EOGHAN J. LEWINGTON ► bob morley

je n'ai pas vécu une enfance extraordinaire. Je n'ai pas vécu de tourments, ni d'événements marquants. Je suis dans une famille nombreuses  dans laquelle je me suis épanoui au fil du temps. Chez les Lewington, il y régnait le respect et l'altruisme. Entre ses murs y régnait un arôme d'amour, d'amour véritable. Oui, nous nous aimions, de toute notre coeur et de toute notre force. Chaque être était une personne à part entière, magnifique dans sa singularité. Père et mère nous disaient souvent de ne pas taire ce que notre coeur criait, qu'il fallait toujours rester soi-même, et ne jamais déroger de nos objectifs. Ce fut donc dans ces valeurs que je grandis. Un jeune homme de bonne famille, un jeune homme bon tout court. J'étais heureux, à Brisbane, j'avais une tonne d'amis j'étais aimé de tous , je menais la vie parfaite... jusqu'à ce que mon père ne soit affecté aux États-unis, à Boston plus précisément. Là-bas, nous étions supposés débuter une nouvelle vie trépidante et enrichissante mais moi, je n'avais pas été du même avis. « Pourquoi on doit partir, j'aime ça vivre ici Maman! » Ma mère, une femme brune aux traits légèrement hâlés par le soleil australien se penche vers moi et scelle un léger baiser sur mon front et me caresse les cheveux. « On a pas le choix, Eoghan, il le faut sinon ton père n'aurait déjà plus de job » Du haut de mes douze ans, je comprenais mais je n'assimilais pas le fait que nous devions partir à tout prix. Mais ce qui arriva, devait arriver et bien vite nous devions plier bagage pour nous expatrier en terrain inconnu. Fort heureusement, l'anglais étant notre première langue, je ne fus pas trop déstabilisé quoique comprendre le slang américain dans toute son ensemble m'avait paru plutôt difficile mais je finis par y arriver, je finis par m'intégrer. Je me fis de nouveaux amis, au lycée. On m'appelait le surfer boy, même si je n'avais surfer de ma vie. Mes origines australiennes leur donnaient l'envie de me balancer à la figure ce cliché à la con et chaque fois, je me contentais de grommeler des paroles inaudibles.

« Eoghan, je te somme de me dire ce qui s'est passé » Mon père était fâché, je pouvais sentir sa colère à des kilomètres d'ici et moi, moi je ne voulais que me retrouver terré dans un coin.  Je me tournais les doigts nerveusement : je n'aimais pas lui rendre des comptes parce que je savais qu'au final, il avait toujours raison et ça m'exaspérait. Je restai silencieux alors que mon père agita, sous mon nez, une lettre. Sur le coup, j'avais fait semblant de ne pas comprendre en fronçant les sourcils et en tâchant au maximum de jouer le jeu mais mon père n'était pas dupe - d'ailleurs je retenais de lui  - « EOGHAN! » Je sursautai lorsqu'il avait hurlé mon prénom et je déglutis, difficilement. Puis je finis par rouler des yeux si fort que je crus apercevoir mon cerveau, enfin façon de parler « Papa, j'ai juste fait le mur trois fois » Trois fois c'était déjà trop. Mon père n'était pas dupe, il voyait bien que depuis qu'on était arrivés ici beaucoup de choses avaient changé dans mon comportement. Je devenais plus impulsif, je me rebellais contre la vie, j'essayais de trouver mon identité alors que je me sentais perdu au milieu de tous ces gens.. La vérité c'est que du haut de mes douze années, je trouvais ça difficile de me trouver à l'autre bout du monde loin de tous mes repères.  Malgré le fait que j'enchaînais les bêtises une après l'autre, j'avais tout de même d'excellents résultats scolaires, ce qui en étonnait plus d'un, y compris mes très chères parents. À la fin de mon lycée, je postulai pour obtenir plusieurs bourses d'études et grâce à mes excellentes notes - et les références de mes professeurs - je les obtins aisément. Je postulai donc à Harvard, puisque je pouvais rester près de ma famille tout en étudiant, c'était le meilleur des deux mondes.

Harvard. Je décidai de me lancer dans des études en médecine. Au départ, je voulais juste devenir médecin urgentiste, et sauver des vies. Mes idées étaient simples, peut-être un peu trop. Je voulais juste me tenir à mon objectif principal. Et puis la maladie frappa chez moi, sans qu'on ne s'y attende. De toute façon, on ne s'y attend jamais... On se pense invincible , on pense que ça n'arrive qu'aux autres, qu'on sera heureux à tout jamais. J'avais eu tout faux. Et si je commençais par le début ? Ce serait déjà bien, si? ... Quand j'ai commencé mes études à Harvard, j'y ai fait la rencontre de Tessa. Tessa,c'était la belle blonde qui avait tout du stéréotype Barbie. En temps normal, je me tenais loin, très loin de ce genre de personnes qui ne trouvaient le bonheur que dans le superficiel plutôt que dans les vraies choses.  Pourtant elle, elle était l'exception. Je me trouvais à la bibliothèque quand j'avais posé mes prunelles sur les siennes il y a si longtemps. Je me souviens encore comment pantois j'avais été à la vue de son sourire qui aurait fait fondre à peu prés n'importe qui. « Oh excuse-moi, je suis trop maladroite » et moi, qui le lui rendit, de façon un peu niaise. « Ce n'est rien. » bredouillais-je alors, complètement subjuguée. Elle avait remarqué, elle devait avoir l'habitude que les hommes la regarde. Je me mordis les lèvres. elle en fit de même. « Je suis nouvelle ici » disait-elle pour rompre le silence qui s'était installé entre nous « Moi aussi. » murmurais-je doucement. Un léger sourire s'esquissant sur mes lèvres.  C'était plutôt étonnant de trouver quelqu'un comme elle dans ce genre d'endroits mais je gardais mes préjugés pour moi, je ne voulais pas l'offenser. Et comme si elle avait deviné mes pensées, elle ajouta « Ouais je sais, je ne cadre pas du tout avec l'endroit mais j'aime bien venir ici. J'adore lire.Tu étudies dans quoi? » Elle me fixa, je déglutis difficilement « Euh... En.. En médecine » idiot. sombre idiot.Elle pivota légèrement la tête, prétextant n'avoir rien entendu qui puisse me mettre dans un total embarras « Moi la littérature. Je m'appelle Tessa » elle me présenta sa main que je m'empressai de lui serrer de suite, sa main était douce, mais chaude. Je souris à nouveau « Et moi c'est Eoghan.» Puis nous avions discuté, pour apprendre à mieux nous connaitre. Une rencontre hasardeuse, mais intéressante.

Elle et moi, on se complétait si bien qu'on finit par tomber amoureux. C'était ma première vraie relation amoureuse, la première fois que je me retrouvais en couple. Je me rappelle encore de notre premier baiser, ou de notre première dispute, comme si c'était hier. Notre histoire avait duré deux belles années. J'avais même acheté une bague, pour la demander en mariage. J'étais sûr que c'était la bonne mais la vie était chiante. La vie était difficile. Si mon parcours jusqu'ici avait été un long fleuve tranquille, la nouvelle m'était tombée sur la tête comme une tonne de briques qui s'affalaient sur moi. Elle était malade. Nouvellement malade. Atteinte d'une leucémie, d'une leucémie incurable parce que les métastases en cessaient de se multiplier. Oh comme elle s'était battue ma douce Tessa, jusqu'à la toute fin on aurait dit qu'elle s'était débattue tel un diable dans l'eau bénite. Elle voulait vivre, c'était ça qui était pénible. Je pouvais voir la tristesse dans ses yeux quand elle se faisait transfuser des hémoglobines pour reprendre ses forces, ou je pouvais voir la souffrance, la plus grande des souffrances après une journée entière de chimiothérapie. À la fin, elle nous avait demandé de laisser tomber les traitements qu'elle n'en pouvait plus. Tout le monde s'était opposé à l'idée, tout le monde sauf... moi. Je ne voulais plus la voir souffrir. Elle s'était envolée là-haut un certain dimanche de mai, chez elle, dans son lit, entourée de tous ceux qui l'aimaient et la chérissaient. Je n'avais pas manqué de lui dire à quel point elle avait été importante dans ma vie, je l'avais remercié et puis elle avait lâché son dernier souffle dans mes bras. J'ai eu beaucoup de mal à m'en remettre, et encore aujourd'hui, lorsque je vois des gens en couple cela me donne tout simplement le goût de vomir, me rappelant avec aigreur comment la vie m'avait arraché mon seul amour. Bien sûr, en quatre ans, j'eus quelques relations, mais rien de bien sérieux, rien qui ressemblait de près ou de loin à ce qu'on avait elle et moi.

« Comment te sens-tu, aujourd'hui ? » Sixtine. Sixtine Errington. Une de mes patientes en oncologie.  Oui, j'avais décidé de me spécialiser dans le domaine, pour lui faire honneur. C'était ma façon particulière de lui montrer que je pensais encore à elle et la trace qu'elle a laissé dans ma vie. J'étais un interne modèle et même si la belle brunette était au départ pleine d'arrogance et d'animosité, elle était beaucoup plus douce avec moi maintenant qu'elle apprenait à me connaître. Je n'étais pas son ennemi, après tout. J'étais là pour apprendre, pour apprendre à la soigner. « Ouais, enfin, on peut dire que si.. J'ai eu des nausées encore ce matin » Je grimaçai, non de dégoût mais d'empathie envers elle. Ce n'était jamais plaisant d'entendre que nos patients souffraient et ça m'affectait beaucoup surtout depuis que je l'avais doucement apprivoisé.  Voilà trois mois qu'elle venait ici, qu'elle subissait une batterie de tests, de prises sanguines, qu'elle subissait de la chimio ou bien des transfusions. Chaque fois, j'étais là. Je la voyais plus que la plupart des ses proches. Ce genre de temps donnait l'occasion de tisser des liens. Même si parfois elle était à pic avec moi, je savais comment l'amadouer. « Tu veux que je te prescrive des cachets anti-nauséeux ? » demandais-je en la regardant dans les yeux, mes yeux foncés qui ne s'adoucissait rien qu'en lui parlant. La belle secoua négativement la tête. Bornée, pensais-je. Elle était peut-être même plus entêtée que moi en général. Parfois ça m'énervait et parfois je l'admirais, secrètement. D'une certaine façon, elle me rappelait un peu Tessa, en plus coloré. Tessa était plutôt la douceur incarnée, elle n'avait aucune malice. Sixtine, elle était imprévisible et impulsive, je ne savais jamais sur quel pied danser avec elle mais elle ne m'impressionnait pas. Cela ne fait que trois mois mais j'commençais à la comprendre, à force de l'analyser. Je vois bien qu'elle essaie juste de se protéger, c'est tout à fait légitime. J'aime bien cette fille, j'entends par là Sixtine bien entendu, même si je ne voulais pas l'avouer, même si je ne voulais pas m'y autoriser. Je ne m'attachais plus, je ne le voulais plus. Plus après Tessa. J'en avais fini avec la souffrance. Et je ne m'autoriserais jamais à ressentir quoique ce soit pour une jeune femme qui passait proche de la mort. Je ne pourrais encaisser le choc à nouveau.