EURYDICE FRANCESCOV ► Victoria Justice

L’amour des Francescov se soldait par une première naissance, la mienne. Je respirais pour la première fois en Russie dans la célèbre capitale et je passais ma première nuit dans une maison luxueuse que j’habitais jusqu’à mes dix ans. Un père policier et une mère mannequin avec un petit accent italien. Très vite je l’imitais, adoptant son accent avec une facilité extraordinaire tant que je la trouvais admirable. Je mimais ses mouvements, la manière dont elle se peignait les cheveux et je m’entraînais à mettre du rouge à lèvre aussi bien qu’elle. J’ai reçu une éducation pointue, apprenant les règles de bienséance dès mon plus jeune âge et j’acceptais cela sans rien dire car je n’étais pas du genre à me plaindre, d’un tempérament calme je me laissais guider par l’autorité parentale. Mes parents représentaient une bonne partie de ma vie, malgré leurs occupations ils restaient présents pour Sharon et moi. Parce que oui, seulement quatre mois après ma naissance, mes parents décidaient de repartir pour le voyage de la vie en faisant un nouvel enfant. C’était une tête blonde qui voyait le jour et qui allait être mon partenaire dans la vie malgré nos différences.

Je me souvenais de la première fois que j'avais vu la misère de Moscou, des enfants qui ne portaient qu’un mince pull malgré le froid qui régnait dans la ville, des femmes maigres et une saleté omniprésente. Je ne devais pas me rendre dans ce quartier mais le destin m’avait guidé vers cet endroit sombre et triste, je me baladais dans les rues avec mon sac hors de prix et mes chaussures de couturier, observant chaque geste, chaque parole, je m’imprégnais de l’ambiance qui régnait dans la pauvreté russe malgré mon jeune âge. Une erreur de chemin, bien trop timide et fière pour appeler mes parents, j’espérais retrouver ma route mais la nuit était tombée et je me retrouvais seule dans un coin à sangloter. J’étais sale et je sentais les égouts, ce quartier n’était pas entretenu par les autorités. Mon père, inquiet de ne pas me voir revenir à la maison avait localisé mon téléphone. Cette nuit pourrait être une simple nuit, une frayeur dépassée mais elle représentait beaucoup plus à mes yeux. C’était le début de mes convictions, un socle de mon tempérament et les images que j’avais vues ce soir-là allaient rester toute une vie dans ma petite tête.

« Comment tu t'appelles ? ». Je me retournais, surprise vers mon interlocuteur qui était un enfant d'une dizaine d'années, il était assez petit, une mine affreuse et des vêtements noirs de saleté. Mon éducation me disait de partir en courant, d'éviter son regard et de ne surtout pas l'approcher. D'après mes parents les gens pauvres portaient des maladies et je risquais d'en attraper une mais, mon instinct me disait autre chose. « Eurydice ». Je voulais lui demander comment il s'appelait mais, je n'osais pas, ma timidité prenait le dessus ainsi que mes appréhensions. Deux hommes commençaient à parler fort à l'entrée d'une habitation car j'étais incapable d'appeler ça une « maison ». Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient exactement, c'était un langage non familier mais, apparemment c'était un désaccord. « Tu ne devrais pas rester ici ». Le petit garçon s'adressait à moi, il lisait la peur sur mon visage, je ne répondais pas et je me relevais, courant à l'autre bout de la rue. Je me retournais et le garçon avait disparu, deux minutes de ma vie mais un élément décisif, ce garçon était maigre, avec des bleus et il vivait dans une misère non méritée. Mais ce qui était déterminant était ma réaction, j'avais eu peur de lui, j'avais préféré m'éloigner à cause des préjugés communs. Je n'avais pas évalué ce garçon à sa juste valeur, j'avais juste préféré partir alors qu'il était un être humain, tout simplement. Je comprenais très vite qu'à cause de moi, à cause des gens et de leurs réactions, personne n'aidait les plus pauvres. D'un désintéressement, une peur et un manque d'intérêt résultaient une ignorance et une misère qui se multipliait chaque jour.

Choquée par les écarts entre les riches et les pauvres, choquée par la maltraitante des animaux, petit à petit je me battais contre les injustices à mon échelle, revendiquant mon végétarisme très tôt. Par chance, mes parents acceptaient mon âme de justicière et me laissaient suivre ma route tant que je continuais à coller à l’image de la famille et à faire des études. Je n’étais pas du genre à défiler dans les rues en criant, ça ne menait à rien mais je faisais des actions moins visibles mais qui faisaient une petite différence. Naturellement je me dirigeais vers des études de droit afin de devenir avocate, sûrement pour les plus pauvres, je n’avais pas besoin d’argent de toute manière. Je ne voulais pas créer des problèmes et j’avais une fâcheuse tendance à être trop naïve mais je savais ce que je voulais au fond, c’était une égalité et une justice pour tout le monde et j’étais prête à tout faire pour l’obtenir, même à une petite échelle.

Aussi étrange que cela puisse paraître, j’étais peu à l’aise en société et j’avais tendance à me renfermer sur moi-même lorsque je devenais le centre de l’attention qu’importe la raison. Timide avec tout le monde sauf ma famille, dire ce que je pensais était un obstacle que j’essayais de surmonter avec le temps, alors pourquoi devenir avocate ? Pour la simple et bonne raison que mes convictions m’aidaient à surmonter tout cela, cette peur du ridicule et la peur de mal faire. J’étais persuadée qu’au final les gens n’étaient pas mauvais, ils prenaient juste des mauvaises décisions sans réaliser le mal qu’ils faisaient autour d’eux, on ne regarde pas notre voisin qui est pauvre et on ne pense pas à la pauvre bête dans notre assiette parce que la société de nous ne demande pas d’y penser. Ma soeur m’aidait également, par son tempérament de feu elle était assez singulière dans son genre et elle possédait une certaine influence sur moi, j’espérais qu’en échange je lui apportais une certaine douceur. Sharon n’était pas du genre à réfléchir, elle prenait une décision sans se soucier des conséquences et j’étais incapable de comprendre comment elle fonctionnait. Elle était ma soeur, mon sang, une aide indispensable à ma vie et pourtant parfois elle restait une énigme, quelque chose d’indescriptible. La comédie qu’elle jouait à mes parents me plaisait car elle révélait le défaut des bonnes manières : elles cachent la vérité. Or j’étais pour la vérité. Ma soeur n’était peut-être pas parfaite et je ne l’étais pas non plus mais toutes les deux on essayait de faire quelque chose de bien, de plus parfait sans forcément l’atteindre. À présent j’étais à Harvard, la grande université dans la ville dans laquelle on habitait depuis nos dix ans. J’étais prête à changer, à m’ouvrir mais surtout à faire changer les choses malgré ma timidité.