MORGAN A. DAYTON ► Avan Jogia

Vous aussi vous connaissez cette sensation de naître dans un pays, de revenir quelques années après, mais vous sentir comme un étranger ? C'est mon cas, je suis né à Chicago, étant le fils unique d'une petite infirmière dans un hôpital assez pauvre et d'un père violent et alcoolique, je n'ai jamais vraiment eu une enfance paisible. J'étais jeune, mais je me souviens encore des cris de ma mère, des coups que mon père nous infligeait, ce n'était pas tous les jours la grande joie au sein de notre petite famille. Cependant je n'ai rien à reprocher à ma mère, elle a toujours été là pour moi, pour prendre les coups à ma place quand je faisais des bêtises, car oui, j'étais jeune, j'avais à peine six ans à cette époque, une époque que je ne regrette absolument pas. À ce moment-là mes parents divorçaient, ce qui ne plaisait pas à mon père qui faisait vivre un calvaire à ma mère durant cette période, au départ il ne voulait pas me laisser partir, j'étais comme son otage. Ma mère vivant chez son frère, tentait par tous les moyens de me récupérer et ce fut quelques mois plus tard que mon père perdit la garde à cause de ses violences à répétitions et son alcoolisme, c'était comme un soulagement pour ma mère. Une nouvelle vie s'ouvrait à nous, mais rester à Chicago ? Non, hors de question. Après quelques semaines de négociations avec son hôpital, ma mère quitta l'entreprise pour rejoindre médecin sans frontière. Le choix n'était pas facile à prendre, surtout vis-à-vis de moi, quitter Chicago pour l'Afrique, c'est risqué, l’environnement et l'hygiène de vie n'est pas la même chose, mais vous savez quoi ? Quitter l'Amérique pour l'Afrique est certainement le plus beau cadeau que ma mère a pu m'offrir dans ma courte vie. À sept ans je quittais ma terre natale pour rejoindre un petit village pauvre d'Afrique.

Loin de Chicago, j'ai refais ma vie avec ma mère, j'étais jeune, mais je me suis très vite adapté, j'étais certes le petit blanc de service dans ce peuple noir, mais j'ai toujours eu l'impression de grandir auprès d'une nouvelle famille, des gens que je connaissais par cœur, j'étais un peu la mascotte de notre petit village et ma mère la docteur qui essayait tant bien que mal d'offrir de meilleurs moyens de survit pour ce peuple, mais je me sentais bien, j'étais chez moi dorénavant. Les années passèrent et je me suis rapidement trouvé des passions pour la danse mais surtout, pour les filles. Ces belles plantes qui couraient dans le village, ces sourires qui me faisaient fondre, ouais je suis rapidement devenu le Don Juan du village, j'avais 12 ans mais je peux vous dire qu'à l'époque je comptais mes amoureuses sur les deux mains, néanmoins arrivé à mes 15 ans je suis tombé fou amoureux d'une locale, cette magnifique déesse de couleur, ce sourire à faire fondre n'importe quel homme. Le petit dragueur craquait littéralement pour cette fille et au fil des semaines elle est devenue ma première petite-amie, ma seule petite-amie à vrai dire. Je n'avais d'yeux que pour elle et seulement pour elle. Je donnais même des cours aux jeunes pour gagner de l'importance à ses yeux, ouais, j'étais sous le charme et je voulais qu'elle n'ait d'yeux que pour moi, ce qui fut le cas, nous sommes sorties quelques années ensemble, elle est même tombée enceinte lorsque nous avions seulement 17 ans et si ma mère était inquiète et folle furieuse contre moi, moi j'étais sur un nuage et j'étais ravi de devenir papa avec la femme de ma vie. Nous avons vécu heureux jusqu'à nos 20 ans l'année dernière, ça faisait plus de dix ans que je vivais la-bas et c'est la première fois de ma vie que j'ai vue une telle horreur se passer ..

Une épidémie, c'était affreux, tout le monde tombait malade les uns après les autres et tout le monde finissait par mourir tôt ou tard. J'ai même perdu l'une des personnes que j'aimais le plus dans ma vie, mon fils. Il était l'une des premières victimes de cette épidémie et ma petite-amie semblait elle aussi touchée. Je voulais rester, je voulais aider mon peuple même si j'étais impuissant face à ce massacre. Je voulais pas abandonner la femme que j'aimais mais ma mère ne m'a pas laissé le choix, face à cette catastrophe elle a décidée de fuir avant qu'on attrape à notre tour cette chose qui nous détruisait tous les uns après les autres. Ça fait un an et pas un jour ne se passe sans que je revois ces images, sans que je revois mon fils inerte et sans vie, sans que je vois les larmes de ma petite-amie allongée dans son lit quand elle a su que je m'en allais de force à cause de ma mère. Je suis parti, mais je vais revenir, je reviendrais et je ferais tout ce que je peux pour que des choses comme ça n'arrive plus jamais. Je m'en veux d'avoir fuit, mais ce n'était pas de mon plein gré. Je suis revenu à Chicago chez mon oncle durant quelques semaines, j'étais comme mort au fond de moi, j'ai perdu tout ce que j'avais, mais avant l'été 2015 j'ai décidé de revivre, de reprendre mes études pour intégrer une université et devenir médecin, pour un jour revenir dans mon pays et essayer de sauver quelques vies.

Durant de longs mois j'ai repris mes études et à quelques semaines de septembre, j'ai appris que mon dossier était accepté à Harvard. J'ai peut-être du mal à m'acclimater aux États-Unis, mais qu'importe, si je fais tout ça c'est pour revenir en Afrique dans quelques années. Ma mère a trouvé un job dans un hôpital près de Boston, je vis donc chez elle tout en faisant mes études à Harvard et mine de rien, Harvard m'aide à remonter la pente. Je parle rarement de ma vie passée, de ma petite-amie et de mon fils. J'essaie de revenir et pour cela, mon ancien moi revient à la surface, ce petit gars dragueur et charmeur, mais à côté de ça je donnais tout ce que j'avais dans mes études, je veux réussir et je vais réussir. J'essaie de reprendre une vie normale, j'ai même un petit job dans un cinéma, je vends le popcorn, la boisson et tout le tralala au comptoir, ça ne paie pas trop mais ça m'aide tout de même à finir les mois avec ma mère. Bref, je vis actuellement aux USA, mais mon cœur appartient à un autre pays, à l'Afrique et je compte bien y retourner tôt ou tard, en attendant je dois vivre pour eux, pour qu'ils soient fiers de moi et surtout pour que mon fils au ciel soit fier de son père.