NICK LOEWY ► Joseph Gordon Levitt

" - Vous êtes le remplaçant de Miss Johnson ?
- Tout à fait. Nick Loewy, enchanté de faire votre connaissance."

Je serre la main à la vieille mégère qui sert de secrétaire d'accueil à l'université, un sourire teinté de la plus belle hypocrisie pendu aux lèvres. Pourvu qu’elle ne pose pas trop de questions. Bien heureusement, elle a beau me scruter curieusement par dessus ses petites lunettes rondes, je devine son manque d’intérêt certain pour ce qui pourra bien se passer dans le recrutement d’Harvard. Cette dinde doit être en manque de comérages. Rien que ma petite gueule innocente puisse satisfaire. Je me souviens d’elle, moi. Il y a cinq ans, je suivais les cours d’histoire de l’art ici même. Un échange international qui aura eu le mérite de bien décorer mon CV qui, sans quoi, paraîtrait sans doute bien vide. Le fait est que je suis jeune. Et ma présence a de quoi intriguer.

Les profs de grandes universités, et surtout dans le pays du capitalisme, sont bien souvent au bord de la mort par décrépissement. J’ai encore toutes mes dents. J’ai tout juste trente ans. Miss Johnson a été ma professeur durant deux superbes années. Elle a même été un peu plus que cela. Peut-être est-ce la raison qui m’aura poussé à ne pas prolonger mon séjour aux Etats-Unis pour les quelques années d’études qui me restaient et que j’aurais complétées à Londres.

La vieille se met à fouiller dans sa paperasse, me laisse prendre mon mal en patience. Malette à la main, journal sous le bras, je laisse divaguer mon regard aux alentours en me prenant d’une certaine nostalgie.

Elle avait quinze ans de plus que moi. J’avais vingt-quatre, vingt-cinq ans. Je ne me suis pas posé la question de ses vices ou ses intentions lorsqu’elle m’aura invité à boire un verre. Chez elle. Un vendredi soir. Un simple verre rapidement devenu une routine hebdomadaire. Et l’on ne faisait bien entendu pas que boire. Mes notes n’ont jamais été si bonnes. Un mince rictus satisfait me fend les lèvres. Quelle bonne époque. Pas si loin que ça, mémé. Oh, j’aimerais bien tout te raconter, partager un peu le souvenir de mes exploits. Mais tu n’y comprendrais rien, ou peut-être t’offusquerais-tu. Je le sais, ça se voit à tes petits airs salaces. Tu irais tout raconter à tes chères collègues. Mémé me sort un formulaire. Je la remercie poliment, tandis qu’elle m’indique les marches à suivre. Je suis prof à Harvard, bon sang. Bien au dessus de tout ce que j’aurais pu souhaiter.

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“Loewy, ça me dit quelque chose !” La secrétaire de direction n’est pas mieux que l’autre. Mais elle est plus jeune. Sa vue est certainement moins trouble. Je me permets de lui sourire, encore et toujours, cachant bien derrière mes zygomatiques tout le mépris que je peux porter à son ignorance. “Mon arrière grand-père était Raymond Loewy. Un designer, typographe aussi. Vous fumez, n’est-ce pas ?” Je relève les légères effluves de tabac qui émanent de son chemisier. Elle aquiesce, presque confuse de cet éclat de perspicacité. “Le logo des cigarettes Lucky, c’est de lui. Il a fait bien plus. Il a révolutionné la manière dont les gens conçoivent les voitures, les trains, les objets. Tout le design contemporain s’inspire de son oeuvre. Mais vous savez, tristement, les gens ne se rappellent que de ça. Du logo sur un simple paquet de cigarettes.” Elle est débile. Elle n’a pas bité un traître mot de ce que je viens de dire. La jeunesse est inculte au possible. Je retiens un soupire, lui tends le formulaire rempli de l’autre vielle folle. Pourvu que l’on ne me traîne pas plus longtemps d’un bureau à l’autre.

“Je vois… Oui, j’ai vos clés. Attendez.” J’attends, ma mignonne. Ca n’est pas comme si je venais de Londres. Sept heures de vol. Presque huit. Je n’ai pas eu le temps de dormir. Pas eu l’envie, plutôt. L’avion de nuit, c’est calme. Mais traverser l’océan par les airs est loin de me donner sommeil. Alors je veux voir mon bureau. Poser mes affaires. Rentrer à mon hôtel. J’ai quelques jours de break devant moi, je ne tiens absolument pas à les pourrir de quelques déboires administratifs. “C’est bien aimable.” Je prends les clés qu’elle me tend. J’enregistre l’information dans un coin de ma tête, et la remercie.

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A Cambridge, j'ai toujours eu la réputation du prof cool et sympa. A peine plus vieux que mes propres étudiants, j'avais cette fâcheuse tendance à fréquemment me retrouver au même endroit, au même moment, dans les bars de la ville, à me saouler en promettant quelques points de plus à celui qui tiendrait plus longtemps que moi après quelques mètres de shoots. J'ignore encore si je compte garder ces habitudes. Bien souvent, cela a manqué de peu de me retomber au coin de la gueule. La direction n'est pas avide de ce genre de comportements. Ca fait une mauvaise publicité à l'université, soit disant. Je me prends à trouver qu'au contraire, cela estompe légèrement leur réputation de balais dans le cul.

Ma mère, elle, m’a toujours bassiné pour que je me marie, fasse des gosses comme s’il en pleuvait, m’installe à Londres et vive bien rangé. Et mes trente ans sont arrivés. Je la sens pressée par le temps. Il faut dire que je suis fils unique. Un peu trop de pression à gérer. Ce doit aussi être pour ça que j’ai accouru jusqu’ici pour quitter le pays. J’avais grand besoin que l’on me foute la paix.