ORPHEE J. DE LUXEMBOURG ► elizabeth olsen

C'est une histoire que l'on raconte comme ça, d'une traite au coin du feu. J'aurai voulu peut-être, à l'image de ma vieille duchesse de grand mère, pouvoir prendre mes petits enfants pour raconter à mon tour la longue et périlleuse histoire de ma vie. Ce que j'y ai vécu, ce que j'y ai perdu, toutes les choses que j'ai manqué et toutes les occasions que j'ai saisi. J'aurai voulu être fière de raconter des aventures romantiques avec un homme qui préparerait une tisane au miel tandis que ma bouche s'use à force de parler et que mes petits enfants rient en me voyant mimer les voix de mes anciens camarades de classe, ou professeurs. Et pourtant par rapport à cette image tout tremblotante, ce souvenir imprécis que je garde de mes trois ans, de ma grand mère prenant un temps fou à nous compter les aventures, je suis encore bien loin. Au quart de ma vie je pense déjà à mon apparence de vieille folle égratinée par ses erreurs de jeunesse, mais je me vois bizarrement heureuse. Ravie même.

Mon grand frère, me dépassant seulement de trois pauvres années, n'avait que six ans lorsque Marie-Josephine De Luxembourg, duchesse du pays, s'est éteinte dans son fauteuil à bascule. C'est mon père qui monta sur le trône après cela, et heureusement pour lui, personne n'eut à subir la moindre révolution. Ça fait plus de quarante ans qu'il règne maintenant et il ne compte pas attendre sa mort pour céder la place. J'ose seulement espérer qu'il se tournera vers Timéo... Qui oserait me confier quoique ce soit ? Alors un royaume !

Je suis la première fille et deuxième enfant d'Henri De Luxembourg et Joséphine née De Belgique, dont je tiens d'ailleurs mon deuxième prénom. Je vous épargnerai les redondances d'une éducation riche de tout, dans laquelle je ne pouvais qu'être heureuse. Seule héritière femelle, j'étais la petite princesse de mon père ainsi que de tout le Royaume, pour lequel je n'avais jamais aucun secret. Mes premiers pas, premiers mots, premiers sourires se firent devant la caméra, à la façon d'un show américain dont j'ai horreur. Il fallait dire que mon frère eut le droit à bien pire, comme tout premier héritier, à la façon d'un prince George en Angleterre. Cependant je lui envie cette façon très noble qu'il a toujours de contrôler son image, cette perfection. Lui me l'envie, cette sorte de célébrité malsaine. Je lui la laisse, quand il sera roi de toute façon, il n'y aura plus que pour lui les "honneurs" d'une presse en délire.
Ma vie ouverte sur le monde n'a pourtant en rien fait de moi une petite fille docile. J'étais un véritable diablesse qui abandonnait toute bonne manière pour présenter un show qui attendriraient les idiots devant leur écran. J'étais la petite princesse trop franche mais terriblement attachante. J'avais les plus belles robes, les plus beaux bijoux, les meilleurs cadeaux. Tous les gens voulaient me faire rencontrer leurs enfants, que je devienne amis avec eux. Et désagréable, agacée, colérique, je les renvoyait tous cruellement. Ma seule arme contre le monde entier restait mon sale caractère, qui s'est véritablement forgé dans la roche volcanique de mon enfance.

Si la crise d'adolescence n'est décrite par certains psychiatres que comme un mythe, je garantis au contraire qu'elle ne le fut guère pour moi. Mes parents ne comptaient plus le nombre de fugue du manoir familial ni les écarts devant les caméras. Est-ce pour cela que j'ai commencé à fumer si jeune ? Peut-être, pour être intéressante, pour incarner une figure. Je n'ai jamais pu m'arrêter d'ailleurs, de fumer bien sûr. Car en ce qui concerne la crise, elle finit par se coucher au fil des années. Néanmoins, je ne la sens jamais totalement disparue. J'ai toujours ce besoin d'escapade, de bêtises, de mots ignobles et de longues soirées humides, peut-être est-ce normal ? Comme commun aux êtres humains. 

Le choix de rejoindre Havard s'imposa presque trop facilement à moi. J'enviais mon frère parti quelques ans plus tôt et son indépendance loin de la maison, et je voulais la mienne. J'avais besoin de me construire loin de mes responsabilités possibles qui me semblaient pendre au dessus de ma tête comme une épée de Damoclès. Je pris donc histoire en spécialité pour rendre fier le papa, et un peu de musique pour réchauffer mon coeur, et je partis bien vite rejoindre l'immense université pour laquelle j'avais révisé de mois pour pouvoir entrer. J'étais comme un enfant dans un magasin de jouets, perdue et toute excitée à la fois, rêvant de tout explorer. Au fond, je n'ai pas tant changé que ça.