L’arrivée en classe de Charlie a été plutôt remarquée. Egale à elle-même, elle s’est montrée prétentieuse, arrogante et intransigeante lorsqu’un étudiant avait tenté une mauvaise blague en l’appelant Barbie. Bien vite remis à sa place, il s’était retrouvé comme un con les yeux sur son pupitre avant que le professeur n’intervienne pour calmer ses élèves et inviter Charlie à prendre place. Assise à son bureau, elle fut un bref instant ravie de voir des regards curieux la dévisager. Comme sous le feu des projecteurs, elle était pendant quelques cinq minutes, au cœur de toutes les conversations. Court instant de gloire savouré avec délectation et qui lui rappelait sa jeunesse passée sur les podiums de mini-miss. La sonnerie retentit, la salle se vide. Et tandis que Charlie prend la porte, trois filles viennent l’accoster. Elles se ressemblent toutes, et lui ressemble aussi : cet aura de princesse fille à papa imbus d’elles-mêmes. Un sourire sur le visage, elle écoute leur proposition, satisfaite de se faire une bande de copine dans cette nouvelle université. Le Drink. Les trois filles qui avaient accosté Charlie lui avaient donné rendez-vous dans ce bar, ce Samedi soir. Vêtue d’un chemisier blanc et d’une jupe cintrée, elle entre dans le bar à la recherche de ses amies. Un premier SMS : « Je suis au Drink, où êtes-vous ? », une première réponse : « Installe toi, on arrive ». Charlie s’exécute, follement emballée par l’idée de passer une soirée entre filles et de se faire des amies. Elle se dirige vers le bar où un jeune homme à la jolie chevelure sert quelques verres et répond aux demandes de ses clients. Haute sur son tabouret, elle finit par l’interpeller tandis qu’il prépare un Mojito, lui demandant la même chose. Elle pose son mentaux sur ses genoux et se tourne légèrement pour balayer la pièce du regard. L’ambiance n’était pas trop mauvaise, mais Charlie détestait être seule en public, elle en avait honte. Inquiète du retard de ses amies, elle hésite à envoyer un second SMS. Mais ne voulant pas se montrer trop entreprenante, trop enjouée, elle se rétracte et fait défiler la page de son facebook. Une photo apparait, et Charlie se fige instantanément. L’une des filles qui lui avait proposé ce verre a posté une photo d’elles trois, entourées de quelques garçons, au Nirvana, quelques bouteilles de champagne devant elles. Elle le sait, puisque la légende dit « Soirée entre copines au Nirvana ». Charlie reste là, quelque secondes, sans rien dire. Elle comprit tout de suite de quoi il s’agissait : un traquenard. Elle le savait, parce qu’au lycée elle avait fait ce coup plusieurs fois aux nouvelles arrivées qu’elle n’appréciait que modérément – leur donner rendez-vous et ne pas se présenter, juste pour les humilier. Charlie se sentit … attristée. Elle n’avait pas l’habitude d’être le dindon de la farce. Elle retint un soupir peiné, et souffla un bon coup pour regagner son sourire forcé. Il ne fallait pas se laisser abattre, c’était hors de question. Elle envoya un second texto à la chef du groupe des filles : « J’ai une urgence, je dois rentrer, on se voit Lundi en cours. », histoire de sauver les apparences. Hésitant quelques secondes à partir, elle se dit qu’un verre pourrait lui donner le courage d’encaisser cet affront. Redressant la tête, elle cherche des yeux le serveur avant de lui dire : « Finalement, ce sera un Martini ».
'Et maintenant, je fais quoi Docteur?' Je posais mon regard sur la demoiselle qui m'avait suivi le long du couloir. Dossier à la main, elle me parlait de cet homme mal en point, de ce patient qui venait brusquement de chuter dans ses paramètres vitaux. Elle m'interrogeait du regard, s'attendant à ce que je lui réponde dans la seconde. Sauf que j'étais occupé. Avec un autre patient. Mais que forcément, elle allait me dire qu'elle avait une urgence et qu'obligatoirement, j'allais devoir tout laisser tomber pour m'occuper d'elle. Et malheureusement, elle avait raison. Je détestais ne pas finir ce que j'avais commencé avant de débuter une nouvelle tâche mais en médecine, rien ni personne n'attendait. L'urgence était souvent présente. Et mon organisation était rythmée par celle-ci. Je tendais la main, lui reprenant le dossier des siennes et observais attentivement le dossier. Il ne me fallu que quelques secondes pour comprendre. Le patient était dans un état de détresse respiratoire. 'Passez-lui de l'oxygène. 5l/min. J'arrive' Elle hochait la tête mais ne bougeait pas, m'observant d'un œil méfiant. Je la scrutais donc. Elle était jolie, infirmière depuis deux années, elle était réputée pour être celle qui n'arrêtait pas de poser des questions. Une de celle qui détectait les moindres anomalies et n'hésitait à nous appeler. A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mais vu son œil méfiant, je me doutais qu'elle aurait préféré que je l'accompagne de suite. A moins qu'elle ne doute carrément de mes capacités à poser un diagnostic. Après tout, j'étais un simple interne. Le seul qu'elle pourrait trouver aujourd'hui dans les couloirs de son service. C'était moi ou le résident chef. Et à choisir, elle devait tout de même me trouver plus accessible bien que moins expérimenter. 'Bien. Qu'attendez-vous?' finis-je par lui dire, impatient de pouvoir bouger. Elle hocha une nouvelle fois la tête, grommela un semblant d'excuse et partit enfin. Dossier sous le bras, je rentrais dans une chambre. Que je quittais quelques minutes plus tard, un sourire sur les lèvres. Les patients m'étonneraient toujours. Surtout certaines de leurs confidences. Je pressais le pas vers la chambre du patient en détresse respiratoire. Coup d'œil à ses nouveaux paramètres. Toujours mauvais. J'attrapais mon téléphone et composais le numéro de mon supérieur. Là, j'avais besoin d'aide et c'était non négociable. J'avais terminé mon service à 16 heures. Pourtant, je n'avais pas terminé ma journée pour autant. Etre interne n'était pas suffisant pour payer un loyer et depuis que j'avais été renié par ma famille, je ne pouvais plus compter sur leur argent pour m'aider. Obligé de me débrouiller seul, j'avais trouvé un petit boulot de barman au Drink, le meilleur bar à cocktails. Sa situation sur la plage était juste idéale. En tout cas, moi, j'aimais beaucoup l'endroit. Je n'avais donc eu que quelques heures de répit avant de me rendre sur mon lieu de travail. Juste le temps de prendre une douche et de revêtir un jean, un tee-shirt et un veston. Une tenue dans laquelle je pourrais bouger sans problème. A 21 heures, l'ambiance battait son plein et je m'activais derrière le bar. Alors que je préparais un mojito, une demoiselle m'interpellait, me commandant la même chose. Je lui lançais un sourire tout en hochant la tête. Je terminais donc mon cocktail avant d'enchaîner sur le deuxième, surveillant du coin de l'œil la demoiselle qui me l'avait commandé. Je posais la touche finale sur le verre quand je fus une nouvelle fois interpellé. 'Finalement, ce sera un Martini'. J'haussais les sourcils, prêt à rétorquer. Changer d'avis alors que le verre était préparé, forcément cela avait le don de m'agacer. J'en faisais quoi moi maintenant de son mojito? Comme le client était roi, je délaissais le verre sur le comptoir et portais mon regard sur la demoiselle.'Une préférence pour le martini?' Je lui demandais une petite précision parce que je me voyais mal lui servir un martini rouge alors qu'elle le préférait blanc. Je me rapprochais d'elle pour nous éviter de crier. 'Je ne vous avais jamais vue dans le coin.'Et c'était parfaitement vrai. Cela faisait une année que je travaillais dans ce bar. Et j'oubliais rarement un visage. Attendant sa réponse au sujet du martini, j'attrapais un verre, prêt à lui préparer sa commande.
L’humiliation la plus totale. Charlie n’en avait guère l’habitude. Elle avait, à de nombreuses reprises, participer et élaborer ce genre de traquenards puérils et mesquins pour remettre à sa place quiconque tentait de se hisser plus haut qu’elle. Mais être là, de l’autre côté, à la place du condamné à mort social, c’était bien plus qu’éprouvant et dur à encaisser. Restant figée quelques secondes sur l’écran de son Smartphone, la petite blonde passa par tout un panel d’émotions aussi excessives que paradoxales. Une profonde tristesse, une colère éreintante, une blase maîtrisée et un faux sourire en guise de témérité : « Ce n’est pas grave, rien n’est grave », se répétait-elle. Une partie d’elle, la plus visible et la plus exécrable sans aucun doute, germait déjà dans son esprit l’idée d’un plan de revanche. Même si elle était seule, sans aucune aide, ni aucune amie, elle ne pouvait pas permettre à cette bande de pimbêches sans cervelles de se moquer d’elle aussi ouvertement. Pourquoi accordait-elle autant d’importance à ce qu’elles pensaient d’elle ? Elle n’en savait rien. C’était incontrôlable, le terrible dictat de la féminité à sa strate la plus machiavélique. Rangeant son téléphone dans son sac à main elle se raisonna et ne se laissa pas effondrée. Elle entreprit alors de considérer cette péripétie comme une vague étape d’entrée en matière, un passage entre deux mondes : celui du lycée où la couronne lui était instinctivement livrée, et celui de l’université où elle ne pouvait plus compter que sur elle-même pour gagner le respect de ses paires. Et elle se préparait à cette nouvelle vie comme un soldat se prépare à la guerre.Relevant ses yeux vers le barman, elle le somma de changer sa commande et de lui apporter un Martini. Elle remarquait à l’instant même où elle formulait sa demande, le verre de Mojito plein et prêt à être servi. En un haussement d’épaule, elle lui fit comprendre qu’elle était désolée de l’avoir fait travailler pour rien cette première fois, avant de souligner son geste d’un sourire pincé. Le jeune homme lui demanda sa préférence pour le Martini et Charlie fit mine de réfléchir un instant. Avant de lancer d’un air faussement sérieux, comme un philosophe aurait pu parler de sa nouvelle thèse, comme un écrivain aurait pu déblatérer sur une question vitale : « Le rouge est très mauvais en bouche, il me donne presque la nausée, mais son ivresse est rapide et brutale. Elle permet d’oublier instantanément tout ce qu’il s’est passé les deux précédentes heures. Le blanc quant à lui, est délicieux en bouche mais la montée tarde à venir, elle est très lente et vous laisse le temps de regretter le fait de vous être jeté dans pareille entreprise, alors …», elle leva ses yeux droit dans ceux du jeune homme, affichant un air assuré et assumé : « Je ne sais pas. Je vous laisse choisir. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse non ? ». Elle esquisse un sourire qui se veut entendu, une manière pour elle de lui notifier qu’elle est disposée à discuter avec lui. Le jeune homme s’approche de nouveau, et toujours avec ce même regard – Charlie a l’habitude de regarder les gens droits dans les yeux quand elle leur parle avec un air à la fois impérieux et enfantin qui frise l’insolence – elle répond : « Vous êtes perspicace, en plus d’être serviable. ». Elle jeta un rapide coup d’œil au bar avant de reposer ses yeux sur le jeune homme : « Je ne connaissais pas l’endroit et … », se rendant compte qu’elle avait assez honte de raconter ce qu’il lui était arrivé, elle fit basculer la conversation : « Peu importe. Je sais bien que je dois vous paraitre pathétique assise ici, seule, et sans la moindre idée de ce que je fais mais … est-ce que je peux me permettre d’offrir un verre à un barman en plein service ? Au moins pour me faire pardonner le Mojito. », Qu’elle désigna d’un signe de tête avec un petit sourire enjoué. Spoiler:HJ : Mille excuses pour le retard, j'étais absente pendant une semaine