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Tu regardais les rives du lac et tu avais le souffle coupé par tant de beauté, une infinité de couleurs et d'odeurs te revenaient. Pourtant, tu n’aimais pas le Texas. Dieu seul sait combien tu avais essayé de t’accoutumer aux belles du sud avec leurs coiffures gonflées à la laque et leurs peaux bouffées par le soleil. Tu avais donné de ton précieux temps et offert ta chair pour combler les désirs des Texanes, mais rien n’y faisait. Tu n’étais même pas légèrement excité. Tu avais juste l’impression désagréable de baiser avec une poupée défraichie. Il était grand temps de revenir dans le Massachusetts. Tout cela pour faire plaisir à ton grand père qui proclamait –une fois encore- être à l’article de la mort. Tu n’en démordais pas : Saracen sénior était un vieux con. Mais un de ces vieux cons que vous finissiez par avoir à la bonne. Ce n’était même pas qu’il se sentait seul dans son grand ranch, c’était juste qu’il savait que tu n’aimais pas venir, alors il prenait plaisir à te forcer à la main. Ce salaud t’avais même tiré dessus la semaine dernière. Il avait proposé une partie chasse, tu étais emballé, mais il avait omis de te dire que tu en serais le gibier. La balle avait effleurée ta jambe gauche et tu sentais encore les picotements brûlants qui déchiraient ta peau. Ce n’était pas une grosse blessure, mais tu boiterais certainement pendant quelques temps. Tu rias en pensant à sa tête lorsqu'il allait s'apercevoir de ton absence. Il t'avais conspué si souvent, détesté, repoussé, haït… mais finalement tous ces verbes formaient un mur de protection pour ses vieilles épaules. Il était bien gentil, mais tu n’avais pas envie de mourir pour lui faire prendre son pied… Tu avais jeté un dernier regard aux grandes étendues d’herbes séchées et tu t’étais fait la malle.
Contrairement à ton père, tu n’avais pas un fétiche pour les avions, ce qui rendait ton voyage beaucoup trop long à ton goût. Une des hôtesses de l’air te faisait de l’œil. Elle t’effleurait la jambe à chacun de ses passages, réveillant à l’occasion ta blessure à la cuisse. La conne. Tu ruminais comme un vieux bougre. Tu attirais toujours les garces en manque d’action. Pourtant, l'envie rongeait tes joues blêmes, tes lèvres semblaient perpétuellement tordues d'une infâme grimace. Tu avais même l'air un peu cabossé, mais il y avait quelque chose dans tes yeux, dans ta voix. Il y avait quelque chose de brisé, un je ne sais quoi qui te rendait spécial aux yeux de ces filles. Tu étais le brouillon d'un chef-d'œuvre, mais putain, quel brouillon ...Après quelques heures – ou plutôt une éternité- l’avion arriva à destination. Tu n’avais jamais été aussi heureux à l’idée de rentrer chez toi. Tu étais presque sur le point d’embrasser le sol que tu avais foulé tant de fois…
Tu n'aimais pas attendre, tu te faisais l'effet d'une pucelle tremblante à son premier rendez-vous. Ton regard parcourait la foule et à mesure que les minutes s'égrenaient, impitoyables, imperceptiblement, tu te tendais. Une véritable boule de nerfs, qui n'attendait qu'une seule et unique occasion pour exploser. Ton chauffeur était en retard... Tu sentais la morsure du froid sur tes bras découverts, un long soupir s’échappa de tes lèvres. Il était temps de retourner dans l’aéroport, tu n’allais pas mourir gelé parce qu’un connard n’étais pas foutu d’arriver à l’heure. Tes bagages en main, tu étais revenu à la case départ… Alors, que tu cherchais un moyen de canaliser tes frustrations, tes yeux rencontrèrent une tête familière. Une tête familière … C’était sans doute, la meilleure façon de décrire le garçon aux cheveux ébène dont tu ne connaissais même pas le nom. Pour tout dire, tu n’avais jamais entendu sa voix, sauf si l’on comptait quelques gémissements étouffés. C’était à la Crypte que tu l’avais vu pour la première fois. Il avait l’air d’un charmant garçon, toujours prêt à servir … debout ou à genoux, selon votre désir du moment. Il était en pleine conversation avec un membre du personnel de l’aéroport. Cela n’annonçait rien de bon. Et l’air bougon du douanier ne fit que renforcer ton sentiment. Curieux, tu te rapprochas en clopinant légèrement. Foutue jambe. Arrivé à leur hauteur et devant l’air interrogé de l’homme, tu ouvris la bouche :
« Saracen. Vassily Saracen. »
Saracen, oui, comme Berlioz Saracen, ancien Sénateur républicain de la Caroline du Nord. Tu jetais ton nom comme un passe-droit, une excuse valable pour ta présence. C’était ridicule, mais cela avait le mérite de marcher sur certaines personnes. Ton regard se posa sur le garçon et un sourire satisfait étira tes lèvres fines, alors que tu chuchotais -un peu trop fort- :
« C’est à propos de la bombe dans ton sac ? »
Tu le mettais dans le pétrin intentionnellement juste pour le plaisir. Tu voulais jouer, après tout, tu venais d’être enfermé pendant des heures dans un avion, tu méritais bien cela. Et puis, cela faisait quelques temps que tu étais à la recherche d’une nouvelle passion. Tu avais besoin d’un partenaire de jeu, besoin de quelqu'un qui n'avait rien à perdre, besoin d'une personne qui abandonnerait tout pour un simple frisson. Peut-être que ça serait lui.
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