WREN FELL-HAMILTON ► Aaron Taylor-Johnson

(âgé de sept ans) « Wren, encore vingt minutes et tu éteins tout, d'accord ? » « Oh, maman, j'aurais jamais le temps de finir ! » Lâchais-je d'une voix plaintive, confortablement installé dans mon lit et plongé dans la contemplation d'un livre d'images sur mes super-héros préférés. J'avais six ans, j'étais de mauvaise humeur et je n'avais pas sommeil bien que l'heure de dormir approche et que je sois déjà dans mon pyjama ainsi dans mon lit. L'air préoccupé, ma mère entra, le front plissé. Elle s'avança dans la chambre jusqu'à s'assoir au coin de mon lit, essayant de m'observer par dessus mon livre que je te  j'appuyais ses propos à ma façon. « Parles moi, je suis ta maman, tu peux tout me dire. » Sur ces mots, elle porta une main à l'une des miennes et la caressa doucement avec ses doigts, comme pour m'apaiser et me pousser à la confidence. Bingo. « Il s'est passé un truc en classe. » « Ah... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » « Quelqu'un a dit quelque chose et moi ça me fait de la peine. » La main de maman passa de mes doigts à ma joue. « Oh, mon chat, tu aurais dut me le dire de suite dans la voiture » « j'avais pas envie d'en parler ou d'y penser »  « mais je suis sûre que tu y as beaucoup pensé quand même et que ça t'a donné mal, au ventre, hmm ? Tu n'as même pas pris du plaisir à manger alors que c'était ton plat préféré » en effet, j'avais jamais eut autant de mal à avaler une assiette de pâtes avec des petits bouts de saucisse et du ketchup de toute ma vie. « On a dut faire un cadeau, pour la fête des papas et moi bah j'ai dis que c'était pas la peine, tu vois ? » Le coeur de maman se serra. « Et Luke il a demandé pourquoi et j'ai dis que j'en avais pas car c'est vrai et il a dit que c'était bizarre, que tout le monde en a un. » Ma voix se fit plus chevrotante. J'étais au bord des larmes. « Mon bébé » elle se pencha pour me serrer très fort dans ses bras. « Shh, ça va bien. C'est compliqué, mais ça va aller et puis on est bien tous les trois hein ? On s'amuse, on rigole bien avec Laura hein ? » J'obtempéra de la tête, toujours collé contre elle. Elle s'éloigna un peu et me plaqua un gros bisous sur le front. « Calmes toi, shh, allonges toi. » Un nouveau bisous. « Je t'aime. » « Je t'aime encore plus fort. »

(âgé de treize ans) « Tu l’aimes bien toi ? » Me questionna ma petite sœur Laura en gesticulant dans le lit pour trouver une position. Le lit en question, c’était le mien, mais il était plutôt courant qu’elle s’y réfugit. Ca datait de notre petite enfance ce genre d’habitudes. Alors que j’étais tout de même assez terre-à-terre, Laura, de trois ans ma cadette, était du genre à avoir toujours la tête en l’air, comme si elle n’avait qu’un pied dans ce monde. A l’école tous ses profs n’avaient de cesse d’écrire qu’elle devait toujours voir des trucs hyper passionnants à travers les vitres car elle regardait toujours par là plutôt que vers le tableau. Elle avait toujours eut une imagination débordante et le fait qu’elle insiste toujours pour regarder avec moi des films pas franchement adaptés pour elle n’aidait définitivement pas à la garder bien ancrée au sol. Elle faisait des cauchemars depuis longtemps et elle finissait toujours dans mon lit. Je ne refusais presque jamais, sachant qu’elle n’était de toute façon pas du genre à lâcher l’affaire. Elle était désormais âgée de dix ans, elle savait que ce qui se passait dans les films n’était pas la réalité et je la soupçonnais de continuer à venir dans mon lit purement par habitude, car elle affectionnait nos petites conversations nocturnes, encore plus quand on avait matière à débattre. Le sujet du jour ? Le nouveau copain de notre mère. « Il m’a l’air assez sympas et maman a toujours l’air super heureuse avec lui. Franchement, je l’avais jamais vue sourire à un homme comme ça. » Laura roula dans le lit pour que nos visages soient face à face. Ses cheveux bruns bouclés (comme les miens) se déversaient sur l’édredon. « Moi non plus. Dis, ça t’arrives de penser à papa. » Je me mordis farouchement la lèvre, tendu tout à coup et puis fatigué aussi, quelque peu las. « J’aime pas penser à lui. » « Je sais. » « On est bien sans lui. » « Oui. » « Ca va aller. » Laura poussa un petit soupire et se mit à bailler. Elle se cala ensuite un peu plus confortablement dans le lit. « D’accord. Bonne nuit. » « Bonne nuit. »

(âgé de seize ans) « Bon, t'es content ? Tu l'as enfin vu ton film adoré » gloussa Lucy en quittant le cinéma. La fraicheur nous tomba dessus à peine sortis et dans un réflexe, nous baissons tous deux nos visages dans le col de nos manteaux d'hivers. « Il était bien, hein ? Encore mieux que ce que j'imaginais en fait » « et t'as vu ? Devant il y avait toute une rangée de petits garçons de genre dix ans avec leurs mamans derrière » je lui fila un petit coup de coude. « Rho, je te taquines. Je trouve ça chou, ta passion pour les super-héros. Je t'imagine totalement surexcité à dix ans avec une serviette de bain rouge autour du cou » « tu sais, chou c'est pas l'adjectif que les garçons trouvent le plus flatteur » « tss, t'es à moi, je t'appelle comme je veux. Si je trouve chou, bah, t'es chou, t'as pas le choix » « toujours aussi arrangeante, hein ? » « Toujours ! » Elle gloussa et j'en fis de même. Je me fichais qu'elle me taquine et je me fichais qu'elle me qualifie de chou ou d'adorable ou de tout ce qu'elle pouvait bien vouloir utiliser comme adjectif pour me définir. Car elle avait raison, j'étais à elle. Et elle était à moi. C'était ma première copine, ma première histoire d'amour, mon premier bisous (quand j'avais dix ans, lors d'un jeu au cours duquel les filles avaient décidé de courser chacune un garçon de la classe pour lui donner un bisous, elle m'avait choisi moi et elle avait réussi à avoir ce qu'elle était venu chercher), mon premier tout en somme. Je savais pas à l'époque qu'elle allait aussi être ma première déception sur le plan amoureux. Enfin, elle comptait beaucoup et elle me faisait un effet boeuf. « Wren, mon petit chou trop choupinou à moi » souffla t'elle d'une voix entre le ton que les adultes prennent pour parler au bébé et le ton de la fille qui vous drague ouvertement, weird mais elle était tellement belle qu'elle pouvait dire n'importe quoi sur n'importe quel ton. « Arrêtes de parler » soufflais-je, le sourire aux lèvres en m'arrêtant au bout de quelques pas, toujours devant le cinéma. « Fais moi donc taire » souffla Lucy en s'approchant dangereusement. Elle plongea ses deux mains dans les poches avant de mon manteau et nos visages se retrouvèrent seulement à quelques centimètres l'un de l'autre. Je pouvais sentir le parfum des bonbons acidulés qu'elle avait mangé lors de la projection. Elle s'approcha davantage encore, effleurant mon nez avec le sien, un grand sourire aux lèvres. Le mien ne tarda pas à s'agrandir juste avant que mes lèvres ne viennent se presser contre les siennes.

(âgé de dix-sept ans) « WREN ! » Laura me dévisagea dévisagea avant de pointer du doigt le fauteuil de son bureau. « Assis ! Mince, tu finis par me rendre nerveuse » je me laissa tomber sur le fauteuil avec un gros soupire. Je n'avais de cesse de pester contre la situation en tournant, tournant, tournant, dans la chambre de ma petite soeur comme un véritable lion prisonnier d'une cage. « Désolé, c'est juste la situation... Ca m'exaspère. » « Si tu veux mon avis, je trouve que tu es en train de te rendre malade pour pas grand chose. Je ne vois pas pourquoi la présence de cette fille changerait quoi que soit, je veux dire tant que ça n'embêtes pas maman » « mais bien sûr que ça l'embêtes ! Cette fille se ramène sans prévenir et elle fout le bordel ! Et elle le savait ! Je veux dire, c'est évident qu'elle a pas de vrais rapports avec son père, elle a peut-être son sang dans les veines, mais c'est clairement plus notre père que le sien » nous formions une famille voilà tout, nous avions trouvés un équilibre et pile poil quand tout se passait bien, il fallait qu'une indésirable débarque. Je savais que mes propos étaient durs, cinglants, mais j'étais comme ça. J'aimais à poser des mots sur les émotions que je ressentais et peu importe que ça déplaise, peu importe que ça fasse mal. Et peut-être que j'étais égoïste, mais non, je ne voulais pas le percevoir ainsi. Je n'étais pas un monstre d'essayer de préserver ma famille. « Elle avait l'air assez désespérée, non ? Elle savait pas vers qui se tourner » en effet, elle m'avait donné l'impression d'être assez paumée dans sa vie. Je me mordis la lèvre avec un petit haussement d'épaules. Je devais avoir l'air d'un type hideux, dépourvu de compassion. Ce n'était pas le cas, je n'étais pas une mauvaise personne, mais je n'étais pas du genre à être paumé. J'aurais vraiment pu l'être pourtant et Laura aussi. Nous avions aussi grandis sans père tous les deux, mais nous avions eut la chance d'avoir une maman formidable. Enfin, même sans ça, j'aimais à croire que j'étais un battant, quelqu'un qui va vers l'avant et qui ne laisse pas la vie le mettre à terre sans sourciller. « Je veux dire, c'est comme si toi et moi on allait retrouver notre père, c'est aberrant. C'est la dernière chose au monde que je ferais. C'est de l'égoïsme. Elle est égoïste. » J'étais catégorique. « Et lui... Je sais pas quoi penser. Je pense juste à maman et bordel, ça crains ! »

(âgé de vingt ans) « Eh, essaie de dissimuler ta joie » lança Laura alors qu'elle s'appliquait à lisser sa longue chevelure bouclée. « Rha, c'est plus fort que moi. Et c'est pas bien, je suis trop méchant, mais je suis trop content » comme pour appuyer mes propos et marquer mon enthousiasme, je me glissa derrière ma soeur et noua mes bras autour de sa taille de guêpe avant de lui déposer un baiser sur la joue. Elle roula des yeux. « Gardes tout de même à l'esprit qu'elle sera sur le même campus que toi » souffla-t'elle en tournant la tête vers moi, le tout en arquant les sourcils. Je poussa un petit soupire avant de m'éloigner un peu. « Le campus est immense, je ne devrais pas avoir à la croiser trop souvent, pas autant que maintenant du moins, ce qui est déjà très bien. » Et je m'en réjouissais car je n'y arrivais. Je n'arrivais pas à faire taire ma rancune. Je lui en voulais, c'était tout bonnement plus fort que moi. Je n'arrivais pas à la voir autrement que sous les traits d'un monstre d'égoïsme ne désirant rien d'autre que de foutre le bordel dans ma vie. Je la trouvais lourde et intéressée. Serait-elle venu vers elle nous si son père, notre père, n'avait pas d'argent ? J'en doutais vraiment très sérieusement. Non, en fait j'en étais carrément persuadé qu'elle ne serait pas venue s'il en avait été ainsi. Ca me donnerait presque envie d'être pauvre, tiens. Enfin, elle s'installait à Harvard, sur mon campus, soit, mais au moins elle serait moins souvent à la maison familiale et j'avais décidé de voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.

(âgé de vingt-trois ans) « Vous êtes de la famille ? » Je sursautais avant de faire volteface pour voir qui était en train de s'adresser à moi. « Hmm, pardon ? » Dis-je, un tantinet sonné en faisant face à une infirmière. D'une main, cette dernière désigna la chambre sur le seuil de laquelle je me tenais, dans l'embrasure de la porte. « Je vous demandais si vous êtes de sa famille » à ces mots, je tournais à nouveau vers la tête vers la chambre. Alaska était allongée dans la chambre, plongée dans le coma. Je croisa mes bras sur mon torse, comme dans un mécanisme de défense. Je n'avais jamais voulu la considérer comme un membre de la famille. Elle m'était toujours apparue comme un boulet, une personne à même de bousiller la famille renforcée que ma mère avait réussi à fonder en épousant mon beau-père. Je n'avais jamais apprécié sa présence. Je n'avais jamais voulu la considérer comme une soeur. Enfin jusqu'à dernièrement. La vie peut être une telle garce parfois. Il fallait un accident de voiture pour que je décide de creuser un peu, d'en apprendre sur ma soeur. Dans le genre mauvais timing, la situation se posait définitivement là. « Oui, c'est ma demi-soeur » lâchais-je d'une voix blanche, sans même me retourner pour faire face à l'infirmière, trop occupé que j'étais dans la contemplation de ma soeur. Et si elle ne se réveillait pas ? Je n'avais pas envie que les choses restent là où elles avaient été laissés. Je trouvais difficilement plus frustrant comme sensation que celle que j'éprouvais en cet instant. Tout ce que je savais, là, en cet instant, c'était que je concevais difficilement pire que de perdre quelqu'un sans avoir eut de réelle occasion de faire sa connaissance.

(et maintenant) Alaska s'est réveillée après deux semaines passées dans le coma, deux semaines à errer entre la vie et la mort. C'est le genre de choses qui vous pousse à envisager le monde, votre réalité, sous une autre perspective que celle à laquelle vous êtes habitué. Avoir été à deux doigts de la perdre à susciter chez Wren de l'intérêt pour sa demi-soeur. Il s'est dit qu'il se devait de creuser un peu, d'essayer de la comprendre. Et elle s'est réveillée et il a décidé que c'était un signe qu'il devait continuer, qu'il ne devait pas continuer à la percevoir comme une étrangère arrivée un beau jour pour gâcher sa vie. Depuis ils se sont rapprochés et Wren a apprit à nourrir de l'affection pour elle, au point qu'il la perçoit enfin comme une soeur, quelqu'un qui donne de la saveur à sa vie. Il prend sur lui et ça marche. Mais bon, Wren reste Wren et avec Wren, il faut y aller tranquille avec le côté imprévisible de la vie. Wren il adore tout planifier, il aime à savoir précisément où il va et quand il y va. C'était sans compter une autre soeur tout droit sortie de nulle part...