UC ► lucky blue smith

Swim good.

« Vingt-neuf... Trente... Cachée ou pas, j'arrive. »

Le samedi matin, c'est ton moment préféré de la semaine. Tu n'as pas école ce jour-là, mais le mieux, c'est que ta mère t’emmène au travail avec elle. Elle n'a pas les moyens de prendre une baby-sitter alors tu viens et tu essayes que personne ne te remarque. Tu te faufiles discrètement entre les arbres jusqu'à la trouver. Leonor. C'est la princesse, et toi tu es le fils d'une des employées qui s'occupent de son jardin le samedi matin. Elle vit dans le luxe, et toi, ta mère arrive difficilement à joindre les deux bouts à la fin du mois, entre toi et les soins de ta grand-mère. Votre principale occupation : des cache-caches endiablés dans la cour de sa résidence. Vous vous entendez bien, parfois trop bien, et du haut de vos sept ans, vous êtes partenaires d'embrouilles. Tu la surprends enfin, derrière un buisson, et vous arrêtez votre jeu. « Un jour, je deviendrais chevalier, et j'te protégerai. » Des promesses d'enfants, tu espères qu'un jour, tu deviendras assez fort pour prendre soin d'elle. En attendant, tu lui promets de toujours être là.


Drown.

« Trouvée, princesse. » Tu te glisses sur le banc où elle s'est assise. Installés face à l'Isar, vous restez dans le silence quelques secondes de plus. Vous vous donnez rendez-vous ici toutes les semaines. Le vendredi après-midi, quand tu finis les cours à midi et qu'elle n'a pas d'obligations de son côté. Vous restez là, à observer la rivière, parfois vous allez galoper entre les arbres du parc : libres. C'est votre moment à vous, celui où vous vous retrouvez enfin. « Ta mère va bien ? » Elle brise le calme, tu hausses les épaules. Ce matin, tu l'as encore retrouvée endormie sur la table de la cuisine, une bouteille vide à côté d'elle. Tu l'as portée jusqu'à son lit avant de partir pour ton collège. T'as quinze ans, depuis tu as grandi c'est devenu plus facile pour toi de la gérer. Tu te souviens de ces nuits, plus jeune où tu devais lui tenir les cheveux au dessus de la cuvette des toilettes. Ça n'a pas toujours été plaisant, pourtant, ta mère tu l'aimes. Mais ça va faire cinq ans qu'elle se noie dans l'alcool. Cinq ans qu'elle a été renvoyée par les Von Hohenzollern après avoir été surprise en flagrant délit de vol. Tu t’étais battu avec l'un de tes camarades une semaine plus tôt. De l'incident, tu t'étais retrouvé à l’hôpital avec un bras cassé. Ta mère ne pouvait pas payer ton opération alors elle a eu recours à d'autres moyens. La semaine d'après, elle était jetée à la porte. Quand tu es revenu voir Leonor, ses parents lui ont interdit d'aller de fréquenter des gens comme toi. Vous étiez enragés, alors vous avez concocté un plan pour vous retrouver. Tu as du mal à imaginer comment tu aurais pu vivre sans elle. Et pourtant, tu dois te faire à l'idée. « On va déménager. » Tu as lâché ça comme une bombe au-dessus de vous. Tu ne lui as pas laissé le temps de réagir avant de continuer. « On part jeudi prochain. C'est la dernière fois que tu la vois, ici, au bord de la rivière. Jeudi, vous partez pour les États-Unis, rejoindre ton oncle. Tu espères que ta mère ira mieux là-bas. Mais vous ne pouvez plus rester ici, vous avez accumulé trop de dettes ces dernières années. Tu as les larmes au bord des yeux, mais tu restes de marbre pour lui montrer que tu es fort. T'as pas envie de partir. T'aimerais pouvoir rester là, avec elle, jusqu'à la fin.


Plastic beach.

Tu respires cette odeur  trop familière qui t'étouffe. Un mélange entre la laque, le parfum mal dosé et le déo bon marché. Tu sais ce que cela signifie : elle est de sortie ce soir. Tu embrasses la joue de ta mère avant de lui dire au revoir. « Passes une bonne soirée. » Elle attrape ta main et te tire avec elle à l'extérieur. « Aujourd'hui, tu viens avec moi. J'ai quelqu'un à te présenter. » Des mecs, t'en as vu défiler à ta porte, mais son seul vrai amant à ta connaissance, c'est la bouteille de whisky cachée sous son lit. Ça fait deux ans que vous vivez aux États-Unis. Votre situation ne s'est pas arrangée, vous créchez dans un taudis. Un appartement si petit que vous partagez la même chambre. Les soirs où elle ramène ses invités, tu pars visiter la ville et tu reviens à l'aube. Ces amants, tu ne les aimes pas. Ils ne durent jamais très longtemps, mais en attendant, toi elle t'oublie. Il lui brisent le cœur, et c'est toi qui doit lui sécher ses larmes. Tu sais te débrouiller maintenant, mais tu n'as pas oublié ses escapades les soirs où tu avais besoin d'elle. Mais elle te dit que cette fois, c'est la bonne. Cette fois, les choses vont changer. Tu as l'impression d'entendre un doux mensonge, mais tu as envie d'y croire toi aussi. Alors tu l'as accompagnée jusqu'à la porte de cet homme. Quand tu es arrivé devant lui, tu as bombé le torse pour qu'il comprenne que c'est toi, le plus important pour elle. Tu as essayé d'avoir l'air confiant, même si à l'intérieur, t'espérais juste qu'il abandonne pour que tu puisses récupérer ta mère. Tu t'es même demandé si sa fille, en te dévisageant du regard, se disait la même chose. Et puis, tu as vu ta mère sourire à cet homme. C'est la première fois depuis ces dernières années qu'elle a cet air apaisé. Tu as baissé les armes, et tu les as laissé entrer dans ta vie.

C'était la première fois que tu rencontrais Nephertys. L'année d'après tu étais admis dans l'équipe de natation d'Harvard. Tout allait bien.


The shore.

Tu fixes ton écran de téléphone. Son dernier message remonte à une semaine. Tu ne sais jamais comment aborder les choses avec elle, vous êtes toujours trop maladroits. Tu es assis contre le mur, en bas de son immeuble. T'as envie de monter, d'ouvrir la porte et de te jeter dans ses bras. Lui dire que tu es désolé, mais à chaque fois tu te dégonfles. T'as les yeux rouges parce que tu as pleuré, et tu n'as pas envie qu'elle voit ça, alors tu te lèves et tu repars. Tu étais là hier aussi, et tu reviendras sans doute demain. T'es jamais bien capable de rester loin de Nephertys très longtemps de toute façon.

Tu te souviens être rentré un soir, le sourire aux lèvres parce que tu avais un tas de choses à lui raconter. Quand tu as ouvert la porte, tu as ressenti un froid fantomatique, comme en manque d'une présence. Tu as appelé. « Nephy ? Tu n'as jamais eu de réponse. Juste le silence de son père, et ta mère qui t'expliquait qu'elle était partie. Tu n'as jamais eu de réelles explications de leur part, mais tu t'es senti vide à chaque fois que tu rentrais chez vous, abandonné. Alors tu es parti aussi. Ça n'est plus vraiment ta maison, sans elle.

Ca n'a pas toujours été facile avec elle. Elle t'en a fait bavé, mais il y avait toujours un attrait qui te poussait vers elle. Peut-être le fait d'avoir une famille, pour une fois. Une sœur, quelque chose comme ça, ou pour une autre raison plus obscure. Le fait d'avoir, enfin, quelqu'un qui te comprend au fond. Quelqu'un qui a vécu le même enfer. Tu voulais juste l'aider. Vous soutenir à deux. Et elle t'a laissé l'approcher un jour. Farouche animal. Tu sais que tu as besoin d'elle pour fonctionner, tu pètes un plomb quand tu ressens son absence. Et pourtant, il vous arrive de vous disputer. Bien trop souvent pour toi. Vous êtes deux aimants, deux charges électriques contraires, une explosion. Un duo pas net, parfois vous vous faites du mal, mais vous êtes les seuls à pouvoir panser vos blessures. Tu n'arrives juste pas à la cerner. Alors voilà : ça fait une semaine qu'elle t'a viré en hurlant, et aucun de vous n'a encore osé le premier pas. Tu sais qu'à la longue, tu vas t'épuiser. Demain peut-être, tu prendras ton courage à deux mains pour monter et t'excuser.