JACKSON OSCAR ROSENBACH ► Max Riemelt

Y a des trucs comme ça, on sait pas pourquoi ça vous arrive. Je devine l'identité sur le visage blanchâtre, encadré de roux, cette vision trouble qui apparaît régulièrement dans mes tentatives vaines de revenir pleinement à la conscience. Plus tard, j'apprendrais qu'on m'a retrouvé gisant sur le sol, sans témoin pour mettre des mots sur les sons de détonation, le bruit de verre. Ce joli verre brisé par mon corps qui l'a traversé, ce joli bout de verre qui s'est logé dans ma chair, flirtant avec mon cœur pourtant plus si attractif que ça. Un cœur asséché, ca n'a rien de tentant. Alors voilà, on m'a tiré dessus, dans le bras, mauvais tireur que tu es, et un éclat de verre s'est amusé à percer ma peau jusqu'au battant. J'crois que cet idiot de cœur a voulu abandonner la partie quelques-fois, jusqu'à se rappeler qu'il est un Rosenbach. Et chez les Rosenbach, on est des mauvaises herbes difficiles à supprimer. Des semaines à hésiter entre vie et mort, pour finir par choisir un entre-deux : tu vivras Jackson, avec ton rêve de carrière réduit à néant, des envies de vengeances, le souvenir d'une demoiselle dont le doigt n'attendait que la bague. Tu n'auras pas le droit de faiblir, jamais, au nom de ces deux yeux clairs de ta sœur. Parce que si tu sombres, elle n'a plus personne pour l'happer dans la lumière. Si t'abandonnes, t'éteins son reste d'humanité.

Mais je vous sens troublé. Vous n'avez pas tout comprit, n'est-ce pas ? Allez, je commence du début.

28 janvier 1989, dans un hôpital de Philadelphie. J'ai déjà tout pour que cette petite vie marche : un beau manoir de bourge dans la même ville, des parents aisés. Je me permets même le luxe d'avoir, en plus d'un père homme d'affaire, une mère artiste. Ancienne danseuse classique d'Ukraine, s'il vous plait. Je n'en tirerais aucun talent, si ce n'est une voix pas si fausse que ça. Et bonus, je suis le premier enfant. Pas pour longtemps, vous me direz. Zoïa ne tarde pas à rappliquer, accompagnée de la mort. Cette dernière nous aime beaucoup je crois. Mais, surement occupée ailleurs, nous laissera tranquille quelques années. Le temps de découvrir qu'en grattant le beau tableau du paradis, une toile abimée se trouve. La mère s'ennuie de son mari absent, se laisse atteindre par ses errances dans d'autres draps. Le jeune Jackson, observe, un moment. Comprend, très vite.  Prend le parti de la matriarche, naturellement, lui qui défend tous ceux qui le nécessite. Du policier ou du voyou, son camp a été choisit depuis son plus jeune âge. La justice comme cheval de bataille, avec la bonté et la gentillesse comme candides armes. Le père est un être détesté pour ses fautes, et cet avis s'ancre en Jax au fur et à mesure des larmes féminines versées. Quand à sa petite sœur, il tâche de la contaminer de sa bonne humeur, de son enthousiasme inaltérable, elle qui paraît moins paisible que lui. Il tente de partager ses démons, mais ceux-ci semblent préférer sa noirceur.

On continue comme ça, jusqu'à la fac. Harvard, plus précisément. Brillant, ambitieux, mais aussi solaire et altruiste ; dunster il sera. Policier, il sera. Une évidence pour ceux qui le voient évoluer depuis son enfance, lui qui porte le bien comme argument premier d'intervention. Tout le concerne, à partir du moment où il s'agit de défendre son prochain. Étudiant en sciences criminelles pendant les années suffisantes à aboutir à son rêve, l'homme sait se faire une place de choix dans la faculté, il s'entoure d'amis fidèles, pardonne les moins fidèles en leur tendant une main sûre. Soutient toujours les deux femmes de sa vie, autant que le peuvent ses épaules. Et le cœur masculin s'ouvre à l'amour, se conjuguant au prénom de Victoria. Ils se sont rencontrés dans un bar, ont finit la soirée dans son lit, et si je disais qu'elle n'en est jamais parti, je ne serais pas loin de la vérité. Même la fin des études de Jackson et sa prise de poste comme policier n'y feront rien. Toujours étudiante, ils se voient régulièrement, et envisagent l'avenir à deux. Une évidence. Tout n'est qu'évidence, chez ce Rosenbach.

La partition se joue sans fausse note, jusqu'à ce qu'un cinglé décide de rabattre le dessus du piano sur vos doigts, provoquant une suite de désaccords. C'est du sang qui sort de ce piano, dégouline sur les touches, asperge le visage joyeux de Jackson. Allez, ramasse-toi ça, idiot d'heureux. Elle est morte dans cet attentat à Harvard, et toi je te plonge la tête sous une flotte de colère, jusqu'à ce que tu te noies dedans. Tu suffoques, hein ? Et Zoïa, elle a beau tendre ses doigts trop fins vers toi pour te relever, y a rien à faire pour te sortir de là. Ca a gagné ton cœur, et ça en coagule les vaisseaux. Il durcit. Tu t'endurcis. Tu t’obnubile de ce travail qui t'es cher, le seul truc qui te permet de te sentir utile, qui apaise cette rage. Ses supérieurs qualifieront Jackson d’obsessionnel, et ils n'ont pas tord. Que tous ceux qui ont péché envers la loi se repentent. Le garçon s'entête dans ses enquêtes, et va plus loin sur un dossier. Trop loin, sûrement. Là où n'importe quel flic prudent ne devrait pas aller. Mais c'est trop tard pour lui, quand commencent à venir les suspicions de possibles corruptions au sein de dirigeants politiques et policiers, l'ancien dunster devient aveugle au monde, et fonce. Comme si cette seule affaire allait purifier le monde, et, peut-être, l'apaiserait. Conneries. Cette affaire allait l'envoyer sur ce lit d’hôpital, brûlé par ce rapprochement inconscient avec le feu. C'est ça de jouer au caïd, de te croire tout capable, juste parce que t'es du bon côté.

Il s'en sort. Évidemment qu'il s'en sort. Il ne laissera sur ce lit que la moitié de son âme, et sa carrière. Déclaré inapte au métier de policier suite à ses blessures, Jackson ne perdra pas pour autant sa volonté farouche de défendre son prochain. Puisqu'il ne peut plus être flic, il sera procureur. Reprenant donc ses études, entraînant avec lui Zoïa à la Dunster House à la rentrée 2014, le jeune homme s'épanouit comme il peut avec ses nouveaux rêves, tâchant de les faire prédominer sur ses cauchemars devenus nombreux. Pour contrer ces perturbations nocturnes, ses nuits sont rythmées par ses enquêtes secrètes, probablement illégales pour la plupart par les moyens employés. Mais qu'importe, il faut repousser l'obscurité de ce cœur autrefois lumineux. Ou se laisser submerger.