URIAH SWANSON ► sergio carvajal

MARS 2012 Il fait sombre, le soleil a fuit, tout comme je le fais en ce moment. Je cours à toutes vitesses, un sac léger au dos qui ne contient même pas assez pour survivre en pleine nature. L'atténuation de la musique du carrousel derrière moi confirme que je m'éloigne, que cette vie qui me consomme s'efface peu à peu. Un bruit, plus précisément un cri se fait entendre. Une voix familière, celle de ma mère. Elle cri mon prénom. Ils sont déjà à ma recherche, je dois aller plus vite, toujours plus vite. Une ombre bloque le chemin, il s'agit sans doute de celle d'un agent de sécurité. Je me cache discrètement sous l'une des caravanes à l'extrémité du cirque et cesse de respirer un instant, de façon à ne faire aucun bruit. La tête à même le sol, j'observe des pieds passer de gauche à droite, faire le tour de la caravane et continuer à marcher en vain à ma recherche. Je rampe, la terre encore humide s'installe sous mes ongles, sur ma peau et mes vêtements. Je longe l'arrière de la caravane et passe à travers les buissons les plus proches. Je me retourne une dernière fois et regarde ce décor que je ne souhaite plus jamais revoir. Mon cœur s'accélère, ce cauchemar va prendre fin, je vais y arriver, cette fois oui, je vais y arriver. Je jette mon sac par-dessus la grille et me lance dans l'escalade de cette dernière. Elle ne fait que deux mètres et quelques, je peux le faire. Je monte bien plus haut lorsque je fais mon numéro. Je m'agrippe difficilement, mes doigts sont paralysés pour je ne sais trop quelle raison. La peur, l'angoisse, la joie ou peut-être même la fatigue. J'atteins le sommet et m'écroule lâchement de l'autre côté. Ma tête cogne contre le sol, mes bras sont en sang. La gravité semble plus forte, les étoiles elles, semblent danser. Je rampe et m'écorche les genoux pour atteindre la forêt un peu plus loin. Il pleut à nouveau, la pluie nettoie mon corps sale et mes petites blessures. Je m'adosse à un arbre et souris bêtement. Ce n'est pas un sourire comme les autres, celui-ci est vrai, authentique. Je suis libre, j'ai réussi.

MARS 2012 J'ai faim, j'ai soif et je suis sale. J'empeste comme un chien, je ne sais pas vraiment où aller, je suis perdu. Je marche sur la route en trainant des pieds, les yeux perdus dans l'horizon. Mon sac est presque vide, il ne me reste plus qu'une maigre couverture pour supporter le froid malsain de la nuit. Je m'assois deux secondes, mes jambes sont engourdies. Je marche depuis deux jours sans objectif. La mort, c'est peut-être bien la seule chose qui m'attend. Peut-être que la vie en dehors du cirque n'est pas faite pour moi. Peu importe, ce n'est pas grave, je ne veux pas retourner au cirque. Pour rien au monde j'y retournerai. Je souffle et me lève pour reprendre la marche. La mort, c'est ce qui m'attend si je ne bouge pas d'ici. Je laisse mon sac au bord de la route et continue à avancer, la bouche totalement sèche. Ma vue se trouble, je divague de mon chemin, mon corps devient lourd, plus lourd que d'habitude. Je regarde mes mains, abîmées par ces aventures et fini par voir des taches aux couleurs indescriptibles dans mon champ de vision. Ma respiration se saccade, mon cœur se précipite. Puis mon corps semble s'effacer, je ne sens plus mes bras, je ne sens plus mes jambes. Je m'évanouis.

Je ne suis pas mort, non, pas encore. Quelque chose frôle ma joue. J'ouvre difficilement les yeux, la lumière me brûle. Un visage inconnu, c'est la première chose que je vois. Un homme enrobé, qui doit bien avoir la quarantaine si je me réfère à ses rides. Un camionneur. Il me donne sa bouteille d'eau avec un grand sourire. Je l'attrape malgré le peu de force qu'il me reste et avale la totalité de son contenu en quelques secondes à peine. Je le remercie et monte à ses côtés, il va m'amener loin d'ici, loin de cette horrible vie, loin de ces souvenirs. Falmouth, c'est à Falmouth que nous allons.

SEPTEMBRE 2012 Cet inconnu, ce camionneur qui m'a donné sa bouteille d'eau m'a adopté. Sa femme, trop jeune encore pour avoir la ménopause mais déjà assez pour être stérile rêvait d'avoir un enfant. Tout comme moi je rêvais d'avoir de vrais parents, ce que j'ai à présent. Ils ne sont pas riches, ils n'ont pas toutes les qualités du monde mais ils ont mon respect, mon admiration, mon amour. Je me sens redevable, parce que je sais qu'aujourd'hui si je respire, c'est grâce à eux, je sais aussi qu'ils sont la cause de mes sourires. Grâce à eux, je vais commencer mes études et pas n'importe où. Harvard, j'ai été accepté à Harvard, bien que cela me semble totalement impossible. Je n'ai toujours pas réalisé mais aujourd'hui c'est le grand jour, aujourd'hui c'est la rentrée. Aujourd'hui je fuis de nouveau mes parents, mais cette fois-ci tout est différent, cette fois-ci ce n'est pas définitif, ce n'est qu'un au revoir. Je ne sais pas si je suis prêt à vivre seul, à vivre sans eux mais je sais que je ne dois pas rater cette chance.

DÉCEMBRE 2012 Je pousse la porte et saute dans les bras de mes parents. Je viens de passer mes premiers partiels, je ne sais pas si j'ai réussi mais peu m'importe, je n'ai pas le temps d'y penser, je n'ai que quelques semaines pour profiter d'eux. Sans surprise, mes études sont le sujet principale à table ce soir. Grand sourire, je parle de mes nouveaux amis, de ma confrérie, de mes cours, de toutes ces choses qui ne représentent pas forcément grand chose mais qui font actuellement de ma vie ce qu'elle est aujourd'hui. Je ne suis pas l'être le plus apprécié d'Harvard mais j'ai trouvé ma place, l'enfant du cirque est devenu un étudiant de cette prestigieuse université. Cette année, mes cadeaux ne seront pas déposés sur ce vieux carrousel rouillé, non, cette année, mes cadeaux seront sous un sapin.