« what if. » soliman et anna.

Derrière le volant de la dernière berline que mon père s’est offert, une ancienne anglaise dont j’ai déjà oublié le nom, j’entre les clefs et le tourne pour faire retentir le moteur gueulant comme la dernière des pucelles malgré l’année dont la voiture doit être datée. Si je me suis présentée à l’université aujourd’hui, ce n’était que dans un seul et unique but, voir Dean et excuser – ou quelque chose dans le genre – le comportement que j’avais pu avoir à son égard lors de cette fameuse soirée, en compagnie de Clay. Si depuis ce jour-là, les choses entre lui et moi ont changé, le fait est que je n’avais pas encore pris le temps de reparler à son meilleur ami. Cependant bien que pleine de bonnes volontés, mon envie du jour s’est retrouvée vaine, puisque le professeur je n’ai pas réussi à le trouver sur le campus. Certes, je n’ai pas forcément cherché longtemps, mais il faut dire que je n’allais pas non plus passer la fin d’après-midi entière à arpenter les couloirs de ce que fut un jour une partie de mon histoire. Posant sur mon nez des lunettes de soleil dernier cris, je pose avant mes pieds sur les pédales, et enclenche une vitesse afin de reculer. Sans regarder derrière, puisque persuadée que le monde comme les routes m’appartient, je ne réalise qu’après avoir entendu le bruit du choc ce qu’il vient de se passer. La voiture de mon père, la dernière. Comme si ça pouvait changer quelque chose à présent, mon poing s’écrase violemment sur les courbes du volant. « Bordel ! » Reprenant mon souffle, c’est en trombe que j’ouvre la portière, et la claque avec véhémence derrière moi, m’approche du coffre afin de vérifier son état. Merde. Evidemment les assurances vont tout gérer, mais j’entends déjà les paternelles remontrances, alors remontant mes lunettes sur ma tête, je porte enfin de l’attention à l’autre conducteur, le détaillant, juste assez pour lui montrer mon potentiel désintérêt. « Donc, tu n’as pas regardé ? » Bien évidemment, je n’allais pas me blamer.

Fin d’une très longue journée qui ne peut que me rappeler mes années d’études sur le campus. Quel moment étrange lorsque tu te retrouves de l’autre côté de la scène, à témoigner dans le cadre d’un enseignement sans avoir à prendre de notes. Le thème de cette conférence ? Survivre au cancer, et après ? Trois heures aux côtés d’étudiants de médecine, de psychologie et de sociologie à qui j’ai eu le loisir de raconter un petit peu plus en détails mon parcours, trois ans à me battre contre un cancer, une victoire et une longue reconstruction éreintante. Des tonnes de questions, quelques remarques pertinentes pour relancer des débats auxquels on ne peut malheureusement pas apporter une seule et unique réponse. Il n’y aurait aucun intérêt à discuter si la réponse était connue de tous. Je sors de cette conférence heureux mais épuisé, fatigué moralement après avoir parlé autant de ce qui a fait de ces trois dernières années un enfer. Pourquoi aurais-je encore besoin de suivre une thérapie alors que la plus efficace d’entre elles se trouve ici, dans la discussion autour d’étudiants, de personnes dont l’objectif n’est nullement de dessiner un portrait superficiel de ta personnalité et de définir si oui ou non tu es stable. Je grimpe à l’intérieur de ma voiture, débraye, recule et passe la première, prêt à quitter le parking. J’ignore si j’ai eu un moment d’inattention ou non, ce dont je suis certain c’est que cette voiture est arrivée de nulle part, on ne lui a donc pas appris à faire attention avant de reculer ? Le pire dans tout cela c’est que je sors immédiatement constater les dégâts, presque trop désolé pour le peu de tort que j’ai, la meuf fait de même et commence à m’agresser, de quoi faire s’étirer mes lèvres en un sourire estomaqué. « Non mais tu déconnes ? Tu n’as pas regardé avant de reculer et c’est de ma faute ? »

Intérieurement j'avoue que la faute me revient, qu'après tout, je n'ai rien regardé, j'ai fait comme à chaque fois, j'ai agit tout en pensant que le monde n'appartient qu'à moi. Mais lorsque celui que je devine étudiant me sert un sourire franc en guise de première réponse, je me dois d'être sincère et m'énerve, à ma manière. Resserrant les mâchoires irritée quand il commence à parler. « Non mais tu déconnes ? » Absolument pas, et c'est ce que mon regard assassin lui dicte, n'est-ce pas ? Il ne connaît pas mon père, et de la voiture, c'est lui le propriétaire. Si je n'ai plus le droit d'emprunter ses grosses cylindrées ce ne sera que sa faute à lui puisque je n'ai pas pour habitude de me blâmer. « Tu n’as pas regardé avant de reculer et c’est de ma faute ? » Alors mes mains se lèvent, brasse l'air et mes épaules se haussent, innocente, parce que je ne peux être le contraire. Et mes prunelles se détachent du visage du garçon, pour venir s'apposer sur la carrosserie abimée, de ma propre voiture étant donné que de la sienne je n'en ai que faire. En un soupir je me heurte à nouveau aux dégats, mords ma lèvre inférieure, et m'insurge à l'intérieur. J'en viens à détester l'idée qui m'a conduite jusqu'ici, celle de voir Dean et de lui expliquer ce qu'il se passe avec Clay, celle d'être venue me perdre encore une fois dans cette foutue université. Harvard ne m'apporte que des problèmes, à chaque fois. Je déraisonne évidemment, mais c'est ma façon de réagir lorsque les choses ne se passent pas comme je l'espère, maniaque du contrôle, j'admets que je suis un peu folle. « Clairement. » Je prononce sans lâcher des yeux l'arrière de l'automobile, quelques secondes encore. Et relève le regard, quand je me fonds dans un sourire de vipère. « Et je t'entends pas t'excuser pour autant. » Je le détaille, patientant. Bien sur je fais preuve de mauvaise foi, je le sais, je perçois dans ma tête cette petite voix qui murmure « Annalynne adoucis toi. ». Mais peu importe, je la fous sur le côté, puisque mon humeur n'est plus au beau fixe et que sur ma poitrine je croise mes bras.

Certains permis devraient être retirés avant même d’être attribués par les inspecteurs de conduite. Comment quelqu’un de censé est-il parvenu à trouver les qualités suffisantes à la jeune femme qui vient de me rentrer dedans pour lui décerner le petit diplôme qui permet de rouler librement dans notre charmant pays ? Je ne comprends pas, j’essaye pourtant très fort mais je ne vois rien pour justifier cette décision stupide qui vient de me coûter le devant de ma voiture et quelques centaines de dollars de réparation. Le pire dans tout cela c’est qu’elle ne s’excuse même pas, je ne serais pas si agacé et énervé si elle avait fait preuve d’un minimum d’humanité et si elle avait pris la responsabilité pour ses actes. A la place ? Rien du tout, elle préfère m’accuser d’une faute que je ne peux pas avoir commise puisqu’elle est clairement celle qui se trouvait dans la voiture qui a reculé sans faire attention aux autres voitures arrivant autour d’elle, voitures qui sont prioritaires d’après un charmant petit code de la route qu’elle ne semble pas connaitre non plus. N’est-elle pas censée faire attention ? Je n’ai pas pu la prendre par surprise puisque je suis arrivé à une vitesse très modérée et adaptée à la situation, la seule faute que je parviens à me trouver c’est de ne pas avoir été suffisamment attentif pour la voir commettre une bourde et éviter la situation dans laquelle nous nous trouvons à présent. Je pourrais très bien choisir de la faire chier pour cela mais à la place j’essaye d’opter pour une stratégie différente de la sienne, j’essaye d’être civilisé bien que ce soit extrêmement difficile face à une personne aussi détestable. « On va faire un constat et arrêter les frais ! » Je souffle, de plus en plus agacé par son comportement. Je retourne à la portière de ma voiture pour sortir le fameux papier qu’il va falloir remplir et lui adresse un regard dédaigneux. « Quand on ne sait pas conduire prudemment on se promène en vélo ! »

Je suis à deux doigts de me mettre à claquer du pied pour lui démontrer que je n'ai franchement pas la patience comme première qualité. Alors ses excuses, elles feraient mieux de se décider à arriver, parce que je ne suis pas au maximum de mes capacités en termes d'emmerdeuse, faut pas se leurrer. « On va faire un constat et arrêter les frais ! » J'en reste une seconde de trop interloquée, n'en revenant pas de ne pas avoir entendu ce que je désirai passer au travers de ses lèvres. De ce fait, je rumine en me contentant de l'observer faire, retourner de moitié à l'intérieur de sa voiture bon marché pour en ressortir de cette dernière un papier. J'en hausse les sourcils, sachant pertinemment où il veut en venir, son fameux constat. Que je ne signerai pas. Oui, qu'on ne se trompe pas, quand je veux, je sais parfaitement faire preuve de mauvaise foi, et il ne doit pas en douter, le jeune étudiant qui est en train de regretter sa journée. J'en ferai rien de son feuillet quelque peu courbé. « Quand on ne sait pas conduire prudemment on se promène en vélo ! » Son dédain n'a d'égal que le mien, et j'en crache derechef un « Pardon ? » que je ne contrôle pas. A vélo, rien que ça ? J'en souris, moqueuse, parce que sa répartie n'en devient que plus que minime, avouons le. J'aurai pu lui concéder que la faute, elle est partagée, s'il avait su bien jouer. Mais je le devine bien trop facilement mauvais perdant, et je me dis que l'énerver sera d'autant plus facile à réaliser. Puisque je devrai me promener à vélo, autant lui faire comprendre qu'on ne parle pas de cette façon là, à une personne qui pense avoir le monde entier plié à ses quatre volontés. J'en incline le visage, avant de lui lancer un regard tout aussi assassin que le sien. « Parce que vous pensez que moi, j'ai besoin de ça ? » D'un stupide « constat », bien sur, les assurances, ça les arrangeraient, mais je n'ai qu'à signer un chèque pour que la voiture soit réparée, le seul réel problème c'est qu'à mon père c'est son nouveau jouet et que je l'ai un tantinet abimé. Dans le fond, y a qu'à lui que ça servirait, et je ne suis pas décidée à lui accorder cette faveur. « Va falloir me convaincre pour qu'il soit à l'amiable. » Je vais les avoir mes excuses, j'ai toujours ce que je veux, à chaque fois, l'univers bouge selon les claquements de mes doigts.

Je ne suis jamais le dernier à présenter mes excuses, j’aurais même tendance à m’être énormément apaisé depuis le début de mes problèmes médicaux parce qu’avoir frôlé la mort pendant trois longues années m’a fait prendre conscience qu’on ne pouvait pas vivre dans le conflit en permanence. Cependant… Cependant il me parait bien impossible de lécher les pieds à cette terrible gonzesse, prendre sur moi est tout bonnement impossible quand on sait que je n’ai rien fait de mal et qu’elle m’agresse depuis tout à l’heure comme si j’étais celui qui avait reculé sans faire attention à ceux qui arrivaient sur l’axe principal. Quand va-t-elle comprendre qu’elle est en tort, pas moi ? Je ne crois pas qu’elle le fera alors autant passer aux choses sérieuses tout de suite. Il est parfois possible de s’arranger sans avoir à remplir de paperasse mais puisqu’elle ne veut rien entendre je préfère arrêter les frais et économiser une précieuse salive. Je n’ai clairement pas que cela à faire, j’avais d’autres plans avant qu’elle ne bousille mon parechoc avant. Je profite de mon retour, armé de ce putain de carnet sur lequel il va falloir marquer quelques petites choses, pour lui balancer une bonne petite vérité bien épicée, quand on ne sait pas conduire on se trimballe en vélo, on évite d’abimer les propriétés des autres et on ne blesse personne. Une chance que nous n’ayons rien tous les deux d’ailleurs ! Je l’écoute, oscillant entre plusieurs émotions, exaspéré, interloqué, scandalisé par cette tentative de chantage aussi pitoyable qu’elle. « Ah parce que vous croyez que je vais me mettre à genoux pour quémander un constat ? Je n’ai pas besoin d’une assurance pour réparer ma voiture ! » Elle ne veut pas faire de constat ? Tant pis, mais qu’elle ne me provoque pas trop, sa voiture pourrait être un peu plus cabossée encore. « Je crois qu’on en a fini dans ce cas, je n’ai pas de temps à perdre ! » Je soutiens son regard, pas le moins du monde intimidé. La seule chose que je dois combattre c’est la colère qui gronde à l’intérieur de moi.

L'envie de le voir me supplier afin de prendre en charge ses réparations ou encore lui donner la satisfaction du constat me brûle un tantinet les veines, ou plutôt, de façon diluvienne. Mais au regard avec lequel il se perd à m'observer, je comprends bien vite que je n'obtiendrai pas de sa part une pleine satisfaction. « Ah parce que vous croyez que je vais me mettre à genoux pour quémander un constat ? Je n’ai pas besoin d’une assurance pour réparer ma voiture ! » Franchement ? Oui, j'aurai apprécié, disons que ça aurait été assurément plus drôle que de le voir s'insurger contre du vent. Hurler et m'insulter ne changera rien, après tout, dans mon esprit étriqué, j'ai raison, et bien plus que ce petit pauvre couillon. « Je crois qu’on en a fini dans ce cas, je n’ai pas de temps à perdre ! » Ca, tu vois, ça tombe bien. Parce qu'il est clair qu'on se rejoint sur ce point. J'ai déjà perdu assez de temps, et à en voir les dégâts sur le nouveau jouet de papa, de l'argent. Alors j'en soupire, en brassant de l'air une seconde, à l'aide de mes bras. Et même si l'idée de remonter en voiture afin de foncer à nouveau – volontairement cette fois – dans la sienne rien que pour faire passer l'irritation qui s'insinue dans mes nerfs, je me contente de soupirer en lui crachant avec violence. « Essaies de tuer personne. » Sur la route, sur les parkings, partout, mais bouge de mon passage surtout. Je vais en claquant de mes talons sur le bitume, me replacer devant mon volant, activant le contact tout en patientant de le voir se tirer. De mon passage, mon monde, je n'ai pas besoin de parasite venu se perdre au beau milieu de mon destin. Dégage, vermine.

Spoiler:

Je ne m’étais pas énervé après quelqu’un depuis un moment. A vrai dire, je crois n’avoir jamais été agacé à ce point depuis que j’ai appris pour mon cancer. Toute ma rage je l’ai injectée là-dedans, dans ce combat incessant contre la maladie qui m’aura privé de trois longues années. J’ai appris à relativiser, du moins je pensais que c’était le cas puisque cette jeune femme est parvenue à me retourner la tête et à me mettre les nerfs en l’espace de dix secondes. Difficile de faire autrement, vous avez tendu l’oreille pour l’écouter enchainer les réflexions plus connes les unes que les autres ? En plus d’espérer me rabattre le caquet c’est limite si elle n’attend pas des excuses pour ce qu’elle a fait elle-même, devrais-je aussi demander pardon parce qu’elle ne sait pas conduire et que j’aurais dû m’en douter d’une quelconque manière ? On en arrive là lorsque je décide d’arrêter les frais, tant pis pour le constat, de l’argent j’en ai et je n’aurai pas mal aux fesses si je passe trois-cent dollars dans ma bagnole, je déteste ne pas faire les choses dans les règles cela dit. Je lui adresse un dernier regard alors qu’elle me demande de ne tuer personne, prête à remonter dans sa voiture, de quoi me faire exploser de rire, cette meuf est fun tout compte fait, j’ai très mal interprété ses intentions depuis le début, elle me fait une grosse blague enfaite ? « Essaie d’apprendre à conduire ! » Je grimpe dans ma voiture, attache ma ceinture et démarre, ma voiture ne semble plus rien craindre jusqu’à ce que je me rende au garage de toute manière. Un dernier coup d’œil dans mon rétroviseur et je m’éloigne, pourvu que je ne recroise pas son chemin un jour.

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