Solvada Δ meet me on the roof

Je venais de sortir d'une séance avec un psychologue parce qu'il paraît qu'en parler ça fait du bien. Que parler de la perte d'un être cher, ça te permet d'oublier, mais comment voulez-vous que j'oublie que ma mère est morte d'une crise cardiaque et que mon père est désormais membre du plus grand réseau mafieux des Etats-Unis ? J'ai pas besoin de parler de cela, je veux juste être seule. C'est trop demandé ? Dean est revenu, je suis heureuse, j'ai rencontré Noah au MAC, je lui ai frappé dessus, mais rien ne m'a permis de remonter la tête à la surface, j'ai juste besoin d'oublier ne serait-ce qu'un instant que ma vie est en chute libre et que je suis à deux doigts de péter un plomb. Il fait nuit tôt, et j'en profite pour me glisser dans l'immeuble où j'ai l'habitude d'aller qu'un ami d'enfance surveille pour réfléchir sur les toits, sans réseau, sans rien. C'est ici que Chuck m'avait trouvé une fois, quand il avait osé me prendre la tête au sujet de Blake. Blake ? N'en parlons plus, c'est du passé. Il est parti maintenant, il est retourné à Sydney, et je n'ai pas envie d'en parler tellement je suis déçue. Il me manque, mais c'est comme ça. Je salue Eliot, et monte au dernier étage de l'immeuble avant de m'installer sur le rebord du toit, les pieds dans le vide, la vue prenante sur les lumières de Cambridge, seuls quelques personnes sont au courant de ma cachette, et j'avais envoyé un sms à Nevada pour me confier, lui dire que rien n'allait dans ma vie, et qu'elle me manquait. Je la connaissais si bien, que je savais qu'elle allait se douter que j'étais ici, après tout, elle est un peu comme ma meilleure amie. Je me lève alors, porter par la douce brise qui caresse mon visage et je fixe les lumières, debout au dessus du vide, les mains dans ma veste. Et si je sautais ? Est-ce que j'aurais mal ? Peut-être. Mais je n'en ai pas envie, j'ai pas envie de quitter ce monde remplis de connards et de personnes adorables. J'ai juste envie de ne pas réfléchir. Le temps d'une soirée.

Dire que tu as un planning plus que charger depuis la rentrée de septembre est un euphémisme. Tu ne sais plus vraiment où donner de la tête mais c'est toi qui a signé pour ça, pour être une étudiante exemplaire, une mère responsable, une épouse parfaite, une présidente de confrérie qui veut rassembler les gens. De lourdes responsabilités sur tes épaules mais ce n'est pas pour autant que tu te sens prisonnière bien au contraire tu ne t'es jamais sentie aussi vivante. Un sentiment que ne semble pas partagée Solveig. Le message inquiétant que t'a envoyé cette dernière à propos de son mal être a eu l'effet d'un électrochoc. La jeune femme a pour habitude de se montrer forte mais comme tout être, elle cache une partie de fragilité en elle. Ces mots loin d'être rassurant te poussent à te lever de ton canapé. Tu adresses un simple regard à Alek avant de sortir de la maison. Il te connait assez bien pour savoir que si tu pars comme ça c'est que tu as une bonne raison et que tu n'as nulle besoin de t'expliquer sur ton escapade nocturne. Tu sais que tu ne trouveras pas Solveig là où elle réside mais sur le toit de l'immeuble où elle a ses habitudes. A peine garée tu rentres en trombe dans le hall du bâtiment, surveillé par le gardien. Il ne te pose pas de questions, comprenant certainement les raisons de ta présence. La sensation du vent sur ton visage est amplifiée quand tu arrives sur le toit et malgré la pénombre tu distingues très clairement la silhouette de ton amie, au bord du vide, beaucoup trop au bord. Ta respiration se bloque à la vue de cette image avant que ta voix ne vienne briser le silence." S'il te plaît, ne fais pas ça. " avais-tu dit d'un ton calme pour ne pas la surprendre. La faire sursauter ne serait pas bon. Tu ne sais pas si tu dois te rapprocher d'elle. Tu es prise au dépourvu et ton regard empreint de peur reste fixée sur Solveig.

Tout ce que je voulais c'était parler, parler aux gens que j'aime, pas en parler avec un putain d'inconnu qui se contentait de faire Hum Hum à la fin de chacune de mes phrases avant de griffonner sur son carnet. Non, je ne voulais pas ça, je voulais dire à mes proches que je les aimais. Seulement ça. Mais non, il faut évacuer qu'ils disent. J'ai tout le temps le coeur serré, envie de vomir mais il faut en parler. Ca passera qu'ils disent. Bande de menteurs, de manipulateurs. Ca passe ouais, mais ça reste la, enfoui au fond de nous. Et c'est ça qu'il se passe. J'ai enterré ma mère, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps mais non. Ca passe pas, j'ai toujours mal, c'est à vif, tout frais. Alors il faut que je réfléchisse, ailleurs sans connexion sans rien. Couper du monde, couper des gens, c'est pour ça que je me retrouve la, sur ce toit, à admirer les lumières de Cambridge, les clignotements des avions qui partent loin ou qui reviennent, et qui me donnent surtout envie de partir ailleurs. Loin de toute cette hypocrisie malsaine. Alors je suis debout, je jongle avec la mort, je la tente, je la teste. Tanguant comme un bateau en pleine marée, jusqu'à ce qu'elle m'arrête. Ses mots faibles et légers, me stoppe. Et je me tourne doucement pour voir Nevada, le regard anxieux, et je m'en veux. Tellement. Je descend alors et je cours pour la prendre dans mes bras, pour la serrer fort contre moi et murmurer « Merci... » d'être la, d'être venu mais ça m'embête d'un autre côté parce que je sais que je vais devoir m'expliquer et je n'en ai pas envie. Pas le moins du monde.

Peu importe l'heure du jour ou de la huit, tu répondras toujours présente pour les autres qu'ils soient de simples connaissances, des amis ou des membres de ta famille. Prendre soin des autres quelqu'en soit les circonstances, a toujours été ta ligne de conduite. L'être humain est fragile. Parfois il tombe et le seul moyen de le relever est d'être présent pour lui. Jamais ô grand jamais tu n'oseras laisser tomber quelqu'un alors qu'il est déjà en pleine chute vertigineuse. Ton coeur tambourine dans ta poitrine à l'instant même où tu distingues Solveig au bord du toit de cet immeuble. Cette vision te donne la nausée, ton corps tremble en repensant à ce jour où l'on t'a annoncé que ta meilleure amie s'était suicidée. Presque trois ans déjà et toujours la même douleur, le même regret. Celui de ne pas avoir été là pour la retenir. Aujourd'hui face à Solveig, tu peux, mais tu ne sais pas trop comment réagir. On dit que tu es douée avec les autres mais ça c'est différent. Ce n'est pas des mots réconfortants qui vont l'aider à s'éloigner du vide qui s'impose sous ses pieds. Alors que tu retiens ton souffle, elle pivote sur elle même. Tu soutiens son regard empreint d'une peine incommensurable. Puis le soulagement, lorsqu'elle coure vers toi. Tu t'agrippes à elle comme pour t'assurer qu'elle est bien dans tes bras et non encore en train de flirter avec la mort. Son merci quasi inaudible est une délivrance." Je suis là. " Et tu seras toujours là, encore plus qu'avant après cette scène révulsante à laquelle tu as assisté. Tu n'es pas prête de la lâcher.