NAVID TEHRANI ► Ramin Karimloo

Vous voulez connaître mon histoire ? Vous vous demandez sans doute, vous qui me voyez, comment j'ai fini dans cet état, n'est-ce pas ? Oui, si vous ne m'avez jamais vu "IRL", comme vous dites, sachez ceci : toutes les photos où l'on me voit debout appartiennent au passé. Je n'ai plus l'usage de mes jambes. Je n'attends aucune pitié pour mon statut de paraplégique. C'est simplement ce que je suis devenu et je tenais à éclaircir ce point. Vous voulez savoir comment j'ai fini dans ce fauteuil roulant ? Je n'ai aucun secret à ce sujet... Tenez, voici ma petite histoire ! Asseyez-vous et écoutez.

Je suis né à Téhéran en 1981. Une période agitée pour mon pays, mais pour être franc, ne me demandez pas trop d'informations à ce sujet car je n'ai passé que très peu d'années de ma vie dans mon pays natal. Voyez-vous, j'ai eu la chance de naître au sein d'une famille aisée qui avait la possibilité de voyager. Mon père avait bien réussi dans les affaires et j'ai eu le droit à une jeunesse dorée à l'étranger... Bien sûr, quand je dis "l'étranger", c'est de l'occident que je parle. J'ai donc passé l'essentiel de mon enfance et de mon adolescence en Grande-Bretagne.

Quel genre de gosse j'étais ? Un gosse de riche qui savait s'amuser. Je n'avais pas de mauvaises notes, mais mes résultats n'avaient rien d'exceptionnel pour autant et je passais l'essentiel de mon temps à m'éclater. Disons-le, je ne me suis pas arrangé pendant mon adolescence et mes premières années de jeune adulte, et j'ai salement grillé la chandelle par les deux bouts. Filles, alcool, drogues... Je savais comment passer une super soirée.

Qu'en pensaient mes parents ? Ils étaient ravis ! Non, bien sûr que non. Mais ma mère aimait son fils et mon père n'avait pas le cœur de la blesser en me coupant les vivres. Tous deux me pressaient pour faire des études et je m'inscrivais effectivement pour finalement sécher les cours et apprendre d'autres leçons à l'école de la vie. Des fois, il est peut-être plus sage d'écouter ses parents...

Un soir, alors que j'avais pratiquement la trentaine et une vie désespérément peu active en dehors de quelques emplois plutôt tranquilles (merci papa pour le piston, même si tu l'as toujours regretté par la suite) et de cursus lamentablement délaissés, j'ai commis l'abus de trop. Je roulais trop vite, ce soir-là... Ma voiture dérapa et s'écrasa contre un arbre. Je bénis le ciel chaque jour d'avoir été seul et de ne pas avoir la mort d'un autre sur ma conscience. J'ai été puni par mes excès autrement : en perdant purement et simplement l'usage de mes jambes.

Dans la vie, les leçons que l'on retient le plus sont les plus dures. J'ai déprimé un petit moment, mais j'ai compris une chose : un homme n'a pas besoin de ses jambes pour rebondir et avancer. Mon père fut d'un grand soutien. Plutôt que de me blâmer, il me proposa une nouvelle chance... Cette fois, je la saisis. Il me proposa un poste chez un de ses amis, à New York. Je n'avais pas grand chose à faire : juste traduire du farsi à l'anglais des articles de presse. Soit de ma langue maternelle à une que je pratiquais depuis ma plus tendre enfance.

C'est ainsi que le pauvre homme sans voie finit par trouver la sienne. J'avais déjà fait un tour aux USA, pour y faire les 400 coups, mais y vivre pleinement fut une expérience agréable et une révélation. En outre, les articles que je traduisais pour le compte de la maison de presse de l'ami de mon père me passionnaient. Moi qui n'avais jamais pleinement pris le temps de lire et n'avais jamais manifesté tant de curiosité pour ces choses-là, tout cela me fascinait... On parlait politique, religion, anthropologie... J'en apprenais plus encore sur ma culture et mon pays natal. J'étais fasciné par ces connaissances que je n'avais jamais pris la peine de chercher.

Qu'on soit bien clair : je n'ai jamais été complètement ignare ou inculte. Je parle plusieurs langues, j'aime pas mal de styles de musique et je ne crois pas qu'il existe plus incollable que moi sur Radiohead et il m'arrive de lire ou de regarder quelques films. Cela dit, au grand dam de mes parents, je n'ai jamais été un étudiant particulièrement curieux, c'est tout...

Mais cela changea. J'avais trouvé ma vocation. Je dus faire preuve de pas mal de courage pour demander à mon père de l'aide financière, mais il comprit et me l'accorda, à condition de ne pas totalement abandonner mon job. Une condition raisonnable... Et c'est ainsi que je rejoignis l'une des facs les plus prestigieuses : la très célèbre Harvard. Et ensuite ? Le reste de mon histoire, il me faudra la vivre avant de la raconter.