Tu veux ma photo ? — Sonny.

Sur le campus, le flot général des étudiants les poussait les uns les autres à rentrer pour se protéger du froid. Tous s'emmitouflaient et se hâtaient de pénétrer dans le grand hall. Sauf Cadell. Il sortait du Sanders Theater et allait à pas tranquilles vers les pelouses dégagées de Harvard. Il était sans agitation, ne semblait pas préoccupé par les températures. Il avait consacré les heures précédentes au théâtre et, toute l'énergie si bien dépensée qu'accumulée au contact des autres sur le plateau, l'avait grandement revigoré. À présent, il voulait calmer un peu le flux battant dans ses veines, apaiser son esprit encore plein des mots, des gestes, de cette manière d'être si particulière qui se révélait là-bas sur les planches. Le Gallois, qui ne manquait jamais de prendre sa guitare pendant ses cours de théâtre — on ne savait jamais quand on avait besoin de musique, s'installa sur l'herbe et la sortit de son étui. Quelques secondes plus tard, l'instrument accordé, Cadell était emporté par la douceur d'une chanson galloise.

FAIT AVEC AMOUR PAR WILD HEART.

Tu veux ma photo ?
— Sonnydell.

Toi t’étais content, comme d’habitude. Ton éternel petit sourire de grand satisfait sur les lèvres, tu trottais presque joyeusement en venant de sortir de cours, ton sac en bandoulière et ton petit bonnet gris enfoncé sur son crâne. Le peu de glace qu’avait apporté le début du mois venait tout juste de fondre mais un petit vent malin continuait de faire frissonner les plus sensibles. Toi tu n’y prêtait aucune attention, comme à ton habitude, trop occupé à admirer ce paysage évoluant un peu plus chaque jour. Le froid tintait légèrement ton visage pâle de quelques rougeurs sur tes joues et tu nichais ton nez glacé dans ta grosse écharpe enroulée autour de ton cou. C’est là qu’un son mélodieux parvint à tes oreilles et que tu fronçais les sourcils, avant qu’un sourire vienne se poser sur tes lèvres. Tu chercha des yeux d’où il provenait, apercevant le profil d’un jeune homme qui jouait de la guitare dans l’herbe. Sans aucune hésitation tu trottas jusqu’à lui, t’asseyant juste en face de lui. Puis quand il relève les yeux vers toi, tu lui adresses ton plus beau sourire, l’écoutant jouer en te balançant très légèrement en rythme.

Le musicien ne remarqua pas immédiatement l'ombre qui lui faisait tout à coup face. Pris par la chanson, il voyait défiler dans sa tête les paysages gallois que sa voix évoquait. Ce n'est qu'en ouvrant les paupières qu'il remarqua une petite tête brune souriant devant lui. Il ne fut pas surpris, comme s'il s'y attendait. Cadell était empreint d'un calme presque inégalable, qui régulait son approche des événements quotidiens. Comme à son habitude, il plongea son regard dans celui de l'inconnu. Il était rare qu'il quitte des yeux un interlocuteur, mais jamais ses pupilles ne le faisaient avec défi. C'était au contraire une marque d'attention et de réceptivité. Il termina sa chanson, gardant néanmoins sa guitare contre lui, sur laquelle il appuya un coude en laissant reposer sa main sur sa paume. « Merci. » dit-il avec douceur au jeune homme. De son écoute, de son attention. Le Gallois finit par chatouiller encore ses cordes, mais sans chanter, presque par réflexe, créant une mélodie de fond. Il regardait en silence son spectateur avait une curiosité bienveillance, prenant le temps de le découvrir, puisque jusque-là il s'était concentré sur ce qu'il faisait. Le Lowell ne se souvenait pas de son visage, c'était donc qu'ils n'avaient jamais dû se croiser. Il y avait quelque chose de pétillant dans son sourire et dans toute son expression, quelque chose d'engageant. Le froid rosissait sa peau, il avait presque un air enfantin qui ne masquait pourtant pas son statut d'étudiant. Cadell offrit au jeune homme un sourire sincère puis détourna les yeux mais seulement pour fouiller dans son sac et en tirer un thermos de thé. « Je ne pensais pas avoir un public par ce froid. » Il le regarda avec malice puis lui tendit du thé dans la tasse de lu thermos. « Tu en veux, peut-être ? »

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Tu veux ma photo ?
— Sonnydell.

Ce petit morceau de guitare suffirait sans doute à faire ta journée. C’était totalement ton truc ça, les petits concerts privés que la vie offrait presque tous les jours et que les gens ne prenaient jamais le temps d’écoute. De toute façon, t’avais toujours trouvé les gens trop pressés. Alors sans aucune hésitation et avec ton air naturel habituel, tu t’étais assis en face de ce garçon que tu ne connaissais pas, les jambes installées en tailleur et un petit sourire sur les lèvres. T’allas même jusqu’à fermer les yeux un instant pour écouter pleinement la mélodie, dont t’ignorait l’origine mais qui sonnait différente de celles habituelles que tu pouvais avoir entendu. T’aimais beaucoup. Tu rouvris les yeux en l’entendant d’ailleurs s’arrêter après un certain temps, tandis qu’il te remerciais. Tu haussas les épaules comme si c’était tout à fait normal en l’applaudissant un peu. « Oh, je suis un petit public mais un bon public quand même, non ? » Tu lui fis avec ta candeur habituelle, hochant la tête en le regardant te tendre une tasse avec surprise. Tu ne t’y attendais pas, un sourire surpris venant s’emparer de ton visage. « C’est du thé ? » Rien de meilleur en ce temps là, c’était d’ailleurs ce que t’avais envisagé de te faire en rentrant. Tu pris la thermo pour en verser dans le capuchon, buvant quelques gorgées avant d’hocher la tête. « Merci. Qu’est-ce que tu jouais ? C’était beau. » Toi et tes grandes inspirations poétiques.

Le guitariste rit légèrement à la remarque de son auditeur du jour, amusé par ses propos mais aussi par l'ingénuité dont semblait faire preuve le jeune homme.  « Les petits publics sont parfois les meilleurs. » lui fit-il avec un clin d'œil avant de préparer la tasse de thé. Non, Cadell ne se baladait pas tous les jours, toutes les heures, avec une thermos de thé prêt à l'emploi au cas où il se retrouverait assis dans l'herbe dans le froid avec un petit auditeur charmant. Mais la journée avait été longue, c'était une répétition générale d'une pièce et il prenait rarement de pauses à ces séances. Un thermos de thé, c'était plus pratique qu'aller acheter thé par thé à boire à la machine à l'autre bout du campus. Le Gallois acquiesça en hochant la tête à la question de l'étudiant puis sourit; il était toujours touché que les chansons de son pays natal parviennent à atteindre même ceux qui ne connaissaient rien du gallois.  « Une chanson galloise. » Il ponctua sa phrase de son son sourire toujours un peu malicieux, observant attentivement le jeune homme. « Tu t'appelles comment ? »

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— Sonnydell.

Tu n’avais pas vraiment réfléchi, comme d’habitude. Tu étais un homme attiré par ses sens avant de céder à la raison, tu aimais vivre sans réfléchir et cette fois tu t’étais seulement laissé bercer par les notes de guitare qui étaient venues te bercer. Et tu t’étais assis, tout simplement, l’admirant avec tes grands yeux d’un bleu ciel sincère qui buvaient sa musique. Il te dit alors que les plus petits publics sont souvent les meilleurs, et tu souris, absolument d’accord avec lui. « Oui c’est vrai. » Tu acquiesces en buvant quelques gorgées du thé qu’il te tend, le liquide encore chaud venant aider ta trachée à se débarrasser du vent glacé qui l’encombre. Tu laisses tes lèvres posées contre le bouchon pendant quelques instants, le temps de te réchauffer avant de finalement te reculer un peu. « Alors tu es gallois ? » Bravo Sherlock, certainement. Tu aimais avoir confirmation de tout, c’était comme ça. C’est là que tu remarquas son regard sur toi et que tu souris légèrement, tes mains toujours autour du récipient. « Sonny. Et toi ? »

C'était une image de fiction. Ce petit bonhomme avec son bonnet sur le crâne, assis devant lui avec toute sa candeur, les joues rosies par le froid mais qui lentement se réchauffait aux gorgées de thé qu'il avalait. Une belle image de fiction, comme il aurait aimé en garder trace dans un de ses films, si seulement il parvenait à passer outre sa répulsion de la caméra. Un plan fixe et long, qui s'imprègne de l'essence de ce petit gars, la dévoile au spectateur. Cadell écoutait les gens. Pas leurs paroles, pas leurs conversations — pas seulement ça. Il écoutait ce qu'il y avait là à l'intérieur, ce qui était au coin des iris, à demi-dévoilé à demi-caché. Il cherchait cette vérité, et la recevait. Calmement, sans la soustraire, ne la volant jamais. Celui qu'il avait en face de lui, là, ce petit homme qui certainement ne devait pas être très loin de son âge, avait des galaxies dans les yeux. Cadell eut un petit sourire à sa question, son ingénuité le couronnait d'une aura bienveillante. « Oui, c'est ça. Pas toi, n'est-ce pas ? » Le guitariste entendait les accents de Boston dans son parlé, mais peut-être pouvait-il se tromper, peut-être s'était-il fait à l'Amérique. Cadell tenait, lui, farouchement à son accent natal. En découvrant son prénom, l'ombre d'un sourire se dessina sur ses lèvres et il le regarda quelques secondes. « Sonny comme "sunny", mais avec un "o" ? » Son sourire flotta encore quelques instants sur son visage ; ça lui allait bien, un tel prénom. Il avait quelque chose de solaire, ce jeune homme — un soleil de printemps, doux sans brûler, naissant, ayant encore à cheminer, prêt à bourgeonner. « Sunny, you're so sunny / With no money, it's so funny / Who needs a money, it's so sunny / And you feel like summer. » chantonna distraitement Cadell, songeant à une chanson récente qu'il avait entendu. Il replongea son regard vers celui de Sonny et lui offrit un vrai sourire. « Moi, c'est Cadell. » Et tandis qu'il apprenait son prénom, le Gallois sortit de sa besace son appareil photo, fit brièvement quelques réglages et, après un temps pour stabiliser l'appareil, photographia un portrait de Sonny. Il ne filmait plus, mais il prenait encore des photos. C'était une alternative à laquelle Cadell n'avait pas dit non.

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Tu veux ma photo ?
— Sonnydell.

Apparemment tu semblais bien lui plaire. T’aimais lorsque t’arrivais à nouer le contact rapidement avec quelqu’un, c’était comme un poids pour toi que de sentir un mur entre deux personnes. T’aimais la proximité et la sincérité, t’aimais avoir beaucoup d’amis, des gens différents qui t’apportaient tous quelque chose à leur manière. D’une telle façon, jamais tu ne t’ennuyais, parce que t’étais toujours en perpétuel apprentissage. Et comme toujours un peu sociopathe sur les bords, t’avais besoin d’apprendre du comportement des autres pour trouver le tien. « Non pas moi. » Tu fais comme avec une petite moue désolée, parce que t’aurais bien aimé parler gallois avec lui, mais tu ne connaissais pas grand chose de cette culture. T'étais juste un adorable petit Quincy, fier de sa maison. Vous faites alors les présentations et tu en profite pour lui donner ton surnom, ne voyant pas l’intérêt de te présenter sous ton vrai nom que tu détestes. « Oui c’est ça, Sonny, avec un -o pour seulement faire un clin d’oeil. » Tu fais en joignant le geste à la parole dans un petit clin d’oeil adorable. Tu t’assois en tailleur, clignant des yeux lorsqu’il se met chanter, un grand sourire prenant place sur tes lèvres. Là encore tu l’écoutas avec grande attention, sa voix te berçant alors que tu te balançais lentement de gauche à droite. « Ça aussi c’est joli, tout est joli quand ça sort de ta bouche, Cadell. » Tu souffles lentement en relevant les yeux vers lui, écarquillant les yeux lorsqu’il prend une photo de toi, et tu rougis. « Suis-je donc si photogénique ? » Il faut croire que les gens s’arrachaient tes yeux bleus. Tu ris.

Il était drôle, le genre de personne à l'humeur et aux gestes si naturels que leur sincérité les enrobait de fantaisie. Cadell rit lorsque Sonny fit son clin d'œil. « Ça te va bien, "Sonny" avec un "o". » C'était solaire et vif. Un peu comme ce qu'il avait l'air d'être. Un garçon pétillant, plein de joie — plutôt son contraire en somme, quoiqu'on ne savait pas toujours à quoi s'attendre, avec Cadell. Le Gallois chantonna les paroles d'une chanson qui lui venait et il eut un éclat de rire quand son compagnon du jour lui dit que tout était joli quand ça sortait de ta bouche. « Tu ne m'as encore vu en colère pour dire ça. » répondit-il avec un sourire en coin. C'était beaucoup moins joli à voir. Peut-être très théâtral. Puis, le regardant, il le prit en photo, et un sourire amusé éclaira son visage à la réplique de Sonny, avant qu'il ne plonge ses yeux dans les yeux. « Tout le monde l'est. — Mais tu as quelque chose de tout à fait charmant et spécial. ¯ dit-il en maintenant son regard.

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