IRINA-TASHA HÖLSÖ ► Minka Kelly

Là d’où je viens, le soleil ne se lève que quelques heures dans la journée en hiver et refuse quasiment de se coucher l’été. Il ne fait jamais chaud mais la lumière se reflète magnifiquement dans la neige. Je suis née à Helsinki, capitale de la Finlande, par une belle journée de janvier. J’ai vécu et grandi dans cette ville jusqu’à mon départ pour Harvard. Je m’y sens parfaitement chez moi. C’est mon royaume. Mon père en a même été le maire pendant une dizaine d’année. Je suis également à moitié russe et très fière de l’être. Ma mère est une diplomate née à St-Pétersbourg, en Russie. Je connais ce pays par cœur. J’ai d’ailleurs passé mes deux premières années d’études à Moscou avant de partir pour les États-Unis.


J’ai passé toute ma vie à refléter à la face du monde une image, une image idéale. Je suis une vision. Tout d’abord, ma mère est d’une beauté froide, saisissante. J’ai hérité de cette beauté. On se retourne sur mon passage. Je ne laisse personne indifférent. J’aime que tous les regards se posent sur moi lorsque j’entre dans une pièce. Cette prestance, ce magnétisme,  je le partage avec tous les membres de ma famille. Nous sommes une famille politique, médiatique, faite d’apparences et de faux-semblants. Mon père est un homme très influent en Finlande. Il est aujourd’hui député au parlement du pays. Ma mère et lui se sont rencontrés lors d’une soirée mondaine au profit du commerce entre la Finlande et la Russie. Ils n’ont jamais arrêté de renvoyer cette image irréprochable et de cacher, et il y en a, leurs plus noirs secrets. Ces valeurs, ils me les ont transmises et j’en suis la parfaite ambassadrice.


Toute petite déjà, je passais mon temps à regarder le ciel de ma fenêtre, allongée dans l’herbe fraîche ou dans la neige, à donner des noms pour le moins originaux et très personnels aux petites lumières que je scrutais dans la nuit. Curieuse, je voulais savoir ce qui s’y passait, pourquoi c’était là et, aussi, ce qu’on ne voyait pas. Les mots galaxies, étoiles, astres et univers ont vite été mes préférés et résonnaient drôlement dans ma bouche de petite rêveuse dont le souhait le plus cher, le cadeau que je commandais sans cesse au père noël, était un voyage sur la Lune. Mon inclinaison pour l’astronomie et mon besoin irrémédiable d’en apprendre plus et de l’expliquer m’ont amené à choisir des études qui paraissaient évidentes : l’astrophysique. Cela a un peu décontenancé ma famille de me voir en scientifique, eux qui souhaiteraient que je suive leur trace dans le monde politique. C’est pourquoi j’étudie le droit en matière mineure. Comprendre le monde extérieur, c’est bien mais savoir se débrouiller dans le monde dans lequel on évolue, c’est mieux.


Grandir dans la famille qui est la mienne n’est pas toujours évident et je ne compte plus le nombre de fois où je me suis retrouvée prise au piège des désirs de mes parents. Ils ont imaginé et composé pour moi une vie à leur image sans prendre en compte mon avis ou mes aspirations personnelles. C’est pour cette raison qu’à l’âge de dix ans, alors que je n’avais pas encore la tête à m’intéresser à la gente masculine, mes parents ont décidé de faire une alliance avantageuse avec une famille aristocrate russe en me fiançant avec un jeune garçon noble que je ne connaissais même pas. Je savais juste qu’il s’appelait Nikolaï et je n’ai pas tardé à découvrir que c’était le garçon le plus insipide et simplet qui puisse être. Un blond aux yeux bleus rougeau et grassouillet que j’ai détesté à la seconde où il m’a été présenté lors d’un de ces évènements mondains où je me suis toujours ennuyée terriblement. Ce soir-là, une petite fille aux longs cheveux bruns et aux yeux en amande pleins d’étoiles s’est fait la promesse que jamais, au grand jamais, elle n’épouserait quelqu’un qu’elle n’aura pas choisi et qui ne lui inspire pas autre chose que de la haine et du dégoût.


Peut-on considérer qu’on est veuf si l’on ne s’est jamais marié ? J’ai comme un doute mais, tout de même, huit ans de fiançailles ça doit bien compter pour quelque chose. J’ai eu beau lutter de toutes mes forces, faire preuve de tous les stratagèmes, multiplier les crises, les fugues et les chantages au suicide, mes parents n’ont jamais cédé et rompu cette alliance qui me faisait tant horreur. Nous devions célébrer nos noces lorsque nous aurions atteint l’âge légal de dix-huit ans et, au cours de ces années d’attente, je n’ai développé pour le jeune homme qui m’était destiné que plus d’aversion tant il semblait s’enlaidir aussi bien intérieurement qu’extérieurement au fil du temps. Et, à l’aube de ma majorité, je ne voyais plus d’autre moyen que de commettre l’impensable pour me sortir de cette impasse. Je vous parlais plus tôt des noirs secrets qui habitaient ma famille sans que cela soit de notoriété publique. L’un de ces secrets bien gardés était l’appartenance de certains de mes oncles et cousins du côté maternel à la tant redoutée mafia russe. Cela faisait plusieurs années que je le savais et qu’ils m’apparaissaient pour cette raison bien plus sympathiques et serviables. Ils représentaient ma dernière chance de m’échapper. Ils ont fait croire à un ridicule accident et n’ont laissé aucune trace derrière eux. Ainsi, je suis devenue veuve, heureuse et pleine d’avenir.


Je suis arrivée à Cambridge il y a maintenant deux ans et demi et je ne pourrais être plus satisfaite de ma vie. Mon pays d’origine me manque c’est vrai, notamment le ciel diablement plus étoilé qu’ici, mais m’être éloignée de l’emprise familiale est un véritable soulagement pour moi. Je suffoquais parmi eux et leur petite vie étriquée. Ici, je suis totalement libre de mes agissements et j’entrevois mon avenir plus clairement. Les possibilités sont illimitées.