous haïssait au plus profond de lui-même. Il nous détestait de tout son être, toute sa chair, tout son sang. Son sang qui coulait dans nos veines. Il avait été le père le plus aimant qu'il puisse y avoir. Et il était devenu cet homme sans pitié, frigidaire et haineux, qui ne trouvait rien de plus amusant que de voir pleurer ses enfants.
C'était à ça que se résumait notre adolescence. La pire période de ma vie. Sans Sahel, je n'aurais probablement pas pu surmonter tout ça. Ça devenait compliqué de cacher les marques de brûlures et les plaies dues aux coups de ceinture qui marquaient nos corps. Les gens se posaient des questions mais jamais ils n'osèrent s'interposer. Ou peut-être que ce n’était pas assez évident pour eux. Je ne sais même pas comment les voisins faisaient pour ne pas entendre nos hurlements le soir. Ils étaient stridents et perçants. Aussi perçants que les coups qu'on se faisait administrer quotidiennement.

À l'âge de seize ans, mon frère jumeau succomba à la mort. Il s'était suicidé. Il n'avait même pas pensé à sa petite sœur. Il était parti rejoindre ma mère, m'abandonnant à mon triste sort. Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi abandonnée et délaissée. Jamais. Je venais de perdre une partie de moi-même, une part de mon âme. C'est compliqué de perdre une personne qu’on aime. Encore plus quand cette personne est née avec vous, en même temps que vous et qu’elle a tout partagé avec vous. Je n’avais que seize ans et pourtant, j'avais déjà perdu deux êtres qui m'étaient immensément chers.
Je me retrouvais seule avec mon bourreau de père. Mais j'étais tellement atteinte par la mort de Sahel que je ne pensais plus à rien. La douleur des coups ne représentait rien face à la douleur de sa perte. Alors pour oublier, je fis la plus grosse de ma vie ; j'entrais dans le cercle vicieux des clopes, de l'alcool et de la drogue. Ça a commencé par une ou deux clopes occasionnellement. Ensuite c'était le paquet entier en deux jours. Et puis après, c'était le reste de la bouteille d'alcool de mon père, tard le soir, quand il dormait. La drogue était inévitable à ce stade-là.  
C'était le seul truc qui m'aidait. Ça me procurait de l'adrénaline et une sensation de calme. Je me sentais bien, je me sentais vivante. Je comprenais pourquoi mon père s'était aventuré là-dedans. Cette merde vous procure un bien fou.
Et puis, au bout d'un moment, ça a commencé à déraper. Je devenais paranoïaque. Complètement. Je me réveillais en sueur le soir et je voyais Sahel. Je voyais maman. Ils me disaient de venir avec eux, de les rejoindre. Ils me hantaient partout où j'allais. J'entendais leurs voix dans ma tête, à longueur de journée. Je crois que c'est la drogue mais je n'en sais rien. En tout cas, ça devenait invivable. Je pouvais être en train de parler et me mettre à hurler la seconde d'après. Paranoïaque, c'est bien ce que je disais. Alors mon père décida de m'interner dans un hôpital psychiatrique.
Vous pourrez penser que c'est parce qu'il se préoccupait de moi mais en fait, il prenait un malin plaisir à me voir dans cet asile de fous. Il voulait me torturer. Bravo, papa, c'est bien joué.
Trois mois avant que je ne quitte l'endroit. Ça ne m'avait rien apporté, si ce n'est que ça avait empiré ma situation. J'étais encore plus dépressive qu'avant et je m'acharnais sur la drogue comme si c'était aussi inoffensif que de l'eau.

À dix-sept ans, une overdose est vite arrivée et bonjour le coma. Six mois. Six mois dans le néant total et quand j'ai finalement rouvert les yeux, c'était pour apprendre que je n'étais plus qu'une orpheline sans famille. Abandonnée. Il était parti, lui aussi. Il avait rejoint Sahel et maman là-haut. J'étais partagée entre un sentiment de tristesse et de satisfaction. Il restait mon père, celui qui m'avait élevé. Il avait contribué à ce que j'existe mais avais-je réellement envie d'une telle existence ? Qu'avait-il fait pour moi après tout ? À part me détruire mon adolescence, qu'avait-il fait ? Il avait tué mon frère, voilà ce qu'il avait fait. Il l'avait poussé à bout. Quoiqu'il en soit, je me retrouvais seule, sans repère. Ma vie ne ressemblait clairement à rien. Mais je continuais à vivre. Je continuais à me battre, à sourire et faire semblant d'aller bien alors que mentalement, j’étais en breakdown total.

Dix-neuf ans et toutes mes dents. Je consultais régulièrement une psychologue parce que j'en avais envie. J'avais envie de changer. Et ça avait l'air de fonctionner parce que je me portais mieux. Mieux qu'avant. J'avais repris les études et je bossais à côté pour me financer un studio à peine suffisant pour moi-même. Ma vie était merdique mais je me reconstruisais. Petit à petit. Je ne buvais plus, je ne fumais plus. La drogue était plus compliquée à arrêter mais à force de persévérance, je voyais enfin le bout du tunnel.
Et finalement, je finissais par me relever. Lentement mais sûrement. J'ai passé les deux dernières années de ma vie à bosser comme une chienne mais ça a porté ses fruits parce qu'aujourd’hui, je rentre enfin à Harvard. Qui aurait cru ? Les choses ont changées. J’ai changé. Il y aura toujours des souvenirs, des traces de cette vie merdique. Toujours. Mais j'essaye de passer à autre chose, de tourner la page. Je commence un nouveau chapitre dans ma vie et je veux qu'il vaille la peine d’être ressassé. Je veux me prouver à moi-même comme aux autres que je ne suis plus la même. J'ai fais pas mal de mauvais choix dans la vie, j’essaye de faire le bon pour une fois. Et je crois que je suis sur la bonne voie.