ALEKSEY N. VON LATTORF ► alex pettyfer

Cela devait faire plus de milles fois que le jeune homme venait dans cette pièce. Elle avait beau être décorée avec de grandes teintures, des meubles design et ce magnifique parquet flamboyant neuf en bois clair, elle devait pouvoir inspirer une certaine confiance. Et pourtant, non ! Il avait toujours détesté venir ici, dans ce grand immeuble du XVème arrondissement de Paris. Cet immeuble appartenait à un célèbre psychologue avec lequel il entretenait une longue relation depuis sa plus tendre enfance. Il ne comptait même plus les fois où sa grand-mère l’avait forcé à venir ici pour son « bien-être ». Le jeune prince ne trouvait guère l’envie d’y aller. Cet homme bien plus âgé que lui, lui faisait retracer son enfance jusqu’à maintenant chaque mois, de chaque nouvelle année civile qui commençait. A chaque fois, cela lui tordait le cœur de venir ici, et de se dévoiler un peu plus sur lui-même, il n’avait pas pour habitude de se plaindre, ou de même parler de lui-même. Se dévoiler ne faisait pas parti de ses habitudes, il ne comprenait pas en quoi cela allait l’aider. Il n’avait aucun besoin à retracer chacun de ses faits et gestes, ou de parler de ses moindres souvenirs. C’était plus une torture qu’un soulagement, malheureusement, sa grand-mère ne voyait pas cela ainsi ! Et quand Madame Marie Kinský von Wchinitz und Tettau exigeait quelque chose, il valait mieux écouter, pour ne pas subir ses foudres. Assis dans une de ses chaises en bois du XVème siècle, Aleksey tourna sa montre  autour de son poignée. Il aurait dû rentrer en séance depuis de bonnes dizaines de minutes, mais comme à son habitude, le médecin se faisait attendre. Il prenait un grand plaisir à toujours arriver en retard et à facturer ce retard à ses riches clients. De longs pas se firent entendre dans le couloir, le jeune blond leva la tête, ces pas lui étaient familiers, il entendait toujours cette même démarche, ces même pas lourds depuis sa plus tendre enfance. Le vieil homme fit un grand sourire au jeune homme, il savait que ce patient était l’un des plus coriaces qu’il avait, non pas par son physique mais par son mental. Il était aussi froid que la glace aux premiers abords. « Monsieur Von Lattorf ! Quel plaisir de vous revoir depuis notre dernier échange le mois dernier ! Je vous en prie, suivez-moi ! Entrez ! » Il avait beau avoir une apparence chaleureuse, le jeune homme ne le voyait pas ainsi. Après avoir échangé un furtif bonjour Il s’exécuta et rentra dans la grande salle où la fameuse méridienne en cuir vert l’attendait comme à chacun de ses rendez-vous. Par réflexe, il s’installa directement sur le divan en prenant une grande respiration. En effet, cette expérience était la plus dure des épreuves. Le vieil homme brancha son magnéto pour écouter un peu plus tard, cet enregistrement qu’il allait forcément connaître par cœur, car depuis l’âge des cinq ans du jeune homme il lui posait les même questions. « Commençons ! Parlez-moi un peu de vous ! » Le jeune homme avala sa salive et comme à chaque fois, il s’exécuta en prenant sur lui. Les fameuses questions fatidiques allaient bientôt arriver. « Je m’appelle Aleksey Nickolaï von Lattorf, je suis âgé de 23 ans, et je suis née par accident en Russie. Je suis le prince de la communauté du Liechtenstein par mon grand-père Hans-Adam II qui est lui-même le roi du Liechtenstein, ce qui fait de moi le prince de cette communauté que j'ai rarement vu. Ma grand-mère étant assez distante de mon grand-père, elle m'a élevée à Paris. » Le jeune homme connaissait ce discours par cœur, sa grand-mère n’avait cessé de le lui répété depuis sa plus tendre enfance. Il avait su dès ses trois ans qu’il était un membre important de la famille royale. Sa grand-mère n’avait cessé de se battre pour que son petit-fils soit le digne héritier de la famille royale. Elle s'était accaparée un rôle de mère, depuis la mort du père d'Aleksey. « Que voulez-vous dire « je suis né en Russie par accident » ? » Le jeune homme serra ses poings, il s’agissait de l’une des questions, dont il avait le plus de mal à répondre. « Et bien… De ce que je sais, mon père, Nickolaï a rencontré ma mère lors de son voyage en Russie, ils sont tombés amoureux l’un de l’autre, ma mère est une russe. Le jour de ma naissance, le 18 août 1993, mes parents ont été tous les deux assassinés. Je n’ai jamais pu les rencontrer, ni même voir une photo de ma mère. Je n’avais qu’une seule photo de mon père, mais je ne sais pas à qui je ressemble en réalité. Ma grand-mère trouve que je ressemble à mon père, je tiens plus de lui que de ma mère, mais je n’ai aucune preuve de cet argument.  » Aleksey n’avait aucune idée d’où il venait, ni même de qui il tenait, il n’avait jamais rencontré ses parents, seule sa grand-mère s’était occupée de lui depuis la mort tragique de son fils. Elle avait été tout de suite le chercher à Moscou pour éviter qu’il ne subisse le même sort que ses parents. C’est du moins, ce qu’elle le lui avait raconté. Quant  son grand-père, il était rare qu'il est vraiment rencontré, ce dernier était toujours en voyage ou occupé. « Où avez-vous vécu ? Racontez-moi votre enfance, était-elle joyeuse ? » Le jeune homme ne pensait pas avoir eu une enfance malheureuse, il n’avait manqué de rien. Mais il en voulait à la vie en général ! Il avait certes un beau titre, de belles décorations et une belle destinée, à quel prix ? Celui de n’avoir jamais rencontré ses parents. « J’ai vécu à Paris depuis ma naissance, j’ai la double-nationalité Liechtensteinoise-Française. J’ai grandi depuis ma plus tendre enfance dans une grande demeure dans le XVème arrondissement de Paris qui appartient à ma famille depuis de nombreuses années. J’ai toujours su que mon poste été important, on n’a jamais cessé de me le rappeler, j’étais toujours conditionné à faire telle chose ou à ne pas faire telle chose. Je suis allé dans l’une des plus grandes écoles du centre. Mais pendant que certains jouaient au ballon en rentrant chez eux, j’avais des cours supplémentaires de musiques, de chants, de danses, de bonne éducation à la française… A l’âge de dix ans, je savais parler quatre langues : l’anglais, le russe, le français et l’allemand. Dès mes douze ans, ma grand-mère m’a envoyé dans un collège pour jeune homme en Angleterre où si je puis dire, j’ai eu une éducation à la gentleman. J’ai toujours été conditionné, on ne m’a jamais laissé choisir mon avenir. Il était tracé dès le moment où je me suis retrouvé dans les bras de mes parents. A l’âge de 17 ans, je suis revenu en France où j’ai terminé mes études de secondaire en passant le Bac. Ma grand-mère m’avait laissé une liste pour intégrer l’une des meilleures universités du monde. Là encore, je n’ai pas réellement choisi, j’ai été accepté à Harvard, un endroit qui soit assez éloigné de Paris, et du pays où je dois gouverner. Là-bas, j’y étudie la politique et les relations internationales dans le but de reprendre le flambeau de la famille impériale. » Le jeune homme n'avait pas choisi cette université en respectant les voeux de sa grand-mère, il était parti à Harvard pour être loin de sa famille et de toute influence de cette dernière. Il n'avait pas voulu faire le même choix que ses ancêtres, il avait voulu se créer lui-même son propre chemin, sa propre voie. Si son choix s'était destiné vers cet université, c'était également parce qu'elle avait un excellent tôt de réussite, et une bonne ambiance semblait s'en dégager.

Le vieil homme tapota son stylo sur le bout de papier qu’il tenait, il fronça les sourcils, en regardant son patient. « Vous m’avez fait un listing de votre enfance, mais vous n’avez pas réellement répondu à ma question… Avez-vous été heureux pendant votre enfance ? » Le jeune homme ne savait pas quoi répondre à cette question, on ne le lui avait jamais posé. Il ne savait pas réellement s’il avait été heureux ou non, il n’avait jamais manqué de rien, mais il ne souhaitait sa vie à personne. « Je ne sais quoi vous répondre… Je n’ai jamais été malheureux, je n’ai jamais manqué de rien, mais je ne souhaite ma vie à personne. Elle a toujours été conditionnée. On ne m’a jamais demandé mon avis pour quoi que ce soit, même pas pour un repas. J’ai toujours suivi les ordres. Je ne pense pas avoir eu une réelle enfance. Pendant que les enfants s’amusaient, moi je devais étudier, et être conditionné pour mon rôle de futur prince au trône selon les traditions liechtensteinoises. Je n’ai jamais été heureux, ni même malheureux, je répondrai juste que je n’ai pas eu d’enfance, donc je ne peux pas répondre à votre question. J’ai un titre avantageux pour certains, je suis le prince impérial du Liechtenstein, le grand-duc de ce pays, prétendant direct au trône. Mais à quoi servent ces titres maintenant ? Ils ne sont là qu’en décoration » Cette parole, il n’auraait jamais pu les dire devant sa grand-mère qui considèrent ses paroles comme un affront envers la famille impériale. Mais les choses avaient changé, et même Aleksey savait que ces titres ne lui serviraient à rien. « Dites-moi, avez-vous eu un grand souvenir de l’Angleterre, un auquel vous tenez ? » Un souvenir de l’Angleterre ? Le jeune homme en avait un qui était frais en mémoire. Celui de cette magnifique jeune femme, son premier véritable amour, celle pour qui il aurait tout donné, et celle avec qui il envisageait même de faire sa vie. Un sourire mélancolique mélangé à de la haine s’imprégna de ses lèvres. « Oui il y en a un ! Mais vous le connaissez déjà docteur, il me semble, non ? Vous ne cessez de me faire retracer ma vie en long et en large comme si cela allait m’apporter quelque chose, mis à part celle de me faire davantage souffrir ! Oui vous devez vous rappeler d’elle, non ? Cette grande brune aux yeux bleus saphir qui avait réussi à conquérir mon cœur de glace ? Vous rappelez-vous d’elle Docteur ? Cette jeune femme qui m’avait promis monts et merveilles, qui m’a suivi à Paris, pour y vivre avec moi. Celle qui était prête à me suivre jusqu’au bout du monde ? Dois-je vous rappeler le jour, où je suis rentré plus tôt que prévu de mon stage pour lui faire une surprise ? Dois-je vous rappeler que je l’ai surprise avec cet homme qui était mon meilleur ami, dois-je vous rappeler qu’il a fait un tour à l’hôpital ? Que cette histoire a été médiatisée et que ma grand-mère a menacé de me couper les vivres ? Dois-je vous rappeler que je me suis promis de ne plus jamais tomber amoureux d’une femme ? Mais je pense que vous savez déjà tout cela. Ma grand-mère a également dû vous prévenir de mon avenir, et de ma vie actuelle. Je sais que tous les deux vous discutez souvent à mon propos, mais sachez que je n’entendrai rien de ce qu’elle veut faire de ma vie… Jamais, je dis bien jamais, je ne me marierai de force à une étrangère juste parce qu’elle l’a décidé ! Je ne veux pas de mariage, et encore moins arrangé comme ses projets me l’indiquent. « Furieux, le jeune homme finit par se lever de ce divan trop désagréable à son goût, il consulta sa rolex à son poignet gauche. Un sourire narquois se dessina sur son visage. « Je vous prie de m’excuser, mais notre conversation est terminée ! Mon chauffeur m’attend ! Je vous souhaite une bonne journée ! » Partant à grande hâte, le jeune homme claqua la porte derrière ses pas. Depuis, son histoire avec cette jeune femme, il n’était plus le même. Il n’était plus ce petit garçon obéissant et compréhensif que tout le monde avait connu. Il se rebellait, non pas que contre les femmes, mais contre toutes les personnes qui pouvaient l’entourer. Là où, il avait vu juste, c’est que sa grand-mère tentait bien de le marier à une jeune femme. Il était suffisamment en âge de se marier. Mais il s’était fait une promesse : ne plus jamais retomber amoureux d’une femme, mais surtout, vivre sa vie, et ne plus suivre les ordres de sa grand-mère qui était trop intrusive à son goût.