ALESSANDRA WATES-STERLING ► Teresa Oman

Tu n’avais jamais imaginé quitter un jour la terre aride de ton enfance, tu n’avais jamais imaginé que ta balade à cheval serait la dernière, que tu ne te prélasserais plus jamais au bord du lac, que tu ne verrais plus tous tes amis, ces mêmes gens qui avaient grandi avec toi, ces gens avec qui tu avais fait des plans sur la comète. Tu n’avais jamais imaginé quitter un jour ton Texas bien aimé, ta campagne adorée et encore moins pour aller te perdre au fin fond de la jungle urbaine de Boston, à l’autre bout du pays. Tu pensais bien rejoindre une université un jour où l’autre et comme tout le monde, Harvard était un doux rêve pour toi. Tout au long de ta scolarité, tu aurais été ravie de te savoir acceptée dans la prestigieuse école…mais pas à ce prix là. Toi qui n’avais jamais connu qu’une vie tranquille rythmée entre le lycée, les transhumances en compagnie de ton père et les nombreuses après-midi à vadrouiller dans la campagne…jamais tu n’aurai imaginé qu’un jour, le point final serait apposé. A vrai dire, tu voyais bien que ça n’allait plus entre tes parents, tu n’étais pas stupide : ton père rentrais de plus en plus tard du travail et acceptais n’importe quel contrat pourvu qu’il soit loin de la maison et ta mère, eh bien elle n’était plus la même. Elle qui n’avait jamais été coquette le devenait de plus en plus, elle ne manquait plus la moindre occasion pour aller sur Amarillo sortir avec ses nouvelles amies, des femmes modernes, des femmes cultivées. Oh ce n’était pas une mauvaise choses à tes yeux, chacun vivait la crise de la quarantaine à sa manière…mais tu aurais du comprendre ce qu’elle voulait dire quand elle prétendait étouffer, quand elle disait que cet univers n’était pas fait pour une femme comme elle. Tu n’avais pas compris mais ton père, lui le savait depuis bien longtemps, pas vrai, que c’était terminé entre eux. Qu’il n’y avait plus rien pour sauver les meubles, qu’il ne pourrait plus la retenir plus longtemps, sa femme du siècle.
Jusqu’au bout tu avais cru que les choses s’arrangeraient, t’étais parfois bien naïve comme fille. Jusqu’au bout tu pensais que tu pourrais vivre ta vie comme avant. Au pire, que pouvait-il arriver ? Maman partirait et toi, tu resterais bien sagement à la maison avec Papa, ta vie serait plus la même mais tu saurais surmonter ça…Sauf que tu n’avais rien vu venir, pas vrai ? Tu n’avais pas pensé qu’elle t’emmènerait, qu’elle aurait ta garde et surtout, qu’elle irait si loin. Tu n’avais pas pensé te prendre cette bombe en pleine face, pas vrai ? Autant dire que le divorce fut pour toi un véritable tournant, tu n’étais pas prête à ça, tu n’étais pas au clair avec tout ça et c’est presque hébétée que tu avais été traînée à l’autre bout du pays. Oh comme toute adolescente, tu n’avais pas hésité à lui mener la vie dure, à ta mère. Tu n’en étais pas très fière, tu avais toujours été une gentille fille, douce malgré un caractère entier mais il fallait que tu exprimes ton malaise et la coupable était toute trouvée.

En deux ans, tu avais eu le temps de t’habituer à ta nouvelle vie, tu avais même appris à en apprécier quelques aspects même si tu resterais toujours une vraie redneck dans ton cœur. La transition n’avait pas été simple, intégrer un nouveau lycée, te refaire des amis, t’acclimater avec les coutumes des gens d’ici, te fondre dans leur masse pour ne pas être sujet de leurs moqueries…Tout ça n’avait pas été facile pour toi mais tu y étais parvenue. Ce que tu ne parvenais à accepter en revanche, c’était bien le nouvel homme dans la vie de ta mère. En toute sincérité, tu n’avais pas grand chose à lui reprocher, bel homme, plutôt gentil et plus que généreux avec toi, tu ne pouvais qu’en féliciter ta mère pour son choix, vous auriez pu tomber sur pire mais…non, tu ne peux t’empêcher de le comparer à ton père et puis, tu n’étais pas prête à la voir refaire sa vie, tu n’étais pas prête à voir une nouvelle famille se broder autour de toi…d’autant plus que ce dernier ne venait pas les mains vides : père de trois enfants d’un précédent mariage en cours de divorce, tu n’avais aucune envie d’apprendre à les connaître. Aucune envie d’appeler ces étrangers demi-sœur, demi-frère. Et puis, c’est qu’ils te le rendaient bien ! Entre vous, ça a toujours été comme chiens et chats, tu ne les acceptais pas car tu te trouvais très bien toute seule tandis qu’eux n’acceptaient pas cette nouvelle femme dans la vie de leur père et encore moins cette nouvelle sœur gâtée par leur père. Autant dire que les repas de famille sont animés désormais !
Par chance, ton entrée à Harvard te permit de souffler un peu loin de cette famille que tu n’avais pas choisie. Evidemment, c’était sans compter sur leur présence EUX AUSSI à l’université. Ça aurait été trop beau d’en être débarrassée ! Par chance, l’université est grande et vous êtes tous parvenus à vous éviter et mener votre propre petit bout de vie. Loin les uns des autres…Pourvu que ça dure.