(m) kill your darlings

ARABELLA CADWALLADER ► ali michael
Je pouvais sentir son regard se poser sur moi lorsque j'étais assis à mon bureau. Elle savait que je n'aimais pas qu'on me dérange lorsque j'écrivais, alors elle s'asseyait sur le canapé, une bouteille de bière à la main, les pieds nus sur la table et elle m'observait. Le silence n'était jamais pesant. Ils nous enveloppait, nous accompagnait, nous berçait. J'aime me dire que secrètement, elle espérait que j'écrive sur elle. Parfois je me dis que personne ne l'a aimé comme je l'ai aimé. Pourtant, elle n'était pas parfaite. Elle changeait d'humeur rapidement, me souriait un instant et me criait dessus une seconde plus tard, me disait qu'elle allait partir chaque soir, se détruisait en alcool et en drogue constamment. Mais j'aimais chacune de ses imperfections; la façon dont elle riait maladroitement, la voix basse et rauque qu'elle avait quand on se disputait, la manière qu'elle avait de voir le monde, je souriais même à ses efforts interminables à essayer de me convaincre de la détester. Je crois que personne ne l'a jamais aimé ou en tout cas que personne ne l'aime plus. Elle ne veut pas qu'on l'aime. C'est pour ça qu'elle a finit par partir. Un jour son odeur de jasmin, de bois et de tabac enrobait mon appartement, un de mes livres était sur la table, une feuille de pin qu'elle utilisait comme marque-page  glissé à l'intérieur, sa valise ouverte près du canapé; le lendemain, le livre était sur la bibliothèque, sa valise avait disparu et l'appartement n'avait plus aucune odeur, plus aucune vie. Quelque fois, j'ai presque l'impression qu'elle n'a jamais existé. Qu'elle n'était qu'une sorte d'hallucination que mon esprit avait fabriqué. Maintenant, son prénom a un autre goût sur mes lèvres, comme si en fermant les yeux assez fort et en le prononçant avec toute la conviction du monde, elle pourrait réapparaitre. Arabella.