Réception ennuyeuse ► Indigo&Noah

Rien, absolument rien, ne pouvait plus mal tomber à ce moment là de son existence que l’arrivée d’Indigo à Harvard. Noah avait évidemment gardé cette histoire secrète, pour lui Boston c’était un peu la petite bulle d’intimité qu’il n’avait jamais eu. Et même s’il savait pertinemment que son père suivait ses moindres faits et gestes, au moins il pouvait avoir des amis, sortir avec des filles, et oublier dix huit heures par jour les obligations de sa vie courante. Mais voilà qu’Indigo était apparu à la soirée Eliot, toujours avec cet air écœuré et dégouté à l’égard du jeune d’Aremberg. Etrangement, Indigo faisait peur à Noah. Sans doute son aplomb, son intransigeance et le fait qu’elle n’en ai jamais rien eu à faire de lui ou de sa vie. Mais voilà, convention oblige, ils se retrouvaient fiancés l’un à l’autre, malgré eux. Et même si Indigo était irrésistible, Noah ne trouvait aucun plaisir à se pavaner au côté de cette jeune fille qu’il qualifiait de sorcière égoïste, harpie insensible, une Georgina en somme. Dans leur monde, le mariage n’était qu’un contrat, pas plus différent qu’un contrat de vente ou de donation, l’affection n’était qu’en option, si on avait été chanceux du moins.

Mais voilà que ce soir, tous les deux devaient se présenter main dans la main à une réception. Maintenant que tout le gratin savaient qu’ils étudiaient dans la même université, ils n’avaient plus l’excuse de la distance et étaient tenus de se montrer aussi souvent que possible ensemble et en public. Il ne fallut que quelques mots terrifiants de la part de son père, pour que Noah se résigne, enfile un costume gris anthracite et une chemise noire avant de monter dans le taxi d’Indigo. Noah la regardait, tout aussi agacé : « T’aurais pu me dire que tu mettais une robe bleue, j’aurais assorti mon costume. Là, ta robe jure complètement avec mon costume, c’est immonde ! ». Il s’installa confortablement avant de tourner la tête d’un air désabusé vers la fenêtre, comme s’il voulait être n’importe où, sauf ici : « Mais je suppose que la bienséance voudrait que je te dise que tu es ravissante alors … », il tourna de nouveau le visage vers Indigo, et d’une voix monotone, d’un air robotique, dit : « Tu es magnifique ce soir, vraiment, je n’ai jamais vu de créature aussi sublime et je suis un sacré veinard de t’avoir à mon bras ». Sourire jaune, large, très hypocrite : « Et pour ta gouverne, c’est un prototype de la nouvelle collection de Pierre Cardin. Un cadeau d’un ami de la famille. C’est vraiment un truc d’arriviste de tenir à ce que sa richesse soit affichée de manière ostentatoire. ». Sourire doublement exagéré – qu’est ce qu’elle pouvait être exaspérante avec ses airs de princesse mal baisée. Et voilà que la conversation partait sur Echo. Le sang de Noah ne fit qu’un tour dans son corps. Il crispa les poings avant de se contenir d’exploser, se tournant vers Indigo. Et d’un air sérieux et sévère lui dit : « Primo, ce n’est pas ma copine. Deusio, je n’ai de compte à ne rendre à personne. Pas même à toi, donc ce que je dis ou ne dit pas ne te regarde pas. Tercio … il va falloir soigner ton rire, c’est très prolo d’ouvrir grand sa bouche comme tu le fait ». Haussement de sourcil à la fois agacé et moqueur avant de reprendre place, adossé à son siège : « Mon père sait qu’une vie toute entière d’ennuis m’attend avec toi, alors il m’accorde un peu de répit pendant mes études. Même avec une souillon, comme tu dis ». Noah se frotte la mâchoire, signe d’anxiété, avant de détourner le regard vers le paysage défilant. C’était certain que ça n’allait pas être une partie de plaisir – et parler d’Echo avec Indigo était strictement prohibé.

La voiture ralentit et les deux jeunes gens en sortent sous les flashs des projecteurs. Noah adopte son sourire de circonstance, un peu niais, faussement amusé. Il savait faire semblant mieux que personne. Une main posée sur la bas dos d’Indigo, il souriait aux photographes en montant l’escalier principal : « Non, très chère. Il faut faire plaisir aux caméras ». Voulant venger l’affront, Noah s’arrêta net et se tourna vers l’assemblée, se laissant encore photographier quelques instants. Il attrapa Indigo par la taille, plus férocement cette fois, et vint se coller à elle, si bien que leurs visages étaient très proches. Serrant les dents en un large sourire, il murmura : « Souris mon cœur, tout le monde nous regarde ». Les deux jeunes gens finirent par entrer dans la salle de réception. Délestés de leurs sacs et mentaux, ils se dirigèrent vers un groupe d’hommes politiques que Noah connaissait très bien, son oncle était parmi eux. Coup d’œil provocateur à sa fiancée, Noah rejoignit le groupe d’homme qui sirotaient leur coupe de champagne : « Mon oncle, je suis content de vous voir », dit-il avant d’embrasser un homme qui malgré son vieil âge, avait une certaine sensualité : « Permettez-moi, messieurs, de vous présenter mon adorable fiancée, Indigo », Noah tendit le bras vers Indigo afin de l’inviter à saluer le groupe. Présentation faites, Noah s’adressa à son oncle, prétextant avoir aperçu un ami : « Excusez moi, je vais dire bonjour à mon ami Mikhail ». Il se tourna vers Indigo à l’oreille de laquelle il dit, en chuchotant : « Moi, ils me connaissent déjà, je n’ai rien à leur dire. C’est à toi de les amuser et de les convaincre. Je n'ai aucune envie de t'épater, ni aucun ordre à recevoir de ta part. Bon courage, Renko à ta gauche, à les mains baladeuses ». Il s’éloigne à l’autre bout de la pièce et rejoint son ami d’enfance.