Dimitri V. Dragomir ► Dominic Sherwood

1998

« Dimitri ! Oh j’en peux plus de ce gamin ! »

Maria Alexandrovna Dragomir avait le plus joli des visages, elle passait son temps à lire et ne prenait pas son rôle de mère très à cœur. Plus amoureuse d’Alyosha Karamazov que de son mari, plus attendri par  Petchorine que par cet enfant aux yeux étranges. Il venait d’empiler ses précieux livres pour se construire un fort et elle de l’attraper à bout de nerf, jusqu’à ce que claque sèchement la voix du patriarche Dragomir.

« C’est pas comme si c’était le tiens. »

Assis à son bureau, il n’avait même pas levé les yeux, alors que l’enfant blêmit, embarrassée Alexandrovna le lâcha. Elle n’avait jamais su de qui était ce gamin. Son mari était un jour revenu avec un bambin. Ils n'en parlèrent jamais et la première fois qu'il prononça "maman", elle s'était détournée. Il lui rappelait à chaque instant sa stérilité indigne. Chacun pensait qu’il était d’elle, bien que personne ne l’ait jamais vu enceinte. Elle avait seulement pu lui attribuer son prénom, non sans une certaine malice en songeant à un personnage de Dostoïevski. L’enfant quitta la pièce en courant, sans que ni son père, ni cette mère qui n’était pas la sienne ne lui jette un regard. Il n’aurait pas d’explication.

« Mitia… » hésita Maria Alexandrovna, usant de ce surnom affectueux qui sonna faux à ses propres oreilles. Le gamin ne reparut pas de la soirée. Enfermé dans sa chambre, il digérait cette information, cela ne changeait rien, si ce n’est qu’il comprenait un peu mieux les regards que cette femme portait sur lui : intrigués, vexés, agacés. Il n’attendrait plus rien d’elle.

Depuis ce jour, il ne toucha plus à sa précieuse bibliothèque et ils se contentaient de se croiser dans les couloirs. Jusqu’à ce qu’elle meurt dans l’indifférence générale, pendue au milieu de ses livres.

Son père Vladimir Dragomir était un général aussi respecté que peu présent dans la maison familial. Proche du pouvoir et cousin par alliance d’un autre Vladimir, celui-ci à la tête du gouvernement, il avait pour son fils des ambitions carriéristes facile à réaliser lorsqu'on a assez d'argent et d'influence.


2008

« Mais qu’est ce que tu fous putain ! »
« Lâche moi Mitia, regarde moi ça, c’est dégueulasse ! »

Dimitri avait attrapé la manche de son ami, alors qu’il s’apprêtait à lancer un second caillou sur un couple d’homme qui se tenait la main. Il avait comme donné l’alerte, les passants les dévisagèrent et aucun ne songea à réprimander l’adolescent. Quelques insultes fusèrent et le cracha d’un homme les manqua de peu. Humiliés ils se lâchèrent et accélérèrent le pas. Dimitri resta sonné, c’était la première fois qu’il voyait deux hommes s’afficher, il avait vaguement conscience que c’était possible, mais « pd » restait pour lui l’insulte préférée de son père.
Il dévisagea Arkadi et comprit avec une horreur certaine que l’attachement quasi obsessionnel qu’il avait pour cet ami, n’était qu’en partie dû à l’amitié. Cependant, à cet instant, Le visage déformé par un dégout absurde, il lui parut soudain très bête et toute l’idéalisation qu’il s’était construit s’effondra.

2010

Elle était belle Lena, elle était blonde et déjà elle posait pour les magazines. C’était sa copine, celle qu'il avait laissé pour intégrer l’école militaire. En avance, parce que l’argent et le pouvoir ouvre bien des portes, et qu’on ne verra pas en Russie, quelqu’un brider les ambitions militaires d’un volontaire en pleine forme.
Un de ses camarades de chambre avait un poster de Lena au-dessus de son lit, dans une pose suggestive, la bouche en coeur. Elle le dégouta aussi rapidement qu’il l’avait aimé. Cette fille sur papier brillant, plus maquillé qu’une voiture volée, plus exposée que les prostituées du bord de route. Il se battit avec le type qui avait accroché cette photo, il lui éclata le nez, arracha le poster qu’il déchira, froissa et jeta par la fenêtre. Il se prit un avertissement et fut changé de chambre. C’est là qu’il rencontra Piotr, qui fut la source d’une frustration intolérable, qu’il refoula autant que possible, avant de réaliser la stupidité de son attitude. Piotr n’était pas Arkady et il comprit que sa tranquillité d’esprit avait plus de valeur que des principes passéistes issus d’une religion en laquelle il ne croyait pas. Tant que, bien entendu, cela restait confiné aux murs de leur petite chambre. Ils pouvaient se faire expulser et c’était la dernière chose qu’ils voulaient.


2012

Envoyé pour la première fois sur le terrain, Dimitri compris que la guerre n’amenait aucun prestige, au Daghestan il avait tué. Les séparatistes menaçait l’ordre établit, ils avaient pour ordre d’étouffer cette révolution. Dans son uniforme kaki, à travers la lunette de son fusil, il avait tiré pour tuer pour ne pas être tué le premier. Ils allaient gagner, ils étaient plus organisé, ce n’était qu’une question de temps. Les tanks écrasaient leurs abris de fortunes et chaque jour les chanceux qui étaient capturés étaient envoyés dans des prisons où ils regrettaient de ne pas être morts.
C’est en rentrant un soir, qu’une bombe artisanale explosa sur la route. Dimitri fut sonné et ne garde comme souvenir de cela, que la cicatrice causée par un débris métallique qui s’est planté dans sa cuisse. Piotr eut les jambes arrachées. Il mourut quelques heures plus tard et fut érigé en martyr de la cause.

De retour à Moscou, il choisit de reprendre des études, dans le domaine militaire certes, mais des études qui l’éloignerait un temps du champ de bataille. Stratégie, politique internationale, stage au Kremlin, il avait admis son ignorance crasse et entreprit de ne plus être un simple exécutant. Il sorti un instant avec une starlette russe mais l’aspect médiatique de sa relation l’agaça rapidement. Rien ne l'intéressait moins que les paillettes de la renommée.

2015

Lorsqu’un de ses professeurs lui avait conseillé de postuler pour Harvard, il avait d’abord franchement ris. Il était revenu de Syrie, une partie de son régiment avait été sélectionné pour  accompagner le consulat, dans des négociations en lesquelles personne ne croyait.
L’idée le travaillait. Bientôt Poutine allait officialiser la guerre qu’il démentait préparer. Il prépara son dossier pour Harvard le lendemain.

Il n’avait jamais mis les pieds aux Etats-Unis et s’étonnait de l’insouciance de sa jeunesse. S’en agaçait aussi. Le système des confréries ne le perturba pas tant que ça, c’était un moyen de conservation des classes et tout fonctionnait ainsi en Russie. Les héritiers d’un côté et les prolos de l’autre. Il s’intégra plus facilement qu’il ne l’imaginait et le mettait mal à l’aise les trop larges sourires et la familiarité des étudiants. Quel pays étrange… trop contradictoire, ouvert et fermé en même temps, tolérant et conservateur. Peut-être n’y avait-il pas que des défauts à leur culture.