OMBRE VAN ROSEN ► Jennifer Lawrence

D’aussi loin que remontaient tes souvenirs, tu avais toujours adoré partager le même visage que ta sœur, tu avais l’impression d’avoir une alliée pour affronter le monde, une amie à qui partager tes secrets, une oreille pour t’écouter et une épaule pour te soutenir lorsque les doutes te prenaient d’assaut. Oui, tu avais vraiment cru que rien ne vous séparerait jamais, que vous seriez toujours liées comme les doigts de la main, que vous grandiriez ensemble et peut-être même que vous vous trouveriez des jumeaux à épouser. C’était naïf que de croire que les contes de fées existaient mais tu y avais réellement cru des années durant si bien que tu mis toujours tout en œuvre pour cultiver votre ressemblance, pour être la réplique parfaite de Cornélia.
Ce n’est que bien plus tard que tu vécus votre séparation comme une véritable amputation. Aussi douloureuse et traumatisante que la perte d’un membre. Pour toi, c’était pire, tu avais perdu un bout de ton âme. Pire encore, tu l’avais vue piétiner ce qu’il restait du moignon, cracher dessus comme s’il s’agissait d’un reste dégoutant. A vrai dire, tu ne savais plus très bien quand les choses ont commencé à s’envenimer, peut-être avais-tu été aveugle ? Peut-être avais-tu refusé d’ouvrir les yeux et voir la vérité en face ? Peut-être l’avais-tu irritée à chercher à lui ressembler, à chercher à l’égaler alors que des deux, il ne faisait aucun doute qu’elle était la plus appréciée, la plus aimée des autres. Oh tu ne lui en voulais pas, au contraire tu étais heureuse pour elle, mieux tu l’admirais pour son rire franc, ses sourires énigmatiques et son humour percutant. Tu étais fière d’être sa sœur, fière de lui ressembler, fière d’être sa plus proche amie, celle qui la connaissait le mieux, celle avec qui elle partageait tout. Oui, Cornélia était tout pour toi. Mais toi, qu’étais-tu pour elle ? Tu ne t’étais jamais réellement posé la question, trop occupée à travailler dur pour être à la hauteur, pour avoir les meilleurs résultats scolaires et physiques, histoire de pouvoir te vanter d’une chose au moins. Cette pression, personne ne te l’avait imposée et pourtant, tu travaillais d’arrache-pied pour être digne de ta sœur, cette fille pour qui tout semblait facile.

S’il y avait quelqu’un d’autre pour être fier de vous à la maison en revanche, il s’agissait bien de votre père. Ce dernier, bien que souvent absent, a toujours été comme un héro pour toi, un prince revenant du champ de bataille sur sa belle Audi blanche. Tu ne comprenais pas toujours son métier à l’époque mais tu en étais fière, fier d’être la fille chérie de cet homme séduisant et charismatique, cet homme qui te traitait comme une princesse, cet homme qui se serait plié en quatre pour vous. Comme toutes les petites filles, tu aurais rêvé de l’épouser. Un peu comme ta mère en fait et pourtant, c’est à cause d’elle que votre petit rêve a éclaté comme une bulle de savon. Sincèrement, tu pensais réellement que la situation se calmerait à la maison mais non, les crises devenaient de plus en plus fréquentes et les accusations de plus en plus nombreuses : Papa aurait trompé maman. De belles conneries tout ça ! Ton père était trop bien pour ça et quand bien même, ce n’était pas comme s’il avait tué quelqu’un, pas vrai ? Presque aussitôt, tu avais porté ton soutien à ton père tandis que Cornélia…se rangea du côté de votre mère. Comment pouvait-elle agir ainsi alors qu’il avait toujours été parfait avec elles ? Comment pouvait-elle seulement encourager leur mère à foutre en l’air la famille ? Tu ne le savais sans doute pas encore à ce moment là mais le fossé entre vous s’était subitement creusé, rendant tout retour en arrière impossible.

Non seulement un fossé fut creusé mais la guerre fut également déclarée entre toi et ta sœur. Pour la première fois, tu te retrouvais seule à devoir te reconstruire, à devoir forger ta propre personnalité sans vivre dans l’ombre de Cornélia, sans vivre à son crochet et tu découvris très vite à quel point c’était dur. Dur de devenir une personne à part entière, dur de vivre sans ta moitié, dur de te faire respecter comme Ombeline…ou plutôt Ombre, et non plus comme la sœur de. Cela aurait pu être simple si Cornélia n’avait décidé de te pourrir la vie, si elle ne s’était subitement transformée en salope égoïste. Toi qui l’avait toujours admirée, tu ne la reconnaissais plus et à chacun de ses sales coups, ton amour pour elle se réduisit jusqu’à arriver à la détester. Oh elle pouvait bien te rabaisser et te piquer ceux qui t’étaient chers, tu forgeais chaque jour un peu davantage ta carapace, devenant peu à peu la fille intouchable que tu es aujourd’hui. Cornélia couche avec tes petits-amis ? Grand bien lui fasse, elle t’évitait ainsi de donner ta virginité à un tocard. Cornélia te tirait dans les pates ? Tu te ferais un plaisir de l’allumer sur les réseaux sociaux. Cornélia te faisait honte à se mettre la mine du siècle lors de la dernière soirée étudiante ? Parfait, elle ne faisait que te rendre plus classe dans ta retenue toute calculée.

Cette guerre, elle l’avait voulue, tu la lui offrais sur un plateau d’argent et Harvard allait devenir le théâtre de vos coups bas. Si tu avais, au fond de toi, espéré que votre famille se répare un jour, votre déménagement à Cambridge et plus particulièrement à Harvard pour toi et tes sœurs, mit fin à tous tes espoirs. Ici, ton chemin se sépara définitivement de celui de Cornélia, à commencer par vos confréries opposées et vos études sans rapport. Même vos fréquentations changèrent du tout au tout et pour cause, il était hors de question pour toi de t’acopiner avec des gens aussi peu recommandables que les étudiants de la Mather House. Au fond, ce n’était sans doute pas une mauvaise chose car personne ne vous connaissait au sein de la prestigieuse université, ici il n’est plus question de rester dans l’ombre de ta sœur…mais au contraire, lui en faire à ton tour.