PABLO H. VAN DE POLL ► jon kortajarena

Je déteste l'admettre mais je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche. Certains trouveraient ça sûrement génial d'être issu d'une famille néerlandaise dite noble, mais j'aurais préféré naître dans une famille dont les valeurs étaient nobles, et non pas le titre. J'ai vu le jour le 22 septembre 1990, et dès ce jour mon avenir était déjà tracé jusqu'à mes 30 ans. Mon père était l'un des conservateur du château de Muiderslot, à Muiden non loin d'Amsterdam, la ville dans laquelle j'aurais toujours vécu. Et une chose était sûre pour lui, ses enfants exerceront des métiers perpétuant l'honneur de notre famille, des métiers respectés et respectables. Et quand on connaît mon père, les choix sont limités. Il avait d'ailleurs réussi à endoctriner ma mère dans sa vision de la famille et des enfants parfaits. Ma mère est espagnole d'origine et l'idée de me donner un prénom espagnol venait d'elle, la légende dit qu'avant elle avait un cœur. Toujours aussi génial la famille noble ?

Au fil des années mes parents ont continué à profiter de leur énergie et m'ont fait l'aîné d'une fratrie de 4 enfants. Et évidemment ce ne serait pas drôle si les 3 autres n'étaient pas toutes des filles. Cela dit je ne vais pas m'en plaindre, je les aime mes petites sœurs. Elles m’appelaient toujours le grand frère parfait, je les protégeais, les rassurais, les aimais, toutes ces choses que mon père négligeaient de faire. Elles m'ont d'ailleurs toujours dit que je ferais un bien meilleur père que lui. Et en y repensant c'est pas bien compliqué de le surpasser dans ce domaine.

Toute ma vie j'ai vécu dans les vieilles traditions familiales. Je suis allé dans la même école privé que mon père, grand-père etc. Pareil pour le collège et le lycée, je n'avais pas le choix sur beaucoup de choses dans ma vie. Mon père me mettait constamment la pression, j'étais le seul fils qu'il avait et il fondait en moins beaucoup d'espoirs. La seule chose sur laquelle j'étais libre de faire ce que je voulais, c'était les loisirs. Enfin libre... On se comprend. Déjà il ne fallait pas une activité qui prenne trop de temps, car ma mère m’apprenait lorsque nos deux emplois du temps le permettait l'espagnol. De plus mes parents m'ont forcément interdit des activités trop risquées ou pas assez classes à leurs yeux. Le rugby, le football, tout ce genre de chose c'était même pas la peine d'y penser. J'ai battu en retraite et me suis mis en tête de ne pas faire de sport, au moins je prendrais pas le risque de me prendre un refus en plein visage. Je me suis rabattu sur la lecture, j'avais de ça une dizaine d'années. C'est devenu mon échappatoire, en lisant j'avais la liberté de penser, d'imaginer et de croire tout ce que je voulais. C'était la liberté sans limites, celle que je n'avais pas en sortant les yeux de mes livres. C'est devenu une véritable passion, et ce qui était un hobby allait devenir un véritable projet de vie une fois arrivé au moment où je devais choisir ma voie. Je voulais être écrivain, je voulais partager toutes les choses auxquelles je pensais à travers mes écrits. J'étais persuadé de l'avenir que j’entreprenais de faire. Le problème c'est que mon père aussi était persuadé de l'avenir que j'allais avoir, car il l'avait déjà choisi. Mon projet d'écrivain résonnait comme une vaste blague à ses yeux, il m'a interdit de me lancer dans des études ayant un quelconque lien avec la littérature. Il m'a d'ailleurs tout interdit, car bien avant que je lui révèle mes ambitions, il avait déjà entre les mains le dossier d'inscription à la fac de médecine. J'ai tenté de me révolter, comme tout ado de 18 ans à qui on prive l'avenir dont il désirait. Mais sans succès. Je me suis donc retrouvé, à 18 ans, à débuter des études dont je me foutais royalement et qui, je le savais d'avance, allaient me détruire le moral.

J'avais beau être dans l'Université la plus prestigieuse du pays, à Utrecht, ma période 18-20 ans était la plus affreuse de ma vie. Je n'avais pas le droit à l'erreur, je devais réussir mes études. Je devais bosser sans relâche un domaine que je détestais, je n'avais plus de place pour ma passion littéraire. Dans ce genre de situation je vois mal comment garder le moral et rester positif. Je n'avais plus l'amour de mes sœurs qui plus est, étant donné que je vivais près de mon Université. Ajoutez à ça la découverte de mon homosexualité et voilà, on y est. À presque 19 ans je me suis retrouvé plongé dans la dépression. Cette merde a dû me prendre 2 années de ma vie. J'aurais pu en sortir plus tôt, mais ça a pris un bon moment à mon père avant de comprendre que le problème venait de lui. Il a finalement pris le temps de m'écouter, et après 20 ans d'existence il a enfin agit comme un père, et m'a laissé vivre ma vie en choisissant comment la mener. Toujours à l'Université d’Utrecht, je me suis reconverti dans la littérature anglaise, afin d'élargir mes possibilités de lecture un peu plus en m'offrant un nouvel éventail littéraire. Et ce n'est pas n'importe lequel, la littérature anglaise avait beaucoup à m'offrir.

Lorsque je suis arrivé en dernière année de ma maîtrise en littérature anglaise à l'âge de 24 ans, j'ai pris la décision de partir étudier dans un pays anglophone pour me plonger un maximum dedans. Forcément mon père voulait le meilleur pour sa progéniture, et m'a donc donné le choix entre Oxford, Cambridge ou Harvard. C'est bien la première fois que j'apprécie d'avoir un choix si limité. Évidemment le Royaume-Uni me faisait envie, mais quitte à partir, autant aller au bout. J'ai signé pour Harvard, et je sais à quel point cette Université ruisselle de diversité, je ne risque pas de m'ennuyer. Et pour la première fois de ma vie, je serai libre à 100%. Ma période de dépression est maintenant loin derrière moi.